Chiffres, violen­ces… La mani­fes­ta­tion que les médias n’ont pas montrée

Première grande mani­fes­ta­tion natio­nale depuis le début du mouve­ment contre la loi El-Khomri, la taille et la portée du spec­ta­cu­laire cortège du 14 juin à Paris ont une nouvelle fois été minoré par de nombreux médias, venant étayer le discours gouver­ne­men­tal sur l’« essouf­fle­ment » du mouve­ment. Manuel Valls, bien­tôt suivi par François Hollande, tirait aujourd’­hui profit des affron­te­ments qui ont eu lieu à l’avant du cortège pour deman­der à la CGT « de ne plus orga­ni­ser de grandes mani­fes­ta­tions à Paris », rendant de fait la centrale syndi­cale respon­sable de ces violences.

Taille du cortège, affron­te­ments, arri­vée empê­chée sur la place des inva­lides, tirs de gaz lacry­mo­gènes sur les dockers, ou disso­lu­tion de la mani­fes­ta­tion dans des condi­tions ubuesques : nous propo­sons ici un retour sur quelques points impor­tants de cette jour­née de mobi­li­sa­tion.

Sur les chiffres, un débat surréa­liste

Dans un texte qui reflète globa­le­ment la présen­ta­tion de nombreux médias, l’édi­to­ria­liste du Monde Michel Noble­court évoque ce jour une mani­fes­ta­tion « pas si énorme », et des chiffres annon­cés (un million de mani­fes­tants) mettant « en péril » la crédi­bi­lité des syndi­cats. À l’in­verse, il n’in­ter­roge pas un instant celle des chiffres donnés par la Préfec­ture qui, avec 75.000 personnes, sont tota­le­ment irréa­listes pour quiconque était présent sur le terrain hier après-midi. Ainsi, alors que le cortège était parti­cu­liè­re­ment dense sur toute sa longueur, autour de 17h30, soit quatre heures après le départ des premiers parti­ci­pants, une partie d’entre eux n’avait pas encore quitté la place d’Ita­lie !

Aux alen­tours de 19h, en queue de pelo­ton, le cortège des taxis pari­siens protes­tant contre « l’ubé­ri­sa­tion » de leur métier, invi­tés surprises de la mani­fes­ta­tion, était encore en train de défi­ler. Par compa­rai­son, l’en­semble de la mani­fes­ta­tion aurait-elle pu tenir dans l’en­ceinte d’un seul grand stade de foot­ball, comme le Stade de France ? Ce sont à coup sûr plusieurs centaines de milliers de mani­fes­tants qui ont marché hier à Paris contre la loi Travail, venant des quatre coins de la France, et toujours avec la même déter­mi­na­tion. Le demi-million de mani­fes­tants semble, en tout état de cause, un ordre de gran­deur plus réaliste que les données offi­cielles.

De part et d’autre, un niveau de violence sans précé­dent

Le cortège a égale­ment été marqué par un degré de violences, de part et d’autres, inédit à Paris depuis le début du mouve­ment. Au sein d’un cortège de tête que l’on peut esti­mer à envi­ron 8 ou 10.000 personnes, plusieurs centaines de mili­tants auto­nomes, toujours vêtus de noir, s’étaient regrou­pés pour tenter de « briser le verrou poli­cier ». Entre fusées, feux d’ar­ti­fices et bombes arti­sa­nales ou jets de gravas, leurs muni­tions semblaient presque aussi inépui­sables qui les stocks de gaz lacry­mo­gènes des forces de l’ordre. Visi­ble­ment mal coor­don­nées, leurs attaques ont contri­bué au chaos qui s’est rapi­de­ment installé en tête de cortège.

En face, les forces de l’ordre avaient changé de stra­té­gie, et ont elles aussi fran­chi un cran dans la tension. Contrai­re­ment aux habi­tudes, les CRS n’ont pas collé à la première ligne du cortège, lais­sant au contraire un espace très large sur le devant, destiné à distendre le plus possible le cortège auto­nome. Au fur et à mesure de l’avan­ce­ment, plusieurs sections posi­tion­nées sur les côtés de la mani­fes­ta­tion opéraient ensuite des charges « en ciseau », des deux côtés, extrê­me­ment brutales et desti­nées à disloquer, ou du moins désor­ga­ni­ser la tête de mani­fes­ta­tion – au sein de laquelle il deve­nait de plus en plus diffi­cile de se sentir en sécu­rité.

