Adoma remporte le marché PRAHDA et prépare l’après-CAO
Depuis l’expulsion de la jungle de Calais dans la semaine du 24 octobre 2016, plusieurs milliers de personnes ont été déplacées dans des centres d’accueil et d’orientation aux quatre coins de l’hexagonie. Ces structures temporaires sont vouées à fermer pour la plupart dans le courant de l’été. Le 28 septembre 2016, le ministère de l’intérieur lançait donc un appel d’offre pour la création de 5351 nouvelles places d’hébergement de courte durée, afin de poursuivre la politique de dispersion et de contrôle des personnes migrantes. Cet appel d’offre vient d’être remporté par la société Adoma, acteur bien établi dans le domaine de la réinsertion et du contrôle social. C’est l’occasion d’un tour d’horizon pas très réjouissant des perspectives de l’après-CAO.
Des CAO aux PRAHDA
Relevant de l’article L. 744–3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le nouveau programme, connu sous le nom de PRAHDA (programme d’accueil et d’hébergement de demandeurs d’asiles) vise sur le papier à proposer de « l’hébergement temporaire », avec toutes les implications de ce mot en termes de précarité et de déshumanisation des résident.e.s. Mais en pratique, un peu comme les CAO, il est très probable que les personnes y resteront plusieurs mois voire des années, étant donné que le logement à long terme normalement assuré dans les CADA (centres d’accueil de demandeurs d’asile) est fortement dysfonctionnel [1].
En théorie, l’appel d’offre était ouvert aux acteurs habituels de l’hébergement d’urgence, notamment les associations à vocation charitable comme le Secours Catholique, la Croix Rouge, Emmaüs, etc. Mais selon l’Association pour la solidarité active du Pas-de-Calais, qui gère déjà un CADA, « Il n’y a eu aucune info ni concertation en amont avec les prestataires potentiels ni même avec les services décentralisés. Le fait que ça soit un marché public interdit toute concertation entre prestataires. Il s’agit de 12 lots régionaux indivisibles, donc ça sera des gros opérateurs dans chaque région. L’ouverture aux acteurs lucratifs pose aussi la question du sens de l’accompagnement puisque des marges de profits peuvent être réalisées ! » [2]
Le marché public ayant été clos début mars, il est certain que tous les lots ont déjà été attribués, sans qu’il n’y ait encore eu aucune annonce officielle du résultat. Mais en fouinant un peu sur Indeed, on découvre une importante vague d’offres d’emploi publiées courant avril par la société ADOMA, qui ne laisse plus aucun doute sur le fait que c’est elle qui a remporté le marché public PRAHDA dans toutes les régions (avec encore une incertitude pour l’Île-de-France).
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Financer la machine à expulser
Le programme PRAHDA s’inscrit dans une politique plus large visant à créer des structures d’hébergement d’urgence d’un nouveau genre financées par des investissements privés mais fortement contrôlées par l’état à travers sa mainmise sur Adoma.
En effet, la SNI, maison mère d’Adoma contrôlée par l’État, est en passe d’acheter au groupe touristique Accor 62 hôtels « Formule 1 », dans le but de les transformer au début de l’automne en centres d’hébergement d’urgence, et centres d’accueil des demandeurs d’asile. Une quinzaine d’hôtels « Première Classe » seront également achetés au groupe Louvre Hotels [7]. En tout Adoma disposera ainsi de 7000 chambres pouvant accueillir 10.000 personnes, la moitié en région parisienne, la moitié en province. Un décret est déjà prévu pour dispenser ces futurs « hôtels sociaux » d’équiper chaque chambre d’une kitchenette. Ce serait une dépense excessive selon Adoma. Si le groupe public tient cet agenda très serré, les premiers SDF, migrants ou familles monoparentales seront accueillis dès cet automne.
- La façade du Formule 1 d’Arnage, dans la banlieue du Mans
L’achat des hôtels Formule 1 a commencé à attirer l’attention de la presse locale, à Séméac (banlieue de Tarbes), à Arnage (banlieue du Mans), à École-Valentin (banlieue de Besançon) et à Chasse-sur-Rhône dans l’Isère, dont le maire s’est déjà fendu d’une réaction assez désagréable. La fermeture des hôtels se traduit également par un nombre important de licenciements ou de « reclassement » du personnel.
Pour financer l’achat de ces hôtels, la SNI a créé un nouveau fonds d’investissement baptisé « Hémisphère ». Son patron André Yché promet aux investisseur.se.s un taux-plancher de 3,5%, un chiffre attrayant puisque le placement bénéficie des multiples garanties des filiales de la Caisse des dépôts. Le taux sera en outre amélioré en fonction d’un certain nombre de critères sociaux, préalablement établis : niveau de scolarisation des enfants accueillis, réussites en termes de relogement des individus et des familles… Le gestionnaire des logements est ainsi incité à ne pas se contenter d’un rôle de simple accueillant. » Hémisphère tend à montrer qu’il existe des moyens pour financer l’Etat providence autrement qu’avec de l’argent public « , explique André Yché, ancien membre du cabinet du ministère de la défense.
Le contrôle quasi-total de l’État sur ces centres d’hébergement par le biais d’Adoma permettra un durcissement de la surveillance des résident.e.s et renforcera encore l’opacité du système par rapport à une gestion par des associations à but non lucratif.
Le marché public stipule par exemple que les personnes relevant de la procédure Dublin pourront être assigné.e.s à résidence dans la structure : « [Adoma] signalera toute fuite du demandeur sous procédure Dublin aux services compétents et veillera au respect par l’intéressé de ses obligations de présentation. […] [Adoma] s’engage à communiquer à l’OFII et au préfet l’identité des personnes hébergées définitivement déboutées de leur demande d’asile en vue d’organiser leur retour et sans que ces personnes ne puissent être orientées vers des structures d’hébergement généralistes. […] Les personnes n’ayant engagé aucune démarche en vue de l’enregistrement d’une demande d’asile dans les 30 jours suivant leur arrivée en PRAHDA feront l’objet d’une décision de sortie prononcér par l’OFII et devront immédiatement quitter la structure. Les personnes placées sous procédure Dublin pourront être maintenues dans le lieu d’hébergement le temps nécessaire à la mise en oeuvre effective de leur transfert vers l’état responsable de l’examen de leur demande d’asile. » Ces missions de contrôle et de signalement sont contraires – la FNARS l’a signalé à plusieurs reprises – à la déontologie du travail social (notamment du principe de confidentialité) et au principe d’inconditionnalité. Elles sèment le doute quant à la vocation d’accueil et d’accompagnement de ces établissements [8].
Le renforcement de l’opacité est facilité par le contrôle du ministère sur les visites de médias dans les centres : « [Adoma] saisit le ministère de l’intérieur en cas de sollicitation de la part des médias, et s’engage à faire respecter ces obligations à l’ensemble de son personnel et, le cas échéant, à ses sous-traitants et fournisseurs. »
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