En Europe, la crise et l’austérité, le durcissement des politiques néolibérales et le déni de démocratie, ont conduit à une crise de légitimité sans précédent de l’Union européenne, tandis que la réaction contre l’accueil des migrants, l’idéologie guerrière et les politiques sécuritaires suite aux attentats terroristes, provoquent une montée des extrêmes droites xénophobes. La guerre sociale et les politiques de libre-échange, le racisme et la remise en cause des droits fondamentaux et de la démocratie, progressent au niveau national comme des institutions européennes.
Les politiques austéritaires et anti-démocratiques sont mises en œuvre, pour l’essentiel, par les gouvernements nationaux, mais avec le soutien actif des institutions européennes, qui fonctionnent désormais comme une « cage de fer » contre toute alternative au néolibéralisme en Europe. L’hétérogénéité des économies nationales qui composent l’Union européenne n’a cessé de s’aggraver entraînant des déséquilibres commerciaux au profit des pays du nord, en particulier de l’Allemagne. Les politiques d’austérité, dont la mise en œuvre s’est accélérée suite à la crise économique de 2008, ont défait les droits sociaux nationaux, augmenté le chômage et la précarité. La politique menée à l’encontre des choix démocratiques du peuple grec a manifesté de manière éclatante la brutalité et le mépris de la souveraineté populaire dont les classes dirigeantes européennes sont capables. L’expérience grecque a montré que l’Union européenne et l’Union économique et monétaire telles qu’elles sont constituent des obstacles majeurs à la mise en œuvre d’une politique de gauche dans un pays membre et à la tentative de modifier l’agenda néolibéral dominant en Europe.
L’accord conclu le 17 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie nie le droit d’asile pour les réfugiés qui fuient la guerre, la répression et la dictature en Syrie. Il constitue un ignoble marchandage, contraire aux droits humains et à l’impératif d’accueillir les réfugiés et de promouvoir des politiques d’aide, d’insertion et de solidarité en Europe. Lors du référendum du 23 juin 2016 au Royaume-Uni, une majorité d’électeurs a choisi de sortir de l’Union européenne, un vote dominé par une réaction nationaliste xénophobe et hostile à l’immigration en Angleterre. Ce vote a aussi constitué, dans la majorité de l’électorat populaire, un vote de refus de l’Union européenne, alors même que le Royaume-Uni pratique les mêmes politiques anti-sociales, n’est pas dans l’Union économique et monétaire, et que les élites « probrexit » comme « antibrexit » se sont efforcées d’échapper (suivant la ligne de l’« optout ») aux règles sociales a minima existantes dans l’Union européenne.
Soixante ans après la création de la CEE en 1957, le bilan est négatif. Les institutions anti-démocratiques et les traités de l’Union européenne doivent être remplacés par une autre union, au service des peuples européens. Une toute autre Europe politique doit être mise à l’ordre du jour : un nouveau traité, instituant une nouvelle union.
Contre l’austérité imposée par les institutions européennes et les gouvernements nationaux, contre l’exploitation et le déni des droits des migrants et contre les replis xénophobes défendus par les droites et l’extrême droite, il est essentiel de mettre en avant les intérêts communs et le destin partagé des peuples d’Europe, et de redéfinir leurs relations avec l’ensemble des pays, notamment du pourtour de la Méditerranée et de l’Afrique. Avec les mouvements sociaux, syndicaux, antiracistes, avec toutes les forces de la gauche et de l’écologie, en France comme en Europe, qui refusent le vieux modèle austéritaire qui a fait faillite, il est urgent de construire le front le plus large pour :
– Rompre avec les traités actuels et refonder une Europe des peuples, écologique et égalitaire, avec un nouveau socle de droits économiques (temps de travail réduit, salaire minimum européen, harmonisation fiscale et sociale vers le haut, santé et sécurité au travail, disparition des paradis fiscaux,…), sociaux (protection sociale, égalité des femmes et des hommes, respect des droits humains,…) et politiques (conditions d’information, d’élection et de contrôle démocratiques pour tou-te-s les résident-e-s dans les pays d’Europe…).