Devant l’hô­pi­tal Necker

Arri­vés devant l’hô­pi­tal Necker, à l’in­ter­sec­tion du boule­vard Mont­par­nasse et de la rue de Sèvres, les mili­tants auto­nomes ont lancé une attaque intense, qui a duré près d’une demi-heure, sur la ligne de CRS placée au coin de l’éta­blis­se­ment et barrant la rue de Sèvre. C’est dans ce contexte très précis que l’hô­pi­tal a subi quelques dégra­da­tions. Pendant que certains émeu­tiers cassaient le maca­dam pour en faire des projec­tiles, d’autres se relayaient pour les envoyer sans discon­ti­nuer sur les CRS. La durée de cette attaque aura de fortes consé­quences puisque, in fine, elle permet­tra à la police d’in­ter­dire l’ac­cès aux Inva­lides au reste de la mani­fes­ta­tion, contri­buant à son invi­si­bi­li­sa­tion média­tique, puisque la place aurait vrai­sem­bla­ble­ment été occu­pée dans sa tota­lité.

La longueur excep­tion­nelle de cette offen­sive, devant l’hô­pi­tal, a en effet permis à la Préfec­ture d’ache­mi­ner le canon à eau sur les lieux. Arrivé de l’autre côté du carre­four, il a d’abord dispersé les assaillants, avant de s’avan­cer au beau milieu de la mani­fes­ta­tion pour la scin­der en deux parties, désor­mais isolées : sur l’ar­rière, les cortèges syndi­caux, qui reste­ront bloqués. Sur le devant, la tête de mani­fes­ta­tion, toujours compo­sée de jeunes, de syndi­ca­listes, de nombreux mani­fes­tants lambda, et des groupes auto­nomes. Le canon à eau a alors « poussé » la tête de cortège durant plusieurs dizaines de minutes, jusqu’à la place des Inva­lides, où un deuxième canon à eau s’est ajouté pour disper­ser les mani­fes­tants.

Mani­fes­ta­tion bloquée, dockers gazés

Derrière, les cortèges syndi­caux sont donc restés bloqués. Le gros de la mani­fes­ta­tion, stop­pée net par les CRS sur le boule­vard des Inva­lides, au niveau de la rue de Tour­ville, n’a jamais atteint l’es­pla­nade. On peut imagi­ner que la Préfec­ture de police n’a pas voulu prendre le risque de jeter plusieurs centaines de milliers de mani­fes­tants, dont beau­coup très remon­tés comme les quelques centaines de dockers arri­vés des diffé­rents ports français, sur une place déjà livrée à des affron­te­ments – la possi­bi­lité que la situa­tion ne tourne à l’af­fron­te­ment géné­ra­lisé n’étant pas à exclure. L’oc­ca­sion a cepen­dant permis à la Préfec­ture d’in­ter­dire la fin d’un parcours pour­tant auto­risé.

Cette déci­sion a aussi eu pour effet d’en­traî­ner une disso­lu­tion de fait de la mani­fes­ta­tion sur le cours même de son trajet. Sur le devant, les dockers, bloqués par les CRS au niveau de la place Vauban, ont bien tenu le siège (dans le plus grand calme) durant plusieurs dizaines de minutes. Mais au moment même où ils se retirent, déçus, pour aller prendre leurs bus de retour, ils sont violem­ment gazés de manière incom­pré­hen­sible par les poli­ciers. Ceux-ci déclenchent ainsi colère et affron­te­ments entre dockers et forces de l’ordre, autour de 18h sur la place Vauban, où les grenades lacry­mo­gènes pleu­vaient alors entre les auto­cars.

Accu­sés par le pouvoir de ne pas avoir joué leur rôle, les services d’ordre de la CGT se sont en réalité inter­po­sés entre les dockers et les CRS lorsque la mani­fes­ta­tion a été bloquée sur la rue des Inva­lides, appuyant de fait la déci­sion des auto­ri­tés de ne pas lais­ser le cortège termi­ner sa route. Les attaques menées par l’exé­cu­tif contre les services d’ordre de la CGT sont-elles une nouvelle mani­pu­la­tion desti­née à disqua­li­fier la centrale syndi­cale et à s’en prendre au droit de mani­fes­ter, comme le suggèrent aujourd’­hui les décla­ra­tions de Manuel Valls et François Hollande ?

Source http://www.regards.fr/web/article/chiffres-violences-retour-sur-le-14-juin-et-sa-mise-en-scene-media­tique

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