http://www.regards.fr/web/en-finir-avec-les-grands-projets,8020
La mort de Rémi Fraisse a montré l’indignité d’un gouvernement qui y a réagi par le mépris. Elle résulte surtout du soutien aveugle à un projet aberrant, et du choix de criminaliser les mobilisations plutôt que de favoriser les expériences citoyennes.
Maxime Combes et Nicolas Haeringer sont membres d’Attac et du comité de rédaction de la revue Mouvements.
La violence policière qui s’exerce depuis plus de deux mois sur la zone humide du Testet a abouti à la mort de Rémi Fraisse. Les circonstances exactes de son décès ne sont pas encore connues, même s’il apparaît de plus en plus clairement qu’il a été touché par un projectile (probablement une grenade assourdissante) tirée par les gendarmes mobiles. Il est surtout certain que Rémi serait encore vivant si les promoteurs du barrage ne s’étaient pas entêtés à poursuivre des travaux, controversés et injustifiés, conduits sous une répression brutale des opposants au projet.
En décidant de salir la mémoire de Rémi – plutôt que de présenter ses condoléances à la famille – et de dénoncer la violence des manifestants, le gouvernement fuit ses propres responsabilités. La manœuvre est classique, qui consiste à faire porter le débat sur la violence (supposée) des manifestants plutôt que sur les raisons qui ont poussé des milliers de personnes à se mobiliser contre un projet d’aménagement considéré comme inutile et imposé et qui est, désormais, meurtrier.
Entêtement meurtrier et répression des oppositions
La mobilisation citoyenne contre le projet de barrage de Sivens n’a pas débuté le week-end dernier. Depuis des mois, des paysans, des riverains et des militants dénoncent un projet aberrant, dont l’objectif est de soutenir l’agriculture productiviste et insoutenable plutôt que de protéger une zone humide, habitée par de nombreuses espèces protégées. Depuis des mois ces opposants alertent sur la brutalité des forces de l’ordre. Si le gouvernement ne les avait pas délibérément ignorés, s’il avait accepté d’écouter les arguments des opposants plutôt que de leur répondre par la force, Rémi serait encore vivant.
Rien ne justifie ce refus du dialogue et cet entêtement meurtrier. Le gouvernement doit donc répondre de ses choix et de leurs conséquences. On rappellera ici que le principe qui doit théoriquement guider tout opération dite de « maintien de l’ordre » est le suivant : l’intervention des autorités ne doit pas créer un trouble à l’ordre public plus important que celui auquel la dite intervention est censée répondre. Quelle est donc la nature de ce trouble qui justifierait la répression brutale et aveugle ? À Sivens, en prévision du rassemblement du week-end passé, les engins de chantier avaient été préalablement déplacés. La présence de gendarmes mobiles suréquipés ne visait donc pas à empêcher des actes de sabotage.
Ce que le gouvernement souhaite éviter à tout prix, à Sivens comme ailleurs (à Notre-Dame-des-Landes par exemple), c’est donc bien l’expression même de l’opposition à ces grands projets inutiles, imposés et désormais meurtriers. Ce que Manuel Valls – alors ministre de l’Intérieur, il parlait, à propos de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, d’un « kyste » – et François Hollande ne veulent pas tolérer, ce sont ces occupations assorties de l’expérimentation de modes de vie alternatifs, autosuffisants, réellement durables.
François Hollande devant un choix
Ce n’est qu’un renoncement de plus, tragique, pour un président qui se voulait « à l’écoute » et affirmait ne pas vouloir « diviser » la société. L’histoire retiendra désormais de la présidence de François Hollande qu’elle est la première depuis celle de Giscard d’Estaing au cours de laquelle un militant a trouvé la mort lors d’une manifestation écologiste. Pour notre génération, celle qui a grandi avec le mouvement altermondialiste, la mort de Rémi fait écho à celle de Carlo Giuliani à Gênes en 2001, tué par la brutale et meurtrière police italienne à qui Berlusconi avait donné carte blanche.
