Le jour où l’Assemblée nationale a voté un texte de l’extrême droite
Le cordon sanitaire marginalisant le Rassemblement national (RN) ne tenait plus qu’à un fil. Il s’est rompu jeudi 30 octobre. Pour la première fois depuis 1958 et l’instauration de la Ve République, l’Assemblée nationale a voté un texte porté par l’extrême droite. Par 185 voix contre 184, les députés ont adopté une proposition de résolution visant la dénonciation de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, inscrite à l’ordre du jour par le RN dans le cadre de sa niche parlementaire.
Juridiquement, ce scrutin n’est pas contraignant : Emmanuel Macron peut balayer la demande de l’Assemblée nationale d’abroger la convention instituant un régime dérogatoire au droit commun des étrangers. Symboliquement, il offre aux héritiers du Front national une victoire institutionnelle historique. Le tout sur son sujet de prédilection : la lutte contre l’immigration. « Ce n’est pas un tournant, c’est une marche », s’est empressée de saluer Marine Le Pen, dubitative, la veille encore, sur ses chances de succès dans la configuration actuelle de l’Hémicycle.
C’était compter sans le soutien massif et inédit apporté à ses troupes par Les Républicains (LR) et Horizons. Cette droite qui, en 1986, lors de l’arrivée à l’Assemblée nationale d’un groupe mené par Jean-Marie Le Pen, avait érigé un cordon contre l’extrême droite. (…) « Ce vote prouve que nous sommes capables de travailler avec d’autres groupes : on a transformé notre majorité très relative en majorité absolue en convainquant d’autres forces de nous rejoindre, se réjouit Renaud Labaye, secrétaire général du groupe. Le signal est clair, on arrive ! »
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La droite fait désormais fi de l’origine d’une loi. « Quand le RN porte des projets ou des convictions que nous partageons, il n’y a aucune raison d’être dans des postures politiciennes », explique Laurent Wauquiez. En 2023, LR avait proposé un texte similaire dans sa niche parlementaire, à l’initiative de Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes et fille d’un ancien agent de liaison de l’Organisation armée secrète (OAS). « J’aurais préféré que ce soit notre niche comme il y a deux ans, là on donne une victoire politique à Le Pen », déplore un député LR absent.
« Ce vote ne fait que confirmer ce que l’on sent, voit et entend depuis des mois : une partie de la droite républicaine bascule vers l’extrême droite et serait prête, demain, à participer à une même majorité », constate Richard Ramos (MoDem). Pour l’élu du Loiret, « un texte de loi, c’est comme les blagues : tout dépend de ceux qui les font. Et quand a lieu la niche RN, il faut monter au combat ».
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Edouard Philippe n’a pas seulement contribué au succès de Marine Le Pen en poussant ses élus au vote, il a également ouvert une scission dans le bloc macroniste. Ses partenaires du MoDem et de Renaissance ont vite dénoncé la prise d’indépendance du maire du Havre (Seine-Maritime), craignant qu’elle ne s’inscrive dans une droitisation de sa course à l’Elysée.(…)
Sonnés par la victoire de l’extrême droite, les partis de gauche tempêtaient contre un « texte raciste » porté par un député (Guillaume Bigot, Territoire de Belfort) les assimilant à un « parti de l’étranger ». Chacun a regretté l’absence d’une voix pour inverser l’issue ; tout en remarquant la particulière mobilisation de leurs effectifs (de 73 % à 84 %), communistes mis à part (33 % présents). A l’heure de l’explication, ils en voulaient moins à Edouard Philippe – dont les consignes étaient connues – qu’à Gabriel Attal.(…)
Défaut coupable d’anticipation ou malaise devant les dissensions créées par le sujet dans ses rangs ? Au-delà de son cas personnel, ses bancs déserts, comme ceux du MoDem (13 députés sur 36, 10 « contre »), ont fait bondir la gauche. « Où est Gabriel Attal ?, a répété Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste. Etre un parti de gouvernement, c’est être dans l’Hémicycle quand il y a un combat important. Etre un parti de gouvernement, c’est faire barrage, digue, contre le RN. »
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Sébastien Lecornu s’est chargé d’apporter au RN la deuxième victoire qui lui échappait dans l’Hémicycle. En marge d’un déplacement dans la Manche, le premier ministre a refusé de commenter la victoire de l’extrême droite, mais il y a fait droit. « Il faut renégocier [l’accord de 1968] parce qu’il appartient à une autre époque », a-t-il plaidé, tout en rappelant que la décision revenait au chef de l’Etat. Par sa réaction, positive, le chef du gouvernement a confirmé que le triomphe du RN n’avait rien de symbolique et qu’il débordait largement de l’enceinte de l’Assemblée nationale.