– Les instances européennes non élues, et non contrôlées démocratiquement par des assemblées représentatives (Commission européenne, Conseil de l’Union européenne, Conseil européen, Eurogroupe, directoire de la Banque Centrale Européenne, direction du Mécanisme Européen de Stabilité, les agences européennes), doivent être remplacées et redéfinies dans un processus démocratique. Ce processus pourra prendre la forme d’une Assemblée Constituante européenne – le périmètre de cette nouvelle Europe politique ne recoupant pas nécessairement les 28 pays actuellement membres de l’UE – combinant débats et décisions démocratiques à l’échelle nationale et à l’échelle internationale, élaborant de nouveaux fondements acceptés et ratifiés par les peuples.
– Engager l’Europe vers la transformation écologique, mobiliser les moyens financiers pour opérer une transition énergétique et développer des projets utiles aux systèmes de transports non-polluants, à la protection de l’environnement, à la lutte contre le réchauffement climatique, la sortie du nucléaire, et pour une politique agricole commune prenant le parti de l’agriculture paysanne contre les multinationales de l’agroalimentaire.
– Reconstruire une Europe solidaire, accueillant dignement ceux qui fuient les guerres et la misère, et engagée sur la scène internationale en faveur de la paix, de l’égalité et de la démocratie. Cette reconstruction implique de réviser, au moyen notamment de conférences internationales sur le modèle des Forums sociaux internationaux, les relations avec tous les pays du pourtour méditerranéen et avec l’Afrique : suppression et reconversion des « dettes », et établissement de nouveaux accords sur le plan des fiscalités, des investissements techniques, des modalités de production qui ne soient plus destructrices de la planète…
– Refonder une Europe pour la paix et le désarmement, renonçant aux ingérences impérialistes et néocolonialistes, ce qui implique la sortie de l’OTAN et – au contraire des projets envisagés par les institutions européennes actuelles qui concentrent sur une Europe de la défense et une augmentation des dépenses militaires à 2 % des PIB – l’engagement pour le désarmement nucléaire et la diminution des dépenses d’armement.
I. Pourquoi l’UE doit être remplacée par une autre construction politique en Europe
L’Union européenne n’a jamais été ni démocratique dans ses institutions ni au service des peuples dans son fonctionnement. Dans une perspective progressiste et internationaliste, elle doit donc laisser la place à une autre union, à un nouveau projet politique en Europe.
Rappelons que, parmi les instances européennes, seul le Parlement européen est élu au suffrage universel direct, et que ses prérogatives sont très limitées. Il peut, dans le meilleur des cas, amender ou bloquer un projet de directive. Certes, dans cette Union une part importante du pouvoir reste aux mains des gouvernements nationaux – en particulier des Etats les plus puissants. Ce sont eux qui négocient les traités et les font ratifier le plus souvent sans consulter les populations, ce sont eux qui donnent mandat à la Commission dans les négociations internationales. Aucune directive ne peut être adoptée sans l’accord des gouvernements. Mais les administrations européennes, et notamment la Commission et l’Eurogroupe, renforcent et protègent les politiques néolibérales mises en œuvre dans les pays membres, tandis que le Mécanisme Européen de Stabilité continue d’en assurer l’application à travers les “plans de sauvetage” qu’il apporte – en contrepartie de l’implémentation de “réformes structurelles” néolibérales.
De même, les peuples européens n’ont pas leur mot à dire sur la composition du Conseil de l’Union européenne et du Conseil européen, pas plus que sur les dirigeants de la Banque centrale européenne (BCE) et du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), et les politiques économiques qu’ils conduisent. Ce caractère anti-démocratique de l’Union européenne ne constitue pas seulement un vice de construction, il traduit le projet d’une “gouvernance” s’imposant hors des débats publics – mais qui n’est en rien spécifique de l’UE, comme en témoigne la crise globale de la démocratie représentative dans les Etats-nations ainsi que les pratiques anti-démocratiques spécifiques de l’Etat français. Mais on doit mesurer la spécificité du caractère anti-démocratique de la “gouvernance européenne” : à ce jour par exemple, aucun des référendums organisés dans les pays membres au sujet des orientations de l’Europe n’a été respecté, et ils n’ont été, à l’instar des « Non » de 2005 en France et de 2015 en Grèce, suivis d’aucun effet.
