5 décembre 2025

Le Monde. 25 juillet. Extraits. Expul­ser les gazaouis.

Pous­ser les Gazaouis à aban­don­ner leur terre, l’objec­tif de plus en plus assumé du gouver­ne­ment israé­lien

L’arme de la faim est utili­sée par la coali­tion de Benya­min Néta­nya­hou pour inci­ter les Pales­ti­niens à partir. Elle veut les masser dans une « ville huma­ni­taire », dans le sud de l’en­clave, en prélude à leur possible trans­fert

Pous­sés par la faim, la soif, la peur de mourir sous les tirs impré­vi­sibles de l’ar­mée israé­lienne, les habi­tants de Gaza sont-ils travaillés au corps, conscien­cieu­se­ment, pour céder à ce régime et finir par quit­ter l’en­clave ? Si le rêve d’un Gaza sans Pales­ti­niens est poussé dans les milieux d’ex­trême droite israé­liens depuis le 7-Octobre, porté par un courant en faveur de la colo­ni­sa­tion inté­grale de ce terri­toire, le gouver­ne­ment n’avait pas pris de mesures orga­ni­sant concrè­te­ment le départ des habi­tants de l’en­clave. Désor­mais, au moment où la dégra­da­tion de toutes les condi­tions de vie, ou de survie, des Gazaouis prend une tour­nure paroxys­tique, cette possi­bi­lité de dépeu­ple­ment a un cadre concret.

Israel Katz, le ministre de la défense israé­lien, en a forma­lisé les contours, le 7 juillet, en annonçant l’in­ten­tion du gouver­ne­ment de créer sur les ruines de Rafah, dans le sud de l’en­clave, une « ville huma­ni­taire ». Envi­ron 600 000 personnes sont suppo­sées – dans un premier temps – être massées dans cette struc­ture créée dans une zone presque tota­le­ment rasée. Une fois à l’in­té­rieur, une unique voie de sortie serait offerte : quit­ter Gaza pour une desti­na­tion à l’étran­ger.

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Le 4 février, Donald Trump appe­lait à trans­for­mer Gaza en une « Riviera » vidée de ses habi­tants actuels. Mardi 22 juillet, la ministre de l’in­no­va­tion, des sciences et de la tech­no­lo­gie israé­lienne, Gila Gamliel, a repris l’idée et la méthode en diffu­sant sur X sa version géné­rée par intel­li­gence arti­fi­cielle de ce Gaza sans Pales­ti­niens, tout en prenant soin de rappe­ler qu’elle plaide, depuis octobre 2023 pour une « migra­tion volon­taire » des habi­tants de l’en­clave (2,1 millions d’ha­bi­tants).

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Cela ne risque pas de heur­ter une grande partie de l’opi­nion publique en Israël. Depuis le mois de mai, les sondages montrent qu’entre 70 % et 80 % de la popu­la­tion juive israé­lienne soutient l’idée de voir les Pales­ti­niens expul­sés de Gaza, même si certains sondés estiment que l’hy­po­thèse est « peu pratique, mais souhai­table ».

Effrayés par la pers­pec­tive de ce passage à l’acte à grande échelle, seize spécia­listes israé­liens de droit inter­na­tio­nal ont publié, le 10 juillet, une lettre ouverte dans laquelle ils arrivent à la conclu­sion qu’un tel plan consti­tue, en soi, un « ordre mani­fes­te­ment illé­gal »donné à l’ar­mée. «  Si ce plan devait entrer en vigueur, il ne consti­tue­rait pas une évacua­tion, dans le sens légal du terme, mais relè­ve­rait de la mise en place de camps de déten­tion de masse, dont le premier but serait le nettoyage ethnique et les expul­sions », ajoutent-ils.

