Le Printemps de la Psychiatrie appelle toutes les organisations professionnelles, syndicales, associatives, mais aussi toutes les personnes concernées, professionnels, patients et proches, à signer la pétition contre la PPL 385 avant le 16 décembre, et à lutter ainsi contre l’abandon de la clinique et du service public de proximité déjà bien attaqués en psychiatrie, en pédopsychiatrie comme dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.
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A la suite de son précédent communiqué « Choisir ses soins », le Printemps de la Psychiatrie s’insurge contre les récentes attaques à l’égard d’une psychiatrie et d’une pédopsychiatrie humanistes, ainsi qu’à l’égard de la liberté de choix de leurs soins, pour les soignants comme pour les patients.
Depuis plusieurs mois maintenant, des communiqués de collectifs et de syndicats se multiplient pour dénoncer une forme de « police des soins psychiques », qui va à l’encontre d’une pratique soignante qui a besoin de pluralité et d’une compréhension élargie de problématiques complexes. Car le ton se durcit : M. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de Santé (HAS), déclare ainsi souhaiter « rendre opposables certaines recommandations [… afin de]s’assurer que les prescripteurs fassent ce qu’on recommande »2 M. Étienne Pot, délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (TND) exprime même ouvertement : « Le non-respect des recommandations n’est pas entendable ».
Cette tentative de standardisation du soin, cherchant à transformer les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (RBPP) en obligations, ne rentre pourtant pas dans les prérogatives de la HAS. Comme le disait Agnès Buzyn, alors présidente de la HAS en 2017 : « Les recommandations de bonnes pratiques de la HAS n’ont pas à être opposables, car la médecine est un art évolutif. »4 En réalité, ces préconisations, même si elles ne sont pas encore opposables légalement, imprègnent déjà les formations, la démarche qualité et les organismes de certification des établissements de santé. Peu à peu, la liberté de choix de leurs soins, pour les soignants comme pour les patients, est rognée.
Ainsi, une levée de boucliers a répondu à une nouvelle tentative de contrôle, contre l’amendement 159 présenté au Sénat « proposant d’interdire, tout financement public des soins, actes et prestations se réclamant de la psychanalyse ou reposant sur des fondements théoriques psychanalytiques »5 et ce quel que soit le dispositif : CMP, Mon soutien psy, établissements médico-sociaux, exercice libéral… Une pétition a récolté en deux semaines 101470 signatures.
Alors « Bas les Masques ! »
Alors qu’en 2017, la HAS souhaitait conserver la pluralité des approches cliniques, huit ans après en 2025, il est question d’uniformiser les prises en charge. Dans cette logique, au Sénat, la proposition de loi 385 voudrait intégrer les centres experts dans le code de la santé publique, centres experts promoteurs de diagnostics, avides de données pour faire « avancer la science » : recommandations de traitement médicamenteux ou rééducatifs soutenus par les progrès numériques.
Le texte justifie cette orientation en avançant la promesse d’une économie annuelle de 18 milliards d’euros, fondée sur la promesse fallacieuse d’une réduction de 50% des jours d’hospitalisation. Cette promesse a été jugée bien fragile, comme en atteste un article du Monde de Stéphane Foucart le 4 juin 20256. Cette proposition de loi procède d’une analyse minimaliste et faussée des besoins en soins psychiatriques en France. Elle ne tient aucunement compte des difficultés pour la population d’accéder à des services publics de soins psychiques largement encombrés et en manque criant de moyens humains.
Ces centres experts se présentent comme des centres d’excellence qui font des diagnostics, comme si le geste diagnostique était l’essentiel du travail d’une psychiatrie dite « de précision ». Le soin, la temporalité du soin, le soin singulier sont niés de fait : une fois la batterie diagnostique réalisée (le plus souvent par des internes plutôt que par les professeurs à la tête de ces centres), les patients sont renvoyés à des soins hyper-spécifiques, inexistants ou inaccessibles sur le territoire, et donc à leur solitude déçue, avec des prescriptions médicamenteuses qui n’innovent en rien sur celles déjà proposées par leur psychiatre référent, dépouillés de leurs données de santé entre temps algorithmisées.
L’approche strictement bio-médicale et rééducative de ces centres, ne prenant en compte ni l’histoire de vie ni l’environnement, s’avère réductionniste : nous savons que les personnes vivant dans la précarité risquent statistiquement de développer plus de troubles psychiques que les autres (F.Gonon7). Prendre en compte la vie psychique, c’est considérer la singularité du patient dans son environnement familial et social. Cet aspect du travail des équipes pluridisciplinaires est écrasé par le diagnostic devenu l’unique stratégie en santé mentale !