C’est ensuite pour des raisons sociales et économiques que cette Union européenne doit être refondée et laisser la place à autre projet politique et socio-économique en rupture avec les logiques de concurrence généralisée entre les peuples, de suppression des droits et de destruction de l’environnement. Bien que l’UE ne constitue pas un simple traité de libre-échange et ne soit donc pas exempte de contradictions politiques spécifiques, elle a consisté essentiellement en la construction d’un ordre concurrentiel, celui du marché intérieur européen depuis l’acte unique de 1986 promouvant le « principe de la concurrence libre et non faussée » jusqu’aux traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne, en passant par l’instauration du marché unique et de l’Union monétaire. Les années 2000 ont constitué une phase d’accélération de cette entreprise de construction d’un marché concurrentiel néolibéral. Au niveau des politiques économiques, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) impose aux gouvernements « l’équilibre budgétaire » – c’est-à-dire l’austérité perpétuelle – tandis que le MES et la gestion politique de la monnaie unique et de la dette publique sont utilisés non seulement comme des armes de « compétitivité » mais aussi pour imposer des « réformes structurelles » comportant la privatisation généralisée des services et entreprises d’intérêt général et les coupes dans les services publics. Ces politiques économiques sont contraires à la dignité et aux droits humains, et elles attisent en Europe la compétition économique généralisée, les idéologies de la haine et les replis nationalistes.
Le périmètre de l’action néfaste de l’Union européenne ne se réduit pas cependant aux frontières de ses pays membres. D’une part, les Etats membres et l’UE ont développé des « accords » de domination spécifiques avec les pays d’Europe de l’Est. A partir de la fin de la guerre froide, des États de l’Europe de l’Est et anciens satellites de l’Union soviétique ont tous soumis une demande d’adhésion à l’Union européenne, excepté les gouvernements les plus proches de la Russie (Biélorussie et Ukraine) et ceux de l’ex-Yougoslavie où les conséquences des guerres empêchèrent leur accession. Dans la perspective de l’adhésion, ces États ont dû prendre des mesures drastiques de libéralisation économique encourageant la prédation, la corruption et les conflits sociaux. Aujourd’hui, la nouvelle administration Trump souhaite se retirer du continent européen et notamment de l’OTAN, ce qui incite les principaux pays de l’UE à s’engager plus fortement dans l’Europe militaire. A l’heure d’un regain de tension, notamment autour du conflit en Ukraine, entre les États-Unis et l’Union européenne d’un côté et la Russie de l’autre, cette fuite en avant militaire des institutions européennes est particulièrement dangereuse. Les logiques néo-coloniales et les rapports de domination et de spéculation continuent également de se développer avec les pays du pourtour de la Méditerranée et d’Afrique, notamment dans le cadre de la politique européenne de « voisinage » sud.
En outre, en élaborant le TAFTA (avec les États-Unis), le CETA (avec le Canada) et les APE (avec les pays d’Afrique), à l’abri de tout contrôle démocratique, l’UE contribue au renforcement du néolibéralisme et de la destruction des circuits courts et des environnements naturels au-delà de ses frontières. Ses politiques en matière de migration et d’asile, entérinées notamment dans le règlement Dublin III et réitérées dans l’accord récent avec la Turquie, en externalisant le contrôle des frontières et transformant l’UE en une « Europe forteresse », violent les droits internationaux des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, et contribuent à l’instabilité politique dans les pays proches de ses frontières.
A partir de 2017, essentiellement sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France, l’Union européenne se dote d’un fond européen de défense incluant la mise en place d’une capacité permanente de commandement des opérations civilo-militaires, la régulation des achats d’armes dans les états européens et tout particulièrement le remplacement des achats de matériel américain par du matériel européen. Cette démarche est valorisée comme la naissance d’une Europe politique, alors même que le Parlement européen n’aura pas de véritable contrôle sur ces fonds. Cette course à l’armement de l’Union européenne doit cesser, et faire place à une politique internationale pacifiste et anti-militariste.
Enfin, si face à l’enjeu écologique et climatique un degré élevé de coopération internationale est nécessaire et que l’échelon européen a toute sa pertinence dans la construction d’une réponse efficace, force est de constater que l’Union européenne n’a pas été à la hauteur de ce défi. Le marché européen des droits à polluer a totalement échoué. La généralisation des politiques d’austérité fait obstacle aux investissements nécessaires à l’enclenchement de la transition énergétique. Et face au défi des nouvelles migrations écologiques et climatiques, l’UE préfère se barricader plutôt que de contribuer à la création d’un nouveau statut.