D’autres voix, outrées mais isolées, se sont élevées en Israël contre ce projet, comme celle de l’an­cien premier ministre, Ehoud Olmert, qui a déclarélors d’une inter­view au Guar­dian, au sujet de la « ville huma­ni­taire » : « Je suis désolé [mais] il s’agit d’un camp de concen­tra­tion. » Sans effet. Benya­min Néta­nya­hou a demandé à la hiérar­chie mili­taire d’étu­dier rapi­de­ment la faisa­bi­lité de cette struc­ture et même retoqué, selon la presse israé­lienne, le premier état des propo­si­tions de l’état-major, qu’il juge trop onéreuses.

Lors de sa visite aux Etats-Unis, début juillet, il avait déjà déve­loppé cette idée de départs massifs de Gaza. Aux côtés du président améri­cain à la Maison Blanche, il décla­rait : « Le président Trump a eu cette vision brillante. Cela s’ap­pelle le libre choix. Si les gens veulent rester, ils peuvent rester, mais s’ils veulent s’en aller, il faut qu’ils puissent le faire. » Des propos énon­cés peu après avoir annoncé qu’il soute­nait la candi­da­ture de Donald Trump pour le prix Nobel de la paix, avant d’af­fir­mer que « plusieurs pays »étaient prêts à « offrir de meilleures pers­pec­tives d’ave­nir » aux Pales­ti­niens qui quit­te­raient Gaza.

Alors que les pays de la région, en tout premier lieu l’Egypte, ont signi­fié qu’ils ne comp­taient pas jouer ce rôle, David Barnea, le chef du Mossad, le service de rensei­gne­ment exté­rieur israé­lien, s’est rendu à la mi-juillet à Washing­ton pour obte­nir, selon le média en ligne Axios, un appui afin de tenter de convaincre plusieurs pays, comme l’In­do­né­sie, la Libye ou l’Ethio­pie, d’ac­cueillir des Pales­ti­niens.

Des infor­ma­tions dans la presse israé­lienne font état d’une réti­cence du chef d’état-major, Eyal Zamir, face à ce projet, consi­dé­rant que les soldats n’ont pas pour mission de garder un camp d’in­ter­ne­ment géant, et que l’opé­ra­tion aurait un coût très élevé, chif­fré dans les médias israé­liens dans une four­chette allant de 10 milliards à 15 milliards de shekels (de 2,5 milliards à 4 milliards d’eu­ros).

Certains respon­sables gouver­ne­men­taux, eux, conti­nuent de défendre cette pers­pec­tive comme une pour­suite de la guerre, sous forme de tactique contre-insur­rec­tion­nelle. C’est le cas de Zeev Elkin, député de Nouvel Espoir, un parti à la droite du Likoud et membre de la coali­tion de Benya­min Néta­nya­hou. Il affirme : « Plus vous sépa­rez le Hamas de la popu­la­tion et plus le Hamas va perdre. »

Michael Sfard, avocat spécia­liste de longue date de la défense des droits des Pales­ti­niens dans les terri­toires occu­pés, n’avait pas, «  même dans [ses] pires cauche­mars », imaginé qu’une telle situa­tion se produise : « Le plan de cette soi-disant “ville huma­ni­taire” est un plan pour un trans­fert de popu­la­tion, suivi d’une dépor­ta­tion. Dans le droit inter­na­tio­nal, il n’est pas néces­saire de pous­ser des gens à monter dans des camions à la pointe du fusil pour se rendre coupable de ce type de crimes. Le fait d’im­po­ser des mesures coer­ci­tives suffit, par exemple si vous obli­gez un groupe [de personnes] à se dépla­cer pour essayer d’échap­per à la famine, ou si vous détrui­sez leurs loge­ments, l’in­fra­struc­ture de santé, l’ac­cès à l’eau, etc., explique le juriste. Le langage utilisé par les respon­sables israé­liens est menson­ger. Dans le contexte de Gaza aujourd’­hui, il n’y a rien qui relève de “départs volon­taires”. Les habi­tants de Gaza n’ont stric­te­ment aucun choix. » 

Jean-Philippe Rémy (Jéru­sa­lem, envoyé spécial)

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