En 1986, les socialistes considéraient la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, comme une faute politique. Le jeune homme avait été tué par des policiers, partis « à la chasse aux casseurs » après une manifestation étudiante. Alain Devaquet, ministre délégué à l’Enseignement supérieur, avait été contraint à la démission. Jacques Chirac, alors premier ministre, décidait par la suite de retirer le projet de loi. Le « bataillon de voltigeurs », mis en place par Robert Pandraud et Charles Pasqua, était rapidement dissout, bien que ces derniers aient décidé de nier leur responsabilité, préférant salir Malik. De son côté, François Mitterrand avait transmis à la famille de Malik le « témoignage de la nation ».
François Hollande est donc confronté à un choix : se ranger du côté de Berlusconi et Pasqua, en refusant de reconnaître la responsabilité de son gouvernement ou, au contraire, reconnaître le désastre que leurs choix ont provoqué, et mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les circonstances exactes du décès de Rémi. Au-delà, la seule sortie honorable serait de décréter un moratoire général sur l’ensemble des grands projets inutiles, et imposés.
Des pratiques et des expériences à défendre
De fait, le barrage de Sivens n’est pas le seul projet d’aménagement pour lequel le gouvernement français fait le choix de la répression et de la criminalisation des mobilisations citoyennes contre le dialogue. Notre-Dame-des-Landes, la ligne ferroviaire Lyon-Turin – dont les travaux doivent débuter côté français en décembre – ou encore la centrale biomasse d’E.On à Gardannes, Europacity, l’usine des 1000 vaches, OL Land, etc. sont autant de grands projets d’aménagement contre les dangers desquels se mobilisent de nombreux groupes citoyens. Pour que le sang ne coule pas à nouveau, il est encore temps de stopper ces projets d’un autre temps et contraires à l’urgente transition écologique et sociale.
François Hollande, le gouvernement et le Parti socialiste semblent totalement incapables de lire l’opposition à ces projets comme une manifestation du « principe démocratie » qu’analysent le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier. Hollande, Valls et le PS comprennent ces mobilisations comme autant de formes d’obscurantisme et de blocage rétrograde là où nous voyons des pratiques et des expériences à défendre, des pistes pour inventer une société réellement durable et respectueuse des écosystèmes. Plutôt que d’envoyer la troupe, il serait possible d’imaginer des politiques réellement innovantes, à partir des pratiques et expérience dans lesquels s’engagent les acteurs mobilisés à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, etc.
En plein débat sur la transition écologique, on se prend à rêver que ces zones initialement vouées à être bétonnées soient reconnues comme des espaces d’expérimentations de modes de vie soutenables, accueillant ici un centre de ressources et de recherche sur la permaculture et l’habitat léger ; là un lieu de formation à l’agroécologie paysanne ; ailleurs un laboratoire participatif de travail sur les énergies renouvelables.
Entre la répression policière et le soutien à des expériences concrètes de transition écologique, entre le déshonneur et l’expérimentation sociale, François Hollande et le gouvernement ont donc le choix.
Communiqué du Front de Gauche. Mort pour un projet inutile
La manifestation nationale de soutien au mouvement des opposants à la destruction de la zone humide du Testet dans le Tarn a eu lieu samedi 25 octobre pour l’essentiel dans le calme. Mais des incidents graves et violents ont eu lieu tard dans la nuit du 25 au 26 octobre entre les gendarmes mobiles et les opposants au projet du barrage. Suite à ces incidents, un jeune homme de 21 ans, Rémi Fraisse est décédé. Nous présentons toutes nos condoléances à la famille et aux proches de Rémi Fraisse.