Les valeurs de paix, de justice sociale et de responsabilité écologique présentées comme fondatrices de l’Union européenne sont donc systématiquement piétinées par des instances illégitimes. C’est pourquoi les traités constitutifs de l’Union européenne doivent être dénoncés, rompus et remplacés – au moyen d’un processus constituant – par de nouveaux traités fondant une nouvelle construction politique, basée sur un fonctionnement démocratique, promouvant la paix au niveau mondial et mise au service des peuples.
II. Que faire avec la dette publique et la monnaie unique ?
Le débat international s’est concentré ces dernières années autour des questions de la dette publique et de la monnaie unique. La gestion de la dette publique et la politique monétaire dans l’Union européenne pèsent en effet comme un fardeau sur les peuples européens, et sont utilisés comme des outils de neutralisation des politiques progressistes dans les pays membres.
D’une part, le discours des institutions européennes sur la dette publique a pour objectif d’imposer l’austérité et de réduire l’initiative démocratique des pays membres pour garantir les profits des banques et des grandes entreprises. Contrairement à l’idéologie dominante, qui pointe une prétendue hausse des dépenses publiques, il faut rappeler que ce sont les réformes fiscales, les « cadeaux » et « paradis » fiscaux, le financement des Etats sur les marchés financiers ainsi que la crise financière de 2007–2008 qui ont provoqué une augmentation de la dette publique. La gestion politique de la dette publique sert en réalité à imposer un programme de « réformes structurelles » : coupes dans les services publics, la protection sociale, diminution des pensions de retraites, privatisation, démantèlement du droit du travail et de la protection sociale, etc. Pour s’opposer à ces politiques, la première étape est celle d’un audit (citoyen et/ou institutionnel) de la dette publique pour évaluer et dénoncer la part (majoritaire) des dettes publiques illégales, odieuses et illégitimes. Cette bataille politique peut s’appuyer notamment sur la mise en évidence des effets de la fraude fiscale : les injustices sociales et les mensonges antidémocratiques appellent à une mobilisation massive des peuples européens. Dans la mesure où la gauche radicale n’arrivera pas au pouvoir simultanément partout en Europe, l’expérience d’un audit dans un pays pourra constituer un appui programmatique aux forces politiques, sociales et syndicales tout en étant susceptible d’avoir un effet d’entraînement sur d’autres gouvernements.
En coopération avec les mouvements citoyens experts sur cette question (notamment le CADTM, le CAC et ATTAC), la priorité est de construire un cadre regroupant forces politiques, sociales et syndicales permettant d’organiser cet audit citoyen de la dette publique et des politiques fiscales en Europe et de mettre en œuvre une campagne internationale d’information et de conviction à ce sujet. Celle-ci devra s’accompagner de la remise en cause des traités et des accords commerciaux nuisibles pour les peuples au Sud de la Méditerranée ou en Afrique.
Sur cette base commune, des gouvernements ou forces sociales et politiques majoritaires dans des pays doivent pouvoir envisager une série de mesures concrètes pour émanciper les peuples du fardeau de la dette et des politiques austéritaires et anti-démocratiques qui l’accompagnent. L’objectif est de sortir la dette publique de l’emprise des marchés financiers. Le point nodal à cet égard est la mise en œuvre d’un moratoire puis d’un défaut de paiement et d’une annulation de la part illégale, illégitime et odieuse de la dette publique. Ces mesures permettront de regagner des marges de manœuvre budgétaires considérables et de desserrer l’étau des politiques économiques austéritaires.
Mais elles doivent également être réalisées en parallèle à la mise en œuvre de mesures permettant de faire reculer la mainmise de la finance sur nos économies et d’instaurer les bases de nouvelles formes de contrôle populaire. Parmi les mesures à envisager dans cette perspective d’une refonte démocratique du système bancaire, se trouvent notamment la création d’un pôle public bancaire, la séparation des activités bancaires de dépôt et d’investissement, l’interdiction des produits financiers toxiques, de certaines opérations financières et de l’utilisation des paradis fiscaux, une taxe sur les transactions financières, l’instauration de limites à la liberté de mouvement des capitaux ainsi que la socialisation/étatisation des banques privées ne respectant pas cette nouvelle réglementation. La masse de fonds publics dans les banques privées comme leur renflouement par des « aides » lors des crises financières successives autorisent à poser le principe de les intégrer dans un secteur public transformé, qui devra faire l’objet d’un contrôle démocratique et de choix discutés publiquement. Cette mise au pas de la finance est indispensable et doit être soutenue à la fois sur le plan institutionnel et à travers des démonstrations de force populaires dans la rue. Encore une fois, et pour des raisons évidentes, ces perspectives doivent être envisagées au niveau international, et constituer un élément central de la plateforme commune du réseau des forces sociales, syndicales et politiques de la gauche européenne qu’il s’agit de construire. Dans cette optique de refondation coopérative, la création d’un fonds européen de développement social, écologique et solidaire pour l’expansion des services publics et de l’emploi prendra tout son sens.
