Démo­cra­tie univer­selle contre terro­risme

Cette fois, la démons­tra­tion est limpide et terrible à la fois : aucune tech­no­lo­gie mili­taire, aucun arse­nal sécu­ri­taire, aucune loi répres­sive, aucun quadrillage étatique, ne peuvent prému­nir la popu­la­tion contre une agres­sion terro­riste.  Les failles éven­tuelles de tel ou tel service le 13 novembre 2015 existent peut-être, mais cela ne pèse de rien. A Nice, personne ne pouvait rien faire, ni prévoir.  Surtout que la ville, comme l’ex­plique le Monde du 16 juillet, s’était consi­dé­ra­ble­ment entrai­née à une attaque, au moment du carna­val, de l’Eu­ro2016, ou autre hypo­thèse, avec des renforts, des exer­cices de simu­la­tion, des hypo­thèses d’at­taques « nucléaires, bacté­rio­lo­giques, chimiques »,  des cybe­rat­taques au festi­val de Cannes, des attaques venant de la mer, etc.

C’est ce constat impa­rable d’im­puis­sance qui rend la droite hysté­rique. Nice était le modèle de la ville de droite sécu­ri­sée, avec une police muni­ci­pale armée et nombreuse. C’est une faillite. La réac­tion des droites, tota­le­ment stupide, tourne à vide. Alors, elles tapent sur Hollande comme sur un punching ball. Mais c’est toute la classe poli­tique qui étale son impuis­sance. D’abord celle de Hollande bien sûr : état d’ur­gence inutile, dispo­si­tif senti­nelle inutile, attaques mili­taires redou­blées contre un Daech loca­lisé, alors que la menace Daech est dissé­mi­née. Après le 13 novembre, Hollande mordait sur le registre théma­tique de la droite et parve­nait ainsi – sauf le déra­page insensé sur la déchéance de natio­na­lité – a se refaire une stature d’homme d’Etat, comme on dit. Du moins quelques semaines. Mais cette fois, cela ne peut plus fonc­tion­ner, cela patine.  La mobi­li­sa­tion des réser­vistes, si elle s’ac­com­pagne d’un climat de revanche, pour­rait faire bascu­ler le pays dans une situa­tion impré­vi­sible (suspi­cion déchai­née de tous contre tous), même si elle comporte une intui­tion : c’est la popu­la­tion qui est la clef du problème.

Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas de problème mili­taire contre Daech, mais ce sont les popu­la­tions syrienne, irakienne et kurde qui peuvent le maitri­ser. Dans ce cadre, l’objec­tif N° 1 est la bataille contre Bachar al Assad, pour son renver­se­ment. Daech ne survi­vrait pas long­temps à une révo­lu­tion démo­cra­tique en Syrie, inté­grant les droits de la popu­la­tion kurde à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion. S’il faut des armes, c’est donc plus que jamais pour aider l’op­po­si­tion syrienne et les Kurdes, lesquels devraient aussi soute­nir la lutte du peuple syrien, plutôt que mener un combat unique­ment centré sur leurs droits à l’au­to­no­mie.

Il y a donc bien un front mili­taire spéci­fique en Syrie, combiné aux mobi­li­sa­tions popu­laires. Et il faut se battre pour que l’im­pé­ria­lisme, notam­ment français, arrête d’agir pour son propre compte, pour ses besoins sordides de poli­tique inté­rieure (bomber le torse pour montrer qu’on agit, bombar­der des cibles sans lien struc­turé avec les besoins précis des forces démo­cra­tiques syriennes), et aide au contraire les peuples du Moyen-Orient contre les dicta­tures. Tout doit être fait pour déser­rer l’étau sur Alep.

Mais il y a un deuxième front d’une autre nature en Europe, en France, dans les cita­delles impé­ria­listes. C’est un front poli­tique et cultu­rel. Il faut une bataille popu­laire, démo­cra­tique, sociale, inter­na­tio­nale, contre la guerre des civi­li­sa­tions entre­te­nue par Daech et provoquée histo­rique­ment par les ravages mondiaux du néo-libé­ra­lisme et les courants néo-conser­va­teurs. Les popu­la­tions sont prises en tenailles entre deux mâchoires symé­triques : l’ul­tra-iden­ti­taire qui va jusqu’au meurtre de masse, et l’ul­tra-libé­ra­lisme qui dissout les soli­da­ri­tés humaines et engendre le cynisme violent, pas seule­ment des Etats, mais dans les socié­tés elles-mêmes : concur­rence inter­in­di­vi­duelles, déliai­sons, perte du sens moral et humain. Ces atti­tudes qui engendrent la souf­france sociale débouchent inévi­ta­ble­ment sur les recherches de boucs émis­saires, sur le besoin de réas­su­rance dans le « natio­nal-social » contre « l’autre » ; et pour certains « autres », sur la reli­gion idéo­lo­gi­sée et décul­tu­rée (selon les termes d’Oli­vier Roy) jusqu’à la folie ou le dérè­gle­ment.

Il nous faut donc dire :  » affron­tons les attaques terro­ristes par la contre-offen­sive sur les droits humains univer­sels, en premier lieu l’ac­cueil des migrants et réfu­giés, sur la démo­cra­tie revi­vi­fiée avec parti­ci­pa­tion popu­laire, sur la refon­da­tion euro­péenne contre tout repli natio­na­liste. En France, il importe de refon­der la Répu­blique dans sa dimen­sion de géné­ra­li­sa­tion des droits humains et sociaux, de redon­ner du sens au commun et au collec­tif démo­cra­tique pratiqué dans le travail, les villes, les quar­tiers, les places publiques, de refon­der l’an­ti­ra­cisme par l’uni­ver­sel, de donner le droit de voter et de déci­der aux popu­la­tions qui vivent sur nos terri­toires, d’où qu’elles viennent. »

Il y aura donc d’autres attaques et d’autres tragé­dies, parce que le monde va très mal. Il faut s’y prépa­rer et l’af­fron­ter, et surtout ne pas penser que les choses vont se calmer, comme on a souvent tendance à le faire (et c’est humain). Les proces­sus révo­lu­tion­naires démo­cra­tiques pren­dront du temps, mais ils ont commencé dans les pays arabes, sur les places publiques, contre les agres­sions anti­so­ciales, contre les dérè­gle­ments clima­tiques. Contre le néoli­bé­ra­lisme et son monde barbare, contre les barba­ries étatiques (Syrie) ou terro­ristes qui expriment, en miroir ou en raccour­cis sanglants et vengeurs, toutes les violences du monde.

Jean-Claude Mamet (17 juillet)

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