Nous savons maintenant de source officielle que sa mort a été causée par une grenade offensive tirée visiblement dans le dos. La mort de ce jeune homme n’est donc pas un accident. La responsabilité en revient d’abord à à tous ceux qui s’obstinent depuis des mois à imposer un grand projet inutile remettant en cause la bio diversité, bafouant la démocratie et la mobilisation citoyenne. Elle est aussi celle d’un gouvernement, et en premier lieu des ministres de l’Intérieur successifs, qui ont choisi la répression brutale, celle-ci s’aggravant même ces dernières semaines. L’utilisation de grenades offensives pour réprimer des mouvements citoyens, que le ministre de l’Intérieur a été obligé maintenant d’interdire, est d’une extrême gravité dans un pays démocratique. Elle interpelle l’ensemble des forces attachées à la liberté de manifestation et plus globalement à l’existence d’un Etat de droit. Cette situation ne peut rester sans réaction et le Front de gauche se prononce pour une large réaction démocratique unitaire.
Mercredi 29 octobre 2014
Mercredi, 29 Octobre, 2014 – 10:37
Voici un tract / appel à manifester revenant sur les événements du
> week-end à Sivens et appelant à la manifestation de Toulouse ce samedi.
Un élément du débat.
Pour Rémi Fraisse.
>
>
> Ces deux derniers mois, au Testet, nous avons vu le visage odieux de «
> l’aménagement du territoire », nous avons vu les débardeuses travailler
> inexorablement derrière des rangs des gardes mobiles repoussant les
> opposants, derrière des nuages de gaz lacrymogènes, au milieu du bruit
> des grenades, nous avons vu aussi après leur passage la désolation et la
> stérilité. Ça ne ressemblait pas aux plaquettes de papier glacé imageant
> le futur, qu’ils tendent avec impudence pour nous convaincre de leur
> Progrès. Ils créent du vide, et ce vide, ils le défendent avec la
> violence séculaire dont ils sont capables, jusqu’à tuer. C’est ce néant
> et la possibilité de sa croissance qu’ils défendaient encore ce samedi
> 25 octobre, possibilité qui repose sur la peur qu’ils inspirent, sur la
> pression mentale et physique qu’ils exercent sur nous. Ils étaient là ce
> samedi, malgré les promesses du préfet, non pas pour prévenir de
> nouvelles dégradations sur les quelques mètres de grillage qui les
> entouraient, mais pour faire perdurer cette mise sous pression des
> opposants qui depuis le début des travaux de déboisement n’a jamais
> cessé. Chaque jour les charges policières, les multiples exactions ont
> tenté de faire passer aux défenseurs de la forêt de Sivens l’idée folle
> qu’ils puissent avoir quoi que ce soit à dire sur l’avenir de ce
> territoire. Et aujourd’hui encore, sans aucun souci de décence, ils
> affirment que les travaux sont trop avancés pour revenir en arrière.
> Experts ou flics, ils exercent cette politique du fait accompli sans
> vergogne.
>
> Pourtant, vendredi soir, les opposants ont démontré que ce qui est bâti
> peut être détruit. En effet, dans la nuit, la « base de vie » des
> gendarmes a été incendiée. Son aspect donnait d’ailleurs une idée de ce
> que « vie » signifie pour eux : une plate-forme de terre « dévégétalisée
> » entourée de douves de trois mètres de profondeur, remplies d’eau,
> doublées de rangées de grillages. A l’intérieur, un algeco et un groupe
> électrogène alimentant un énorme spot tourné vers l’extérieur. Le
> lendemain, ils faisaient tout de même bloc autour de ses cendres,
> voulant démontrer qu’aucune victoire n’est possible pour nous. C’est
> cette assertion qui tentait d’être retournée durant la manifestation, en
> affirmant à plusieurs milliers qu’on ne pliera pas, et que c’est eux qui
> partiront. Rapidement nous nous sommes massés le long des boucliers et
> des grillages. La co-présence de deux visions du monde si antagonistes
> ne peut durer longtemps sans exploser. Certains s’avancèrent un peu plus
> pour passer de la parole au geste et les affrontements commencèrent pour
> ne s’arrêter qu’au petit matin. Face à nous, des lacrymogènes par
> centaines, lancés à hauteur de visage, des grenades assourdissantes
> éclatant au milieu de la foule, des tirs de flash-balls en pagaille…
> Dans ce contexte, Cazeneuve a raison, le meurtre de Rémi n’est pas une
> bavure. C’est bien une possibilité toujours présente de l’action des
> forces de l’ordre et de leurs armes soi-disant non létales. Leur ultime
> menace. D’ailleurs, plusieurs heures après le drame, alors qu’ils
> savaient tous qu’ils avaient tué un jeune homme, les gardes mobiles
> continuèrent leur distribution généreuse de grenades. La stupéfiante
> normalité de ce crime ne fut brisée que lorsqu’ils prirent conscience de
> la légitime colère qui risquait de s’abattre sur eux. Alors seulement,
> ils levèrent le camp.
