Emma­nuelle Joshua. « La loi Darma­nin ou le syndrome de la grenouille »

« En tant que grenouille dans la marmite, je vous le dis, l’eau est déjà très chaude. »

https://blogs.media­part.fr/samy-johsua/blog/231223/loi-darma­nin-ou-le-syndrome-de-la-grenouille

Loi Darma­nin ou le syndrome de la grenouille

Un grenouille dans une marmite portée lente­ment à ébul­li­tion ira à sa mort sans jamais tenter de sauter. On y est, avec des vies concrètes détruites en dépit du bon sens et de toute huma­nité, comme le constatent amère­ment tout.e mili­tant.e de la soli­da­rité.

On connait tous la vieille histoire du syndrome de la grenouille. Plon­gez une grenouille dans un marmite d’eau froide, faites-la chauf­fer à feu doux. A la fin , elle explose. A aucun moment elle n’aura tenté de sauter. Bien sûr au bout d’un moment, elle aura bien senti que l’eau était un peu trop chaude mais en fait ce sera déjà trop tard.

En tant que grenouille dans la marmite, je le dis, dans la nuit du mardi 19 décembre au mercredi 20 décembre, ce qui s’est passé autour de la loi Darma­nin-LR-RN est un point de non-retour. Si la loi est promul­guée, alors c’est en effet les valeurs mini­males d’éga­lité et de frater­nité qui seront bafouées.

Nous qui accom­pa­gnons les plus fragiles – enten­dez par là, les exilé.es, réfu­gié.es, étran­ger.es – nous obser­vons jour après jour et depuis plusieurs années, les dégâts d’une poli­tique folle qui prive de droits, enfants, jeunes, familles, étudiant.es, personnes âgées, malades, travailleuses et travailleurs. Et les caps de l’in­hu­ma­nité admi­nis­tra­tive sont passés degré par degré créant des clan­des­tins, des sans-droit , des misé­reux.

Il serait trop long de faire la liste de tout ce que la loi contient comme injus­tices. Les procé­dures de régu­la­ri­sa­tion sont encore restreintes et le cap est passé en ce que les étran­gers en situa­tion régu­lière sont eux aussi s soumis à des mesures scan­da­leuses. Les puis­sants légi­fèrent pour prendre les dernières miettes à celles et ceux qui n’avaient déjà rien. Avec ce rien, on ne remplira aucune caisse de l’Etat mais ce n’est pas grave, ce n’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est de montrer aux yeux d’une popu­la­tion soi-disant d’ac­cord que nous faisons régner un soi-disant ordre contre des soi-disant profi­teurs.

A coup de chiffres, d’enquêtes, d’ar­gu­ments, les spécia­listes des migra­tions, jour après jour expliquent qu’il n’y a pas de « crise migra­toire » et que l’im­mi­gra­tion rapporte plus que ce qu’elle coûte. Je ne repren­drai pas ces expli­ca­tions, mais j’ai choisi trois exemples pour expliquer qu’aucun migrant, aucune migrante ne traverse les déserts, les mers et les fron­tières pour l’AME ou pour finir sa vie avec une aide sociale. Aucune mère ne met au monde un enfant pour toucher des allo­ca­tions fami­liales. Aucun jeune ne vient chez nous pour deve­nir un délinquant. NON et encore NON.

Premier exemple. « La France respecte le droit du sang et le droit du sol. » Voilà ce que nous disons , nous, profes­seurs d’EMC à nos élèves. Et bien avec cette loi, ce ne sera plus le cas. Il y aura donc deux caté­go­ries d’en­fants. Celles et ceux qui seront né.es avec des parents étran­gers devront faire une « demande expresse » pour deve­nir français. Et pour justi­fier cette déci­sion, on nous explique que déjà sous Pasqua, c’était ainsi et qu’il y a des restric­tions à Mayotte. Comme si les injus­tices passées ou d’ailleurs justi­fiaient les injus­tice de chez nous.

Deuxième exemple. Vivre avec des problèmes de papiers est un long chemin de peurs et d’injus­tices. Lors de la première vague de COVID, mon père qui n’est plus tout jeune est tombé malade. Alors que je l’avais au télé­phone, il me dit : « Si ça tourne mal, tu sais où sont les clefs du coffre ? ». Dans ce coffre, il doit sans doute y avoir une petite enve­loppe avec quelques billets mais surtout il y a les PAPIERS, ceux qui prouvent que nous sommes bien français. C’est à cela que pensait mon père entre deux quintes de toux.

Troi­sième exemple. Le Réseau éduca­tion sans fron­tière, auquel j’ap­par­tiens, tient des perma­nences pour permettre la scola­ri­sa­tion qui est un droit univer­sel. Dans ces perma­nences, nous rece­vons des jeunes qui nous arrivent les mains et le ventre vides. Quand on leur demande ce qu’ils ou elles veulent, ils nous répondent : « une forma­tion ». Ils le demandent dans toutes les langues. A la dernière perma­nence, à un jeune homme de vingt-trois ans, je réponds « Déso­lée, Monsieur, vous êtes trop âgé pour obte­nir une place à l’école ». Ses yeux se remplissent de larmes. Il venait d’ar­ri­ver à Marseille, dormait à la rue. Il avait sans doute faim et avait attendu deux heures dans un froid glacial pour s’en­tendre dire « Désolé Monsieur, vous êtes trop âgé ». Alors il ajoute : « j’ai fait la route pendant sept ans et j’ar­rive trop tard ». Et lorsque je lui ai proposé des affaires scolaires, il m’a remer­ciée, prenant dans son sac à dos les cahiers de CP de la Mairie et des crayons-papier et me remer­ciant. « Il faut que j’ap­prenne à lire et à écrire. »

Qui peut penser qu’un jeune homme qui part avec des cahiers et des stylos dans son sac à dos est venu pour voler le pain des français ? Qui peut penser cela ?

A la première, à la deuxième, à la troi­sième géné­ra­tion, nous sommes tous des enfants d’im­mi­gré.es !

Il nous faut nous en souve­nir et refu­ser le sort qui nous est fait.

En tant que grenouille dans la marmite, je vous le dis, l’eau est déjà très chaude.

Emma­nuelle Johsua, Marseille le 22 décembre 2023.

Signez la péti­tion.

https://www.huma­nite.fr/poli­tique/loi-immi­gra­tion-darma­nin/appel-monsieur-le-president-ne-promul­guez-pas-la-loi-immi­gra­tion

 

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