Le Monde. 18 janvier. Tribune d’ATTAC, la fonda­tion Coper­nic, etc. Sur la contre-réforme des retraites voulue par Macron.

Collec­tif

Les respon­sables des prin­ci­paux think tanks proches de la Nupes dénoncent, dans une tribune au « Monde », une réforme injuste et proposent de mettre leur exper­tise au service d’une réforme alter­na­tive progres­siste, sociale et écolo­gique.

A l’aube des mobi­li­sa­tions syndi­cales et poli­tiques, le gouver­ne­ment tente de faire croire que son projet de réforme est inévi­table. L’ar­gu­ment prin­ci­pal s’ap­puie sur une anti­ci­pa­tion de défi­cit du système de retraites, poin­tant la baisse du nombre d’ac­tifs par rapport aux retrai­tés.

Or, le problème n’est pas tant l’aug­men­ta­tion de la part des personnes âgées dans la popu­la­tion totale que le poids écono­mique que font peser toutes les personnes (dites) inac­tives – retrai­tés, étudiants, chômeurs, etc. – sur celles qui produisent de la richesse d’un point de vue moné­taire – les actifs occu­pés.

Or, ce ratio, dit « de dépen­dance écono­mique », est globa­le­ment stable depuis une cinquan­taine d’an­nées alors même que le nombre de retrai­tés ne cesse d’aug­men­ter et que le taux de chômage, qui dépend des poli­tiques écono­miques mises en œuvre, a connu des pics histo­riques.

Un diffi­cile exer­cice de prévi­sion

En réalité, les effets démo­gra­phiques de la hausse de l’es­pé­rance de vie et du baby-boom ont déjà été inté­grés lors des décen­nies précé­dentes : les réformes Balla­dur (1993), Fillon (2003 et 2010) et Touraine (2014) ont abouti de fait à une baisse du niveau des pensions. De plus, la crois­sance de l’es­pé­rance de vie se réduit. Elle est passée d’un trimestre par an dans les années 2000 à un mois par an aujourd’­hui.

Mais surtout, selon l’In­see, en 2020 l’es­pé­rance de vie en bonne santé à la nais­sance n’est que de 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes, les ouvriers et employés étant les plus touchés par une limi­ta­tion des acti­vi­tés au quoti­dien : un tiers des ouvriers et un quart des employés sont déjà en inca­pa­cité la première année de leur retraite.

Si défi­cit il y a dans les prochaines années, il sera passa­ger et margi­nal, entre 0,4 % et 0,7 % de produit inté­rieur brut (PIB), ce qui est minime par rapport au poids des retraites (14 % du PIB) et ne repré­sente qu’en­vi­ron 1 % de la masse sala­riale. En outre, cet exer­cice de prévi­sion est diffi­cile.

Des calculs, par le COR, avec une réces­sion entre 2027 et 2032

Par exemple, le rapport 2013 du Conseil d’orien­ta­tion des retraites (COR) proje­tait un défi­cit de 22 milliards d’eu­ros pour l’an­née 2022, ce qui tranche avec l’ex­cé­dent de 3 milliards fina­le­ment constaté. De plus, les hypo­thèses de calcul du COR peuvent s’avé­rer discu­tables, comme le montre le rapport 2022. Dans celui-ci, le COR est obligé de prévoir une remon­tée du chômage qui passe­rait de 5 % en 2027, prévi­sion du gouver­ne­ment, à 7 % en 2032 et pour les décen­nies suivantes.

Le COR appuie donc son calcul du défi­cit sur la prévi­sion d’une réces­sion entre 2027 et 2032 et renonce pour la suite à toute pers­pec­tive de plein-emploi. Autre hypo­thèse, le COR prévoit que le taux d’em­ploi des femmes reste­rait constam­ment infé­rieur de 8 points à celui des hommes de la tranche d’âge 25–54 ans. Toute pers­pec­tive d’éga­lité profes­sion­nelle entre femmes et hommes est ainsi écar­tée.