>
> On a entendu, ce dimanche, des voix nauséabondes tenter de scinder le
> mouvement, de séparer le bon grain de l’ivraie, comme d’habitude, comme
> toujours. Rémi était dans les affrontements, nous y étions tous. Ils
> veulent que nous nous cloîtrions dans le pré carré d’identités faciles à
> cerner : le non-violent et celui qui s’affronte avec la police, le
> pacifiste et le casseur, etc. Alors il faudra le répéter : il n’y a ni
> bon, ni mauvais manifestant. Il n’y a que des opposants à ce stupide
> projet. Lorsque la police use d’une telle violence, lorsqu’on voit tant
> de mutilés, on comprend aisément l’utilité de boucliers ou de masques à
> gaz, lorsque le fichage politique est exponentiel, lorsqu’après la
> manifestation du 22 février à Nantes, l’accusation se base sur des
> vidéos, on comprend que certains se masquent le visage. Parler de «
> black bloc », désigner des « encagoulés », c’est ce que l’État fait pour
> masquer un fait majeur : les opposants ont tiré des enseignements des
> luttes de ces dernières années, notamment en ce qui concerne les
> pratiques policières et judiciaires. C’est toute une génération
> politique qui a appris comment s’équiper face à la police si l’on ne
> veut pas céder à l’argument du flashball et de la matraque. Et l’on sait
> comment à la Notre-Dame-des-Landes cette forme de résistance fut
> décisive.
>
> Au Val Susa dans les alpes italiennes, toute une vallée se bat contre un
> projet de ligne TGV, dans la multiplicité des pratiques. Ainsi, lorsque
> l’État italien a tenté de les diviser en pointant du doigt un prétendu «
> black bloc » qui serait venu s’infiltrer parmi les « opposants
> non-violents », le mouvement a répondu d’une seule voix : « nous sommes
> tous des black blocs ». Si s’opposer physiquement, si refuser de plier,
> si faire éclater sa colère, c’est être un casseur, alors nous sommes
> tous des casseurs.
>
> Ce qui nous réunit, c’est une commune émotion, un NON ferme et sans
> appel à leur projet. Et depuis la mort de Rémi, c’est la tristesse et la
> rage qui nous tiennent ensemble. C’est cette certitude aussi : nous ne
> laisserons jamais ce barrage se faire. L’émotion commune, la colère
> populaire, voici ce qui les effraie, ce qui les a toujours effrayés,
> rois, flics ou aménageurs. Ils nous voudraient calmes, patients,
> attendant que « justice se fasse ». Mais leurs appels résonnent dans le
> vide. Car l’un d’entre nous est mort. Valls nous a prévenus, il «
> n’acceptera pas la mise en cause des policiers. » Leur justice
> cautionnera leur police comme elle l’a toujours fait. Et nous, nous
> faisons ce que le peuple sait faire : prendre la rue, hurler au visage
> des assassins, lézarder le décor impassible pour qu’il en porte la
> marque, pour en finir avec l’impunité policière. Il en va de notre vie à
> tous. Il en va du souvenir de Rémi.
>
Un article de Mediapart
Directeur de la publication : Edwy Plenel
http://www.mediapart.fr
Barrage de Sivens: les dérives d’un socialisme de notables
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 31 OCTOBRE 2014
Après la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive qu’avaient lancée les gendarmes, le conseil
général du Tarn décide ce vendredi du sort du barrage de Sivens. Dans ce fief PS, Thierry Carcenac, président du conseil général, élu depuis près de quarante ans, cumulard et ayant exercé à peu près tous les mandats qu’offre la République, fontionne en vase clos. L’affaire du barrage est l’illustration tragique de la lente dérive d’un socialisme gestionnaire, conduit par des notables enferrés dans leurs certitudes.