D’autre part, l’objectif d’une transformation radicale, démocratique et progressiste de l’économie en Europe ne peut se passer d’une réflexion soutenue sur la nécessaire refondation des politiques monétaires. La construction de la zone euro, qui était présentée comme un élément crucial de prospérité et un renforcement de la solidarité européenne, constitue manifestement un échec. Et la monnaie unique telle qu’elle existe constitue un instrument de stagnation et de divergence économiques, de polarisation sociale entre les pays, et parfois de domination politique, comme ce fut le cas lors des négociations entre le premier gouvernement Tsipras et le reste de l’Eurogroupe en 2015. La banque centrale européenne, instance non élue, désignée au nom d’une « gouvernance » qui se veut dépolitisée et autonome du Parlement européen, conduit des politiques au seul bénéfice des marchés financiers et est un obstacle à un contrôle démocratique sur la monnaie.
À cet égard aussi, il faut articuler ce que les mouvements sociaux et écologistes, d’éventuels gouvernements de la gauche radicale, et un mouvement de refondation de l’Europe pourraient exiger et chercher à imposer. Il est crucial que les mouvements sociaux et citoyens s’emparent de la question monétaire, en dénonçant les dégâts économiques et sociaux de la politique monétaire et budgétaire mise en œuvre dans l’UE, mais aussi en mettant en avant des exigences opposées à celles de la BCE, par exemple un « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) pour le peuple, c’est-à-dire une création de monnaie et une politique monétaire favorables aux intérêts populaires. Au-delà, il faut exiger une transformation en profondeur des missions et du fonctionnement de la BCE, qui doit être contrôlé démocratiquement et dont le mandat ne doit pas se réduire à la stabilité des prix mais inclure la stabilité financière et l’emploi, l’investissement vers des productions socialement utiles, la réduction des inégalités et l’engagement de fond pour la transition écologique, les prêts et rachats de dette aux États et pas seulement aux banques, etc.
Du point de vue d’un gouvernement progressiste dans un pays, la question de l’euro doit être considérée et débattue publiquement comme un problème démocratique : jusqu’à quel point est-il possible de mettre en œuvre un programme économique progressiste dans le cadre des traités qui fondent l’Union économique et monétaire ? Comme l’a montré notamment le cas de la Grèce, qui s’est vue imposer un véritable blocus monétaire par la BCE, afin de l’empêcher de mettre en œuvre un tel programme, il est nécessaire de préparer des mesures d’auto-défense monétaire pour ne pas abandonner la possibilité d’un changement politique et social : par exemple l’introduction d’une monnaie complémentaire, le contrôle des changes, l’exigence du retour des spéculations établies dans les paradis fiscaux, la prise de contrôle temporaire du système bancaire privé, la réquisition de la banque centrale nationale. Le retour à la monnaie nationale ne peut, dans le cadre d’un affrontement avec les institutions européennes, être a priori exclu ; elle devrait alors s’accompagner d’une tentative de renégociation des relations monétaires entre les divers pays de l’actuelle UE. Cependant, une sortie de l’Union économique et monétaire n’est pas un préalable pour mener une politique de rupture avec le néolibéralisme. Au niveau national, notre option consiste à engager des ruptures dans le cadre de la zone euro, et d’engager un affrontement avec les instances européennes, de provoquer une crise de l’Union Européenne et nouer des alliances pour desserer l’étau et engager la refondation d’une autre Europe. On ne peut prédire l’issue d’une telle crise, et on ne peut exclure une sortie de l’euro si elle permet de sortir des politiques néolibérales. Ces mesures unilatérales ne doivent pas être considérés comme des fins en soi, mais comme des instruments permettant une réorientation de l’économie au service de la satisfaction des besoins et aspirations populaires.