L’équi­libre du système de retraites dépend en réalité de l’en­semble des déci­sions poli­tiques et ne reflète pas seule­ment un défaut d’un système qu’il faudrait réfor­mer à tout prix. Les gouver­ne­ments succes­sifs ont joué avec les ressources de la Sécu­rité sociale depuis des décen­nies en augmen­tant la part des taxes affec­tées et en dimi­nuant à la fois la contri­bu­tion des entre­prises et la part des coti­sa­tions.

Une volonté de couper dans les dépenses

Selon les annonces du ministre de l’éco­no­mie, les écono­mies annuelles atten­dues par cette réforme sont de l’ordre de 18 milliards, soit un montant infé­rieur au montant des baisses des impôts de produc­tion déci­dées en 2021 et en 2023. Il ne s’agit donc pas de résor­ber un éven­tuel défi­cit : il s’agit de couper dans les dépenses.

Le gouver­ne­ment refuse d’aug­men­ter les ressources du système alors même qu’une augmen­ta­tion minime des coti­sa­tions sociales suffi­rait à résoudre un éven­tuel problème : en 2032, entre 1,4 point et 1,9 point selon les scéna­rios de produc­ti­vité et sur la base de la conven­tion comp­table dite « d’équi­libre par l’Etat » qui est la moins favo­rable.Les expo­sés des motifs ou les docu­ments budgé­taires trans­mis aux insti­tu­tions euro­péennes sont bien clairs sur ce point : le premier objec­tif est de dimi­nuer la part des retraites dans notre richesse natio­nale afin de finan­cer de nouvelles baisses d’im­pôt, alors même que la propor­tion des retrai­tés dans la popu­la­tion va conti­nuer à augmen­ter.

Poser la ques­tion du pacte de soli­da­rité entre géné­ra­tions

Il s’agit alors de faire croire que cette réforme va augmen­ter la produc­tion et l’em­ploi. En cher­chant à dimi­nuer le nombre d’an­nées en retraite, on ne crée pas méca­nique­ment d’em­ploi, on prolonge juste la situa­tion des dernières années avant la retraite. Les plus diplô­més et donc les plus hauts reve­nus seraient préser­vés de cette accé­lé­ra­tion de la réforme Touraine car ils ont des carrières plus tardives.

Cette réforme aggra­ve­rait le sas de préca­rité pour les autres, et renfor­ce­rait les effets dévas­ta­teurs des dernières réformes de l’as­su­rance-chômage qui frappent dure­ment les chômeurs. Pire, on concentre les efforts sur une petite part de la popu­la­tion : les classes inter­mé­diaires, nées dans les années 1960, et qui pensaient être aux portes de la retraite.Les personnes ayant commencé leur carrière plus tôt pour­raient être préser­vées du déca­lage de l’âge, si tant est que leur parcours profes­sion­nel ne soit pas haché, mais le montant de leurs pensions serait réduit. Réfor­mer les retraites, c’est toujours se poser la ques­tion du pacte de soli­da­rité entre géné­ra­tions.

Une réforme anti­so­ciale

C’est s’ac­cor­der sur la place à donner au travail dans notre exis­tence. Alors, comment répar­tir la richesse que nous produi­sons entre actifs et retrai­tés ? C’est à cette ques­tion que nous propo­sons de nous atte­ler. Nous mettons notre exper­tise au service de ce débat démo­cra­tique et des luttes sociales.

Alors que le gouver­ne­ment s’al­lie aux Répu­bli­cains pour construire une réforme anti­so­ciale, il est urgent que les orga­ni­sa­tions poli­tiques de la Nouvelle Union popu­laire écolo­gique et sociale (Nupes) et les forces du mouve­ment social construisent une propo­si­tion alter­na­tive porteuse de progrès social et écolo­gique.

Les signa­taires de la tribune : Eric Berr (Insti­tut La Boétie), Boris Bilia (Upeco-écono­mistes de l’Union popu­laire) Anaïs Henne­guelle (Les Econo­mistes atter­rés), Pierre Khalfa (Fonda­tion Coper­nic), Adrien Madec (Hémi­sphère gauche), Raul Sampo­gnaro (Inté­rêt géné­ral), Youlie Yama­moto (Attac) —

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