Comment imaginer qu’ils se déjugent ? Vendredi, les conseillers généraux du Tarn, tenu par le PS, doivent
décider du sort réservé au barrage de Sivens, sur le chantier duquel le jeune Rémi Fraisse a été tué ce week-end par une grenade offensive qu’avaient lancée les gendarmes. Ce projet aujourd’hui contesté et remis
en cause, ils l’ont toujours soutenu.
Le 17 mai 2013, les élus de gauche (majoritaires) et de droite l’avaient approuvé par 43 voix sur 46. À l’époque, seuls trois élus avaient voté contre : Jacques Pagès (divers gauche) et deux communistes, Roland Foissac et Serge Entraygues, qui réclament aujourd’hui l’abandon du projet
.
Dans les années 1990, il en était déjà question pour stocker l’eau et aider les exploitations agricoles dans le bassin-versant du Tescou, cette partie pauvre du département. Le récent rapport des experts du ministère de l’écologie pointe une série de dysfonctionnements : des besoins en eau surévalués(le nombre d’exploitants bénéficiaires serait de 30 à 40, pas 81 comme l’affirme le conseil général), une étude d’impact insuffisante, un plan de financement« fragile », etc. Malgré le drame, la majorité des élus locaux campent sur leurs positions : suspendre le chantier, d’accord. Le redimensionner comme le suggère le rapport d’experts ? Peut-être. Mais l’arrêter comme le demandent les écologistes, pas question.
« Il n’est pas possible que des gens violents imposent leur décision à tous les autres »,assure dans Le Monde le président du conseil général, Thierry Carcenac, qui en a fait une affaire personnelle.
« Si on cède à 200 personnes aujourd’hui, on ne pourra plus construire d’autoroutes en France », tempête Jacques Valax, député PS, lui aussi élu départemental. L’opposition locale est sur cette ligne, comme les responsables nationaux de la FNSEA, le premier syndicat agricole, connu pour sa défense d’un modèle productiviste.
« Ce barrage est primordial pour les agriculteurs et s’il est arrêté, définitivement, c’est la mort d’une vallée », menaceJean-ClaudeHuc, président de la chambre d’agriculture du Tarn, administrateur de la FNSEA. Dans Le Figaro, le président de la FNSEA, Xavier Beulin, s’en est violemment pris aux activistes anti-barrages, accusés d’être des « djihadistes verts ».
Le Tarn, terre de gauche imprégnée de socialisme et de radicalisme, fut la patrie de Jean Jaurès, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort. Le fondateur de L’Humanité y fut d’abord professeur de philosophie, puis élu en 1893 député de Carmaux, en pleine grève des mineurs. Par fidélité au fondateur de la SFIO, l’ancêtre du PS, c’est à Carmaux que François Mitterrand lança sa campagne présidentielle en 1980.
Depuis la décentralisation de 1982, le conseil général a toujours été à gauche, dirigé par le PS avec le soutien
des radicaux de gauche.
Dans ce fief rose, c’est aujourd’hui un socialisme gestionnaire, de plus en plus contesté dans les urnes,
qui est aux manettes. C’est là sans doute une clé d’explication de l’entêtement de Thierry Carcenac,
président du conseil général, à soutenir un barrage à l’intérêt discutable, puis à en lancer les travaux malgré
la contestation d’occupants toujours plus nombreux au cours des derniers mois et malgré les nombreux
recours en justice encore en cours d’examen. Combiné à une forte présence des gendarmes, ce jusqu’au-
boutisme a contribué à tendre la situation sur place.