Nous rejetons cette proposition de loi fomentée sans débat démocratique avec la population, sans consultation des usagers, soignants et chercheurs, et appelons les sénatrices et sénateurs à la rejeter lors de sa mise au débat le 16 décembre prochain.
Elle présente d’importants risques pour la santé publique. Les centres experts, actuellement au nombre de 54, sont loin du terrain et sont des émanations de la fondation FondaMental, dont les mécènes sont entre autres Dassault, Sanofi, BNP Paribas, fondation Bettencourt… et dont certains professionnels pourraient être soupçonnés de conflit d’intérêt, à être à toutes les places.
Pour une éthique respectée
La psychiatrie et la pédopsychiatrie de secteur, qui proposent un accueil à tous publics, ont besoin de moyens pour soigner dans les meilleures conditions possibles. Elles sont en souffrance depuis de longues années et les alertes n’ont aucunement été prises en compte, au point que beaucoup de structures ferment. Ce sont des personnes en souffrance psychique que l’on abandonne, ce qui n’est pas sans conséquences sur la vie sociale de chacun.
Mais il est politiquement aisé de s’en servir pour défendre une politique sécuritaire au lieu de s’interroger sur ce qui a mis en carence les institutions et services d’accueil des personnes en difficultés psychiques.
Les équipes de psychiatrie et de pédopsychiatrie de secteur travaillent à une clinique de proximité. Elles sont amenées à développer le plus de créativité possible pour mener à bien des soins sur mesure et en lien avec les partenaires sociaux et médico-sociaux. Protocoles et injonctions vont à l’encontre de la réflexion nécessaire pour réaliser ce travail minutieux : médiations thérapeutiques, entretiens avec les familles concernées, accompagnement du patient dans la quotidienneté…, pour rechercher un équilibre toujours fragile lorsque la souffrance psychique est intense.
Les missions du service public et des établissements médico-sociaux sont sans cesse mises à mal et ce dénigrement systématique devient insupportable. Cette attaque de la liberté de choix des soignants et des premiers concernés de leurs soins est une attaque en règle de l’état de droit, état sans lequel ne peuvent se faire une psychiatrie et une pédopsychiatrie respectueuses des droits fondamentaux des premiers concernés.
Ainsi, la mise en avant des centres experts comme solution unique est violente, tant vis-à-vis des populations concernées que des soignants, surtout quand l’enjeu apparaît être plutôt celui du gain financier pour les assurances privées, start-up et autres entreprises lucratives…
Comme l’a souligné Mathieu Bellahsen8 lors du forum de l’Évolution Psychiatrique9, les centres experts sont les pointes avancées du santé-mentalisme au croisement de la cérébrologie (discours et pratiques centrés sur le cerveau) et du capitalisme algorithmique : produire des données, les valoriser, créer des marchés. L’enjeu, on l’aura compris, est la diminution des coûts des services publics, voire leur démantèlement et l’augmentation des profits des acteurs privés.
Voter cette loi serait participer à la privatisation du service public et le vendre à la découpe aux start-up de la Mental Tech.
Le Printemps de la Psychiatrie appelle toutes les organisations professionnelles, syndicales, associatives, mais aussi toutes les personnes concernées, professionnels, patients et proches, à signer la pétition contre la PPL 385 avant le 16 décembre, et à lutter ainsi contre l’abandon de la clinique et du service public de proximité déjà bien attaqués en psychiatrie, en pédopsychiatrie comme dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Nous les appelons à rester mobilisées et à participer à toutes les actions collectives et unitaires en train de se développer pour soutenir nos valeurs d’accueil et de solidarité sanitaire.
Le Printemps de la Psychiatrie, le 10/12/2025

2https://www.lemediasocial.fr/autisme-les-recommandations-de-bonnes-pratiques-bientot-opposables_GwX85R
4 https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/les-recommandations-de-la-has-nont-pas-etre-opposables-assure-sa-presidente
5 https://www.change.org/p/non-%C3%A0-l-amendement-159-oui-%C3%A0-la-pluralit%C3%A9-des-approches
6 https://www.lemonde.fr/sciences/article/2025/06/03/la-communication-de-la-fondation-fondamental-epinglee-pour-embellissement-de-resultats-scientifiques_6610297_1650684.html
7 https://carnetpsy.fr/le-discours-des-neurosciences-a-des-effets-politiques/
8 https://www.youtube.com/watch?v=6yQTWWGCw3s
9 https://www.youtube.com/playlist?list=PLbrq7BtEF_-GgIUNbH8uNH-in7r46bOtE
