Collectif
Les responsables des principaux think tanks proches de la Nupes dénoncent, dans une tribune au « Monde », une réforme injuste et proposent de mettre leur expertise au service d’une réforme alternative progressiste, sociale et écologique.
A l’aube des mobilisations syndicales et politiques, le gouvernement tente de faire croire que son projet de réforme est inévitable. L’argument principal s’appuie sur une anticipation de déficit du système de retraites, pointant la baisse du nombre d’actifs par rapport aux retraités.
Or, le problème n’est pas tant l’augmentation de la part des personnes âgées dans la population totale que le poids économique que font peser toutes les personnes (dites) inactives – retraités, étudiants, chômeurs, etc. – sur celles qui produisent de la richesse d’un point de vue monétaire – les actifs occupés.
Or, ce ratio, dit « de dépendance économique », est globalement stable depuis une cinquantaine d’années alors même que le nombre de retraités ne cesse d’augmenter et que le taux de chômage, qui dépend des politiques économiques mises en œuvre, a connu des pics historiques.
Un difficile exercice de prévision
En réalité, les effets démographiques de la hausse de l’espérance de vie et du baby-boom ont déjà été intégrés lors des décennies précédentes : les réformes Balladur (1993), Fillon (2003 et 2010) et Touraine (2014) ont abouti de fait à une baisse du niveau des pensions. De plus, la croissance de l’espérance de vie se réduit. Elle est passée d’un trimestre par an dans les années 2000 à un mois par an aujourd’hui.
Mais surtout, selon l’Insee, en 2020 l’espérance de vie en bonne santé à la naissance n’est que de 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes, les ouvriers et employés étant les plus touchés par une limitation des activités au quotidien : un tiers des ouvriers et un quart des employés sont déjà en incapacité la première année de leur retraite.
Si déficit il y a dans les prochaines années, il sera passager et marginal, entre 0,4 % et 0,7 % de produit intérieur brut (PIB), ce qui est minime par rapport au poids des retraites (14 % du PIB) et ne représente qu’environ 1 % de la masse salariale. En outre, cet exercice de prévision est difficile.
Des calculs, par le COR, avec une récession entre 2027 et 2032
Par exemple, le rapport 2013 du Conseil d’orientation des retraites (COR) projetait un déficit de 22 milliards d’euros pour l’année 2022, ce qui tranche avec l’excédent de 3 milliards finalement constaté. De plus, les hypothèses de calcul du COR peuvent s’avérer discutables, comme le montre le rapport 2022. Dans celui-ci, le COR est obligé de prévoir une remontée du chômage qui passerait de 5 % en 2027, prévision du gouvernement, à 7 % en 2032 et pour les décennies suivantes.
Le COR appuie donc son calcul du déficit sur la prévision d’une récession entre 2027 et 2032 et renonce pour la suite à toute perspective de plein-emploi. Autre hypothèse, le COR prévoit que le taux d’emploi des femmes resterait constamment inférieur de 8 points à celui des hommes de la tranche d’âge 25–54 ans. Toute perspective d’égalité professionnelle entre femmes et hommes est ainsi écartée.
L’équilibre du système de retraites dépend en réalité de l’ensemble des décisions politiques et ne reflète pas seulement un défaut d’un système qu’il faudrait réformer à tout prix. Les gouvernements successifs ont joué avec les ressources de la Sécurité sociale depuis des décennies en augmentant la part des taxes affectées et en diminuant à la fois la contribution des entreprises et la part des cotisations.
Une volonté de couper dans les dépenses
Selon les annonces du ministre de l’économie, les économies annuelles attendues par cette réforme sont de l’ordre de 18 milliards, soit un montant inférieur au montant des baisses des impôts de production décidées en 2021 et en 2023. Il ne s’agit donc pas de résorber un éventuel déficit : il s’agit de couper dans les dépenses.
Le gouvernement refuse d’augmenter les ressources du système alors même qu’une augmentation minime des cotisations sociales suffirait à résoudre un éventuel problème : en 2032, entre 1,4 point et 1,9 point selon les scénarios de productivité et sur la base de la convention comptable dite « d’équilibre par l’Etat » qui est la moins favorable.Les exposés des motifs ou les documents budgétaires transmis aux institutions européennes sont bien clairs sur ce point : le premier objectif est de diminuer la part des retraites dans notre richesse nationale afin de financer de nouvelles baisses d’impôt, alors même que la proportion des retraités dans la population va continuer à augmenter.
Poser la question du pacte de solidarité entre générations
Il s’agit alors de faire croire que cette réforme va augmenter la production et l’emploi. En cherchant à diminuer le nombre d’années en retraite, on ne crée pas mécaniquement d’emploi, on prolonge juste la situation des dernières années avant la retraite. Les plus diplômés et donc les plus hauts revenus seraient préservés de cette accélération de la réforme Touraine car ils ont des carrières plus tardives.
Cette réforme aggraverait le sas de précarité pour les autres, et renforcerait les effets dévastateurs des dernières réformes de l’assurance-chômage qui frappent durement les chômeurs. Pire, on concentre les efforts sur une petite part de la population : les classes intermédiaires, nées dans les années 1960, et qui pensaient être aux portes de la retraite.Les personnes ayant commencé leur carrière plus tôt pourraient être préservées du décalage de l’âge, si tant est que leur parcours professionnel ne soit pas haché, mais le montant de leurs pensions serait réduit. Réformer les retraites, c’est toujours se poser la question du pacte de solidarité entre générations.
Une réforme antisociale
C’est s’accorder sur la place à donner au travail dans notre existence. Alors, comment répartir la richesse que nous produisons entre actifs et retraités ? C’est à cette question que nous proposons de nous atteler. Nous mettons notre expertise au service de ce débat démocratique et des luttes sociales.
Alors que le gouvernement s’allie aux Républicains pour construire une réforme antisociale, il est urgent que les organisations politiques de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et les forces du mouvement social construisent une proposition alternative porteuse de progrès social et écologique.
Les signataires de la tribune : Eric Berr (Institut La Boétie), Boris Bilia (Upeco-économistes de l’Union populaire) Anaïs Henneguelle (Les Economistes atterrés), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Adrien Madec (Hémisphère gauche), Raul Sampognaro (Intérêt général), Youlie Yamamoto (Attac) —