Il y a une semaine, Carcenac, 63 ans, était un parfait inconnu dans la politique française. Jusqu’à la mort
de Rémi Fraisse et cette déclaration qui a choqué: « Mourir pour des idées, c’est une chose, mais c’est
quand même relativement stupide et bête. »
Thierry Carcenac est l’incarnation du grand baron local, réélu à tout coup.
Issu d’une famille modeste, il a exercé à peu près tous les mandats qu’offre la République. Il est élu la première fois en 1976 – conseiller municipal de Lescure-d’Albigeois. Puis trois ans plus tard au conseil général (canton d’Albi Nord-Est), dont il est alors le benjamin. Depuis trente-cinq ans, il n’a jamais quitté les bancs de l’assemblée
départementale. En 1992, il succède à la présidence à Jacques Durand, l’homme fort du département, mort
prématurément. Il y est toujours. Cumulard assumé, Carcenac a été député entre 1997 et 2012. Le 28 septembre, il a été élu sénateur. Talonné de 17 voix par un candidat UMP, mais élu.
Dans les années 80 et 90, cet inspecteur des impôts de profession a été chargé de mission auprès de ministres socialistes, de l’industrie et du budget : Édith Cresson, Michel Charasse, Martin Malvy, l’homme fort de la région. Il exerce ou a exercé une série de fonctions locales clés : président de l’ Agence pour l’animation du Tarn économique, des sociétés d’économie mixte Sem 81 et E.Téra, des syndicats mixtes de l’Abbaye-École de Soréze et d’aménagement du musée Toulouse-Lautrec d’Albi ou encore président du syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM) d’Arthès-Lescure.
« C’est vrai que ma longévité peut interroger, concédait-il déjà en 2004. Je ne suis pas usé, je me remets en cause en permanence et je suis le plus possible à l’écoute des autres. Mon atout c’est mon expérience. (…) Jeune, vous arrivez et vous ne connaissez rien. »
Dix ans plus tard, il a le même discours pour justifier sa candidature aux sénatoriales.
« J’aurais pu arrêter. Mais je pense que je peux encore apporter quelque chose. Je veux être une voix et une
écoute. »
Les élus du conseil général: 64 ans et demi de moyenne d’âge
Dans une lettre à en-tête du conseil général envoyée le 17 septembre à ses électeurs, Thierry Carcenac dénonce une « opposition » agressive et violente qui « tente d’imposer l’abandon du projet par des méthodes inadmissibles dans un État de droit ». Dans la campagne des sénatoriales, Carcenac a mis en
avant son intransigeance pour s’attirer les voix des grands électeurs. Le parti de gauche, qui a déposé
un recours contre son élection au Sénat, lui reproche d’ailleurs d’avoir « utilisé les moyens financiers du
conseil général pour s’adresser aux électeurs par des publi-communiqués publiés dans La Dépêche duMidi dans lesquels il défendait le projet de barrage »
.
Plus globalement, les politiques locaux à majorité socialiste ne semblent avoir pris que tardivement la
nature et la mesure de la contestation suscitée par le projet, comme s’ils n’avaient voulu y voir que des «casseurs» opposés à tout progrès – une rhétorique reprise ces derniers jours par Manuel Valls qui, avant le drame, s’était vanté d’avoir « tenu bon » à Sivens devant les Jeunes Agriculteurs.
La faute à leur profil ?
Maître d’ouvrage duprojet, l’assemblée départementale est âgée : aucun trentenaire, une seule quadra, 64 ans et demi en moyenne selon nos calculs. Les trois quarts des élus ont plus de 60 ans, ce n’est « que » 60 % dans les
autres conseils généraux. Un conseiller général sur 6 a plus de 70 ans. Il est aussi peu féminisé : 5 femmes
seulement, dont quatre sont simples conseillères et ont moins de 60 ans. La seule femme vice-présidente,
Claudie Bonnet, en charge de l’action sociale (plus de la moitié des 440 millions d’euros de budget du département), a été assistante parlementaire d’un ancien sénateur socialiste.
La faute à l’inertie et à l’entre-soi ?