Il est cependant absolument nécessaire qu’un travail d’élaboration collective de tels instruments puisse avoir lieu au niveau international, tant pour des raisons de coopération économique dans le cas de telles ruptures, que d’imposition d’un rapport de force permettant que ces mesures unilatérales puissent produire des effets politiques positifs au niveau de l’ensemble de l’Europe. Dans la perspective d’un processus de refondation de l’Europe, l’essentiel est d’élaborer un projet remplaçant l’union économique et monétaire actuelle par une nouvelle forme d’union économique, monétaire et politique au service des peuples. Or il n’y aura pas de nouvelle union sans un nouveau système monétaire qui tire les leçons des échecs et impasses précédentes (monnaies nationales, SME basé sur l’écu et les monnaies nationales, eurosystème). La discussion au sujet d’un autre système monétaire européen doit en même temps partir des objectifs européens communs, démocratiques et égalitaires de ce nouveau projet d’union.
Ainsi, nous mettrons fin à la division des peuples européens qui se trouve renforcée du fait des politiques austéritaires, de la politique monétaire et du soutien à la compétitivité des grandes entreprises. Ces questions doivent faire de toute urgence l’objet d’une élaboration entre l’ensemble des forces sociales, syndicales et politiques en vue de défendre un projet monétaire commun.
III. Rompre avec les traités et refonder l’Europe : enjeux stratégiques
« Rompre et refonder l’Europe », ce mot d’ordre est donc toujours d’actualité. Cependant, ce qu’il doit désigner fait désormais l’objet d’un intense débat dans la gauche en France et en Europe. Quelles doivent être les grands objectifs et les étapes de ce processus de rupture et de refondation ?
Autour de ce projet, la discussion vise tout d’abord une campagne internationale. Elle ne pourra s’établir que sur la base d’une plateforme commune aux mouvements sociaux, écologistes, syndicaux et politiques de la gauche européenne opposée au néo-libéralisme. La première tâche, encore très imparfaitement réalisée, est de rassembler l’ensemble de ces forces afin d’engager un processus démocratique pour remplacer les actuelles institutions, ce qui nécessite la mise en œuvre d’un cadre durable et unitaire. Ce débat doit être rendu public, avec insistance, afin de se donner les moyens de regrouper les mouvements citoyens, associations, syndicats et partis politiques favorables à une rupture avec les traités de l’Union européenne en vue d’un processus de refondation politique de l’Europe. Ainsi pourront être construites les convergences internationales nécessaires à ce projet par la défense de sa visée émancipatrice, contre toutes ses appropriations xénophobes, néolibérales et réactionnaires.
De cette démarche découlent également les termes du débat stratégique : c’est en vue du projet de conquête de droits économiques, sociaux et politiques (dont les grandes lignes ont été indiquées précédemment) que les différents scénarios de rupture et de refondation doivent être considérés.
Le débat stratégique se concentre souvent autour des rôles que pourraient jouer les mouvements sociaux, les élus européens et les gouvernements dans un processus de rupture avec l’actuelle Union européenne. Nous défendons qu’il n’y a aucune raison de séparer les options d’une mobilisation sociale internationale, dirigées contre les grandes entreprises multinationales (par exemple les grèves transnationales) et contre l’Union européenne (dans la lignée par exemple des Forums sociaux européens de 2002 à 2010 ou, de la manifestation Blockupy à Francfort en mars 2015 ou du mouvement européen contre le TAFTA et le CETA) ; d’une réforme institutionnelle complète imposée par les forces sociales, politiques et syndicales progressiste en Europe, et appuyée, en fonction des rapports de force internes, par le Parlement européen ; et d’une désobéissance ou une rupture unilatérale décidées par un gouvernement ou après une bataille politique en vue d’un référendum dans un pays. Ces options peuvent s’articuler s’il est clair que leurs objectifs sont :
1. Le démantèlement des institutions de l’Union européenne en vue d’une refondation politique sur de nouvelles bases
2. La mise en œuvre dans les législations nationales et internationales de réformes tournant le dos aux logiques néolibérales. Mais il est manifeste qu’aussi bien une rupture d’un pays avec les traités de l’Union européenne, qu’un processus de rupture et de reconstruction global sur d’autres bases requièrent, dans les conditions de rapports de forces actuels, des ruptures effectuées par des gouvernements nationaux basés sur des majorités de gauche alternative.
