L’identité de victime construite par Israël au fil des générations alimente désormais son déni du génocide à Gaza
Les Israéliens recourent à une tactique classique de négation du génocide : brouiller les pistes arithmétiques pour expliquer les atrocités. Toute mention des souffrances palestiniennes est perçue comme une menace pour l’image et la survie de la nation.
Depuis plus d’un siècle, la Turquie poursuit une politique de déni du génocide arménien perpétré par l’Empire ottoman entre 1915 et 1918. Son mécanisme de déni est évident dans de nombreux domaines, notamment la diplomatie, l’édition universitaire, l’opinion publique internationale et une communauté universitaire cooptée.
Occulter les faits et jeter le doute sur le nombre de victimes est une stratégie courante dans la politique du déni. Parmi les spécialistes, un large consensus se dégage : environ 1,2 million d’Arméniens ont été tués ou sont morts. La version turque, quant à elle, affirme que ce nombre est nettement inférieur, environ 350 000, et que beaucoup ont péri de maladie, d’affrontements avec les tribus locales ou des difficultés du voyage, plutôt que d’ordres explicites d’extermination.
Le négationnisme a également développé ses propres schémas après la Seconde Guerre mondiale, bien qu’il demeure un phénomène distinct de celui du génocide arménien. En 1980, Robert Faurisson, professeur de lettres à l’Université de Lyon, a publié un ouvrage intitulé « Mémorandum de défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire ». Il y affirmait que l’extermination massive par gaz n’avait pas pu avoir lieu au camp d’Auschwitz-Birkenau.
(…) Les affirmations de Faurisson ont été complètement réfutées par des historiens, des ingénieurs, des chimistes et d’autres experts. Il illustre parfaitement comment un génocide peut être décontextualisé par des calculs manipulateurs et pseudo-scientifiques. (…)
Une tendance tout aussi dangereuse se dessine en Israël concernant les crimes atroces commis dans la bande de Gaza. En juin 2024, le Dr Lee Mordechai, historien à l’Université hébraïque de Jérusalem, a publié un rapport intitulé « Témoigner de la guerre Israël-Gaza », qui a depuis été mis à jour à plusieurs reprises en fonction de l’évolution de la situation, la dernière en date datant de juillet 2025.
Parallèlement à cette documentation, Mordechai propose une analyse de dizaines de déclarations publiques de politiciens, de rabbins et d’autres personnalités publiques israéliennes appelant à la destruction collective de Gaza depuis le début de la guerre – comme preuve d’une intention génocidaire.
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a également déclaré, à propos de la guerre, que des appels explicites à la destruction et à l’agression aveugle contre les Gazaouis étaient entendus en Israël, créant un environnement propice au génocide. Un tableau similaire se dégage des rapports d’Amnesty International, du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, et d’autres organisations internationales. Nombre d’entre elles ont mis en garde contre le nombre élevé de décès d’enfants, de femmes et de personnes âgées palestiniens, qui reflète l’incapacité systémique d’Israël à respecter les principes de proportionnalité et de distinction, pierres angulaires du droit international humanitaire.
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Marchands de doute
Nir Hasson a examiné les problèmes et les demi-vérités contenus dans le document rédigé par les chercheurs du Centre Begin-Sadat dans un article publié plus tôt ce mois-ci. Il classe à juste titre leur rapport comme appartenant à la catégorie des « marchands du doute », qui emploient une tactique de déni bien connue. Ces personnes ne nient pas nécessairement qu’un événement s’est produit, mais elles utilisent des tactiques de déni pour mettre en doute les données et générer des chiffres alternatifs. (…) C’est également la tactique utilisée par les négationnistes du génocide arménien et de l’Holocauste. De son côté, Faurisson a mesuré le volume des chambres à gaz et a affirmé qu’il était physiquement impossible d’y contenir le nombre de victimes décrit par les témoins oculaires ; par conséquent, a-t-il soutenu, le génocide ne pouvait être prouvé.
(…) Une autre tactique courante de déni consiste à relativiser le nombre de victimes. Les mêmes auteurs soutiennent qu’il est impossible de déterminer le nombre exact de morts à Gaza. Faurisson, de même, a soutenu que des millions de personnes n’ont pas été assassinées dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkinau – seulement quelques milliers sont mortes de maladies et d’épidémies dans les camps.
Mais même si les estimations du nombre de victimes à Gaza étaient réduites – disons à 30 000 Palestiniens innocents – un massacre d’une telle ampleur n’exigerait-il pas tout de même que des comptes soient rendus ? L’insistance même à réduire l’ampleur d’un tel crime à un chiffre précis est, entre autres, un trait classique du déni du génocide : une tentative de brouiller l’atrocité par l’arithmétique.
(…) Ce faisant, une telle tentative érige un mur entre l’atrocité et sa véritable signification – précisément le danger contre lequel Raphael Lemkin, inventeur du terme « génocide » et architecte de la Convention des Nations Unies sur le génocide, avait mis en garde : l’effacement des identités et des circonstances du décès des victimes au profit de chiffres, de définitions et de modèles statistiques.