Le Tarn est une petite baronnie socialiste. Les carrières politiques y sont longues. Jacqueline Alquier, sénatrice PS qui s’est retirée en 2014, a été élue au conseil général dès 1979, avant de devenir députée puis d’être élue à la Haute Assemblée en 2004. Le Tarn est aussi la terre de l’ex-sénateur socialiste Jean-Marc Pastor, élu au conseil général en 1982 (il y est resté 26 ans) et au palais du Luxembourg en 1996. En 2011, Mediapart avait révélé qu’il avait fait facturer par le Sénat 2 500 euros de repas pris dans un restaurant géré par sa fille et dont il détenait des parts. Ce qui l’avait poussé à produire une fausse lettre de soutien du président du Sénat…
Dans l’actuel conseil général, nombre d’élus l’ont été dans les années 1990. C’est par exemple le cas d’André Cabot, vice-président PS du conseil général, qui supervise le projet de barrage. Élu en 1992 dans le canton de Valderiès, la ville dont il estmaire, ce technicien d’agriculture de profession est aussi président du « puissant et omniprésent syndicatd’adduction d’eau de Valence Valderiès », dixit LaDépêche du Midi.
Cabot est aussi administrateur de la CACG (Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), structure interrégionale qui a mené les études sur le barrage, mais est censée le construire et même l’exploiter.
« Elle a joué depuis 25 ans un rôle central dans le portage de cette opération », pointe le rapport des experts du ministère, qui remet en cause certains de ses calculs et déplore qu’aucune alternative au barrage n’ait été étudiée. Cette structure est trustée, côté politiques, par des représentants socialistes et radicaux et, côté agriculteurs, par la FNSEA. André Cabot est aussi vice-président de l’agence de l’eau Adour-Garonne qui finance 50 % des 9 millions d’euros de travaux.
Ce monde de décideurs en vase clos ne remet guère ses certitudes en doute. Comme Mediapart l’a écrit, le conseil général du Tarn a déjà mis en service un barrage surdimensionné en 1998, construit et exploité par la CACG, et aujourd’hui lourdement déficitaire. Dans un autre domaine, la quasi-totalité des élus du Tarn plaident depuis des années pour une autoroute entre Castres et Toulouse. Thierry Carcenac n’écarte pas la piste d’un partenariat public-privé, qui garantirait des délais rapides mais pourrait faire monter la facture pour l’automobiliste jusqu’à 15 euros l’aller-retour.
Au sein du PS, seul Samuel Cèbe, le jeune secrétaire fédéral, et Linda Gourjade, députée PS qui fait partie des « frondeurs » socialistes, se prononcent pour une liaison sans péage.
Comme ailleurs, le système politique local est condamné à évoluer. Le PS, qui ne détient pas Albi et
Castres, les deux grandes villes, a perdu du terrain aux municipales de mars, Graulhet et Gaillac étant passés
à droite. Le Front national est entré dans cinq conseils municipaux. À Graulhet, le candidat frontiste a fait
plus de 30 %.
Avec l’introduction de la parité et le renouvellement global et plus partiel de l’assemblée départementale,
les cantonales de 2015 vont accélérer le renouvellement du personnel politique. Manuel Cèbe,
le jeune premier fédéral, a posé une règle claire : pas plus de trois mandats.
« Thierry Carcenac a inscrit sa présidence dans la durée, le rassemblement, l’expérience et le respect des personnes. La fédération du PS le soutient dans sa mission jusqu’en 2015 », indique-t-il dans la presse locale. Autrement dit : pas au-delà.
« Dix-huit ans, c’est suffisant pour accomplir sa tâche. L’objectif est de renouveler et d’ouvrir les exécutifs »,
dit-il. Thierry Carcenac n’a pas dû apprécier.
——————–
Manifestation dimanche à Paris.
France Nature
Environnement, dont Rémi Fraisse était membre,
annonce un « sit-in pacifique » à la mémoire du jeune
militant écologiste mort à Sivens. Cette manifestation
aura lieu le dimanche 2 novembre à 16 heures au
Champ-de-Mars à Paris, devant le Mur pour la paix.