Ces combats politiques sont ancrés dans les luttes politiques en cours avant 2017 et pas seulement en vue des élections européennes de 2019. Ils marqueront, à l’occasion du 60e anniversaire de la CEE la volonté d’une refonte sur de nouvelles bases : un nouveau Traité pour une autre Union. Quant aux mobilisations sociales au niveau international, elles sont nécessaires et doivent être centrales dans tous les cas, mais il ne paraît pas raisonnable d’espérer, dans les conditions de rapports de forces actuels, qu’elles puissent d’elles-mêmes imposer de nouvelles institutions se substituant à l’Union européenne. Nous savons qu’il est exclu que les instances non élues de l’UE acceptent de refonder l’ensemble des institutions européennes. Cette élaboration d’une plateforme politique commune des forces de gauche anti-libérale en Europe permet d’envisager des processus de rupture dans un pays dans une perspective internationaliste. Le débat stratégique se concentre alors autour de deux questions. D’une part, au niveau national, comment faire en sorte qu’une rupture avec les traités et les politiques de l’Union européenne permettra un démarrage rapide d’une partie significative des mesures de la plateforme politique commune des gauches européennes, permettant à la fois de tenir face à l’hostilité des institutions internationales et de produire un effet d’entraînement au niveau des autres pays ? D’autre part, au niveau international, comment faire en sorte qu’une telle rupture accélère le processus de refondation politique de l’Europe, au-delà de ses frontières actuelles, et redessine des rapports de coopération plus justes des pays européens avec les autres pays ?
Dans le contexte actuel, la stratégie consistant à « rompre avec les traités et refonder l’Europe » nécessite impérativement de répondre à ces questions. Au niveau national, des mesures génériques – qu’il faut envisager bien entendu de différentes manières selon les situations de chaque pays – ont déjà été depuis longtemps proposées pour tenir face aux stratégies de chantage et d’asphyxie économiques mis en œuvre par l’Union européenne par exemple contre le gouvernement Syriza en 2015. Une rupture avec les politiques néolibérales nécessitera d’entamer un bras de fer avec les institutions européennes et la mise en oeuvre de mesures unilatérales (voir plus haut). Ces mesures doivent cependant être complétées par une mobilisation internationale préparée dans le cadre de la Coalition des forces alternatives en Europe, qui doit comprendre notamment une pression politique sur les institutions européennes et des formes de solidarité internationaliste concrète. Dans le cas, évidemment souhaitable où ces initiatives de rupture seraient effectuées par plusieurs gouvernements dans un intervalle de temps assez court, des partenariats économiques et politiques multilatéraux entre ces pays pourraient être provisoirement envisagés, qui préfigureraient la nouvelle union politique internationale à venir.
Au niveau international, l’essentiel est d’avoir préparé en amont les formes possibles d’un processus constituant, permettant d’en finir avec l’Union européenne telle qu’elle est, de créer un nouveau traité pour une nouvelle union, et de transformer radicalement les relations avec les autres pays et les institutions internationales (voir supra). Il est difficile de prévoir les formes d’une crise de l’UE avancée au point de permettre un processus de refondation. Cependant, on peut penser que, dans une telle crise, s’opposeraient des forces proposant le statu quo institutionnel et la poursuite des politiques néolibérales, d’autres défendant le retour à la souveraineté nationale sans perspective de refondation d’une association politique au niveau européen, et d’autres enfin proposant un tel processus constituant. Pour que cette dernière option ait des chances de prédominer, il paraît décisif qu’une telle proposition de processus constituant ne s’en tienne pas à une simple refonte institutionnelle en vue d’une nouvelle union démocratique, mais contienne également de nouveaux traités comprenant les socles d’une conquête de nouveaux droits sociaux, économiques et politiques. Ce socle pourrait ainsi contenir au moins les bases de nouveaux traités se substituant à l’ancien Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce processus constituant ne pourrait avoir lieu que sur la base d’une participation volontaire des actuels pays membres de l’UE, et pourrait prendre la forme d’un référendum proposant l’adhésion à cette nouvelle association européenne.
Ces propositions nous paraissent seules convenir à une démarche de rupture et de refondation démocratique et internationaliste. Nous les soumettons à la discussion dans le cadre des sommets du « Plan B », du Parti de la Gauche Européenne et des initiatives visant à créer un Forum européen permanent des gauches alternatives, de l’Altersommet et de tous les espaces de rassemblement d’une gauche de transformations sociale en Europe.
Texte adopté par le Collectif national d’Ensemble! les 4 et 5 février 2017.