Plus rien ne tient debout » : le choc des prisonniers palestiniens renvoyés à Gaza après leur libération
« Mes enfants étaient plus beaux que la Lune. Vous voyez la Lune ? Ils étaient plus beaux. » Au téléphone, Haitham Salem répète cette phrase toutes les quelques minutes et sanglote. Sorti des prisons israéliennes avec plusieurs centaines d’autres détenus palestiniens, en échange de la libération des otages retenus par le Hamas, le père de famille se faisait une joie de retrouver son épouse et leurs enfants à Gaza. L’attente de ce moment lui avait permis de supporter ses onze mois d’incarcération, durant lesquels il a enduré de nombreux sévices.
Mais à la descente du bus ramenant les prisonniers dans l’enclave, lundi 13 octobre, Haitham a découvert que tous les quatre ont été tués, le 9 septembre, dans un bombardement israélien sur la ville de Gaza. Les images de lui apprenant la terrible nouvelle, hurlant et pris de convulsions au milieu des embrassades et des accolades, ont fait le tour des réseaux. (…)
(…)Haitham a fait partie des centaines de Palestiniens capturés par les troupes israéliennes pendant les deux années de la guerre et emprisonnés sans charge, au titre de la loi sur les « combattants illégaux ». Ce dispositif, qui permet de détenir des civils pendant une durée indéterminée, sans inculpation ni procès, sur simple suspicion, constitue une violation flagrante du droit international, selon l’ONG Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des droits humains.
(…) Enlevés à un barrage militaire érigé dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord du territoire palestinien, en novembre 2024, lui et des dizaines d’autres Palestiniens ont été forcés de se dénuder avant d’être embarqués, les yeux bandés, vers la prison de Sde Teiman. Un lieu que l’ONG israélienne B’Tselem qualifie de « camp de torture ».
(….) Selon une enquête conjointe du Guardian et du média israélo-palestinien + 972 Magazine, basée sur des données classifiées, seul un détenu sur quatre issu de Gaza a été identifié comme combattant par le renseignement israélien.
Les quatre premiers jours de sa détention, Haitham a subi des interrogatoires. La suite n’a été que passages à tabac, humiliations et transferts d’une prison à l’autre, sans jamais savoir où il se trouvait. « Souvent, ils nous forçaient à nous dénuder et prenaient des photos avec nous », dit-il, marqué surtout par les suicides de ses compagnons. « Ceux qui apprenaient que leur famille avait été tuée à Gaza buvaient du chlore ou s’électrocutaient au milieu de la nuit. Les gardiens déposaient leurs corps agonisant dans nos cellules pour simuler une mort naturelle ».
Coups, torture psychologique, privation de sommeil, lâcher de chiens : Anis Barhouma, 30 ans, un autre ex-prisonniers relâché, a tout subi jusqu’au dernier jour. Au bout du fil, sa voix chevrotante fait penser à celle d’une personne âgée. « Ils nous disaient : “il n’y a plus de Gaza, c’est terminé. On a exterminé tout le monde”. Ça nous terrorisait, on n’en dormait pas de la nuit. »Deux jours avant sa libération, son t-shirt blanc se teinte de sang sous les coups de matraque.
« Ils se sont acharnés sur nous. Ils nous ont aspergés de gaz, même les vieux, puis ils nous ont laissés menottés au sol pendant des heures. » Capturé en novembre 2024 alors qu’il fuyait la ville de Beit Lahiya vers l’agglomération de Gaza, sur ordre de l’armée israélienne, Anis ne comprend toujours pas ce qui lui est arrivé. (…)
« Il y a de la joie, mais nous ne sommes pas en fête. Il y a trop de morts, trop de sang, trop de destructions. » Le docteur Mohammed Abou Moussa, capturé sous les yeux de sa femme et de ses enfants lors de l’assaut sur l’hôpital Nasser à Khan Younès, le 15 février 2024, enchaîne les interviews depuis sa libération. Mais le cœur n’y est pas. Sa mère, sa sœur et ses enfants ont tous été tués par une frappe israélienne.
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Lors de son premier interrogatoire, les Israéliens s’intéressent surtout à savoir s’il a vu ou soigné des otages. Puis il est jeté en prison et réinterrogé seize mois plus tard. (…) Ils ont insulté ma mère, mon épouse et même ma fille de 13 ans. Ils voulaient que j’avoue sous la torture. »(…)
Lors de l’annonce de leur libération, les détenus ont reçu l’interdiction de manifester le moindre signe de joie, sous peine de nouvelles tortures. « Après le 7-Octobre, les prisons israéliennes sont devenues les pires lieux d’injustice. On nous a privés de tout : nourriture, eau, vêtements. Chaque jour, ils entraient pour nous frapper. J’ai eu les côtes cassées quatre fois. J’ai perdu une partie de la vue » , raconte Naïm Mousran, 46 ans, originaire de Rafah, au sud de l’enclave, qui a passé 23 années en prison.
(…)Jeudi, des familles gazaouies ont afflué à hôpital Nasser, dans l’espoir d’identifier le corps de proches disparus. Les autorités israéliennes avaient préalablement transférés dans l’enclave, dans le cadre de l’accord conclu avec le Hamas, les dépouilles de 120 prisonniers, décédés derrière les barreaux. Selon les médecins de l’hôpital, ces cadavres arboraient, pour beaucoup d’entre eux, des stigmates de mauvais traitement et de tortures : une corde au cou, des brûlures, des mutilations. Autant d’indices du supplice que ces détenus ont enduré en prison avant d’y rendre l’âme.
