5 décembre 2025

Le Monde 7–11. Anne Chemin. Sébas­tien Roché:« Quand une doctrine de main­tien de l’ordre a pour pivot l’usage des armes, elle produit forcé­ment des violences systé­miques »

https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/11/07/videos-de-sainte-soline-quand-une-doctrine-de-police-a-pour-pivot-l-usage-des-armes-elle-produit-force­ment-des-violences-syste­miques_6652557_3232.html

Vidéos de Sainte-Soline : « Quand une doctrine de main­tien de l’ordre a pour pivot l’usage des armes, elle produit forcé­ment des violences systé­miques »

Après la diffu­sion par « Libé­ra­tion » et « Media­part » d’images mettant en cause le compor­te­ment des gendarmes lors d’une mani­fes­ta­tion contre les méga­bas­sines en 2023, le poli­tiste Sebas­tian Roché estime, dans un entre­tien au « Monde », que la recherche des respon­sa­bi­li­tés ne peut se limi­ter aux agents tireurs : elle doit concer­ner toute la chaîne de comman­de­ment.

Propos recueillis par  

Consignes illé­gales, tirs dange­reux, insultes : publiées par Media­part et Libé­ra­tion, les vidéos enre­gis­trées par les camé­ras-piétons des gendarmes mobiles qui sont inter­ve­nus, le 25 mars 2023, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), lors d’une mani­fes­ta­tion contre une méga­bas­sine, révèlent nombre de manque­ments. Les forces de l’ordre sont-elles de plus en plus violentes ? Nous avons posé la ques­tion au poli­tiste Sebas­tian Roché, direc­teur de recherche au CNRS et coau­teur de La Police contre la rue (Gras­set, 2023). Il a publié en 2024, dans la revue juri­dique Civi­tas Europa, avec la docto­rante Laural Miller, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et de l’uni­ver­sité Grenoble-Alpes, une étude concluant à une « esca­lade de la violence » du côté des forces de l’ordre.

Que vous inspirent les vidéos enre­gis­trées par les camé­ras-piétons des gendarmes mobiles, lors de la mani­fes­ta­tion contre la méga­bas­sine de Sainte-Soline ?

Les vidéos publiées par Libé­ra­tion et Media­part viennent confir­mer ce que les images exis­tantes et les rapports des obser­va­teurs indé­pen­dants avaient déjà souli­gné : le niveau des violences poli­cières par l’usage, hors cadre éthique et hors cadre légal, des armes à feu dites « à léta­lité réduite » – les lanceurs de balles de défense (LBD) ou de grenades lacry­mo­gènes ainsi que les grenades explo­sives – consti­tue aujourd’­hui un problème de premier ordre.

Ce que nous disent ces images, c’est que le contrôle des gendarmes n’est pas réalisé de manière satis­fai­sante par la hiérar­chie sur place. Comment justi­fier que des profes­sion­nels armés qui ont été recru­tés et entraî­nés pour opérer dans un cadre légal précis se féli­citent de muti­ler des mani­fes­tants ? Comment comprendre que les respon­sables du groupe de gendarmes les laissent faire, voire les encou­ragent, à faire un usage illé­gal des LBD ou des lanceurs de grenades en préco­ni­sant des « tirs tendus » ?

Ces agents qui tirent sur des citoyens en colère ne repré­sen­tant aucune menace pour la Répu­blique ne sont pas isolés : ils sont en groupe et ils travaillent avec le soutien de leur enca­dre­ment. C’est d’ailleurs sous l’au­to­rité du colo­nel qui dirige les opéra­tions sur place que des unités sur quads ont été envoyés dans la mêlée : ils tirent au LBD ou au lanceur de grenades sur une foule en mouve­ment. C’est une situa­tion acca­blante – et à peine croyable.(…)

L’IGGN n’a pas l’obli­ga­tion procé­du­rale de mettre en œuvre le « contra­dic­toire », c’est-à-dire l’écoute des victimes ou des témoins des tirs – et c’est ainsi qu’elle conclut à la parfaite léga­lité du compor­te­ment des gendarmes enga­gés à Sainte-Soline sur la base des décla­ra­tions… des gendarmes ! (…)

Si l’on veut savoir ce qu’il s’est passé à Sainte-Soline, il faut donc ques­tion­ner le cabi­net du ministre qui était aux commandes, Gérald Darma­nin, mais aussi le ministre lui-même.

C’est à ce niveau de respon­sa­bi­lité que le dispo­si­tif a été plani­fié :(…)

Les décla­ra­tions des gendarmes publiées par Media­part et Libé­ra­tion témoignent d’une trans­for­ma­tion de la culture profes­sion­nelle des forces de l’ordre : elles ont épousé une logique d’es­ca­lade et de confron­ta­tion. Depuis 2018, il n’y a jamais eu, en France, moins de 10 000 muni­tions de LBD et de grenades explo­sives tirées chaque année par la police et par la gendar­me­rie, alors qu’il y en avait moins de 500 par an avant 2015. Le modèle de l’af­fron­te­ment porté par une police française aller­gique à la déses­ca­lade et valo­risé publique­ment par les préfets de police succes­sifs de Paris est en train de conta­mi­ner la gendar­me­rie.

(…) lorsqu’on voit, grâce à ces vidéos, le compor­te­ment des gendarmes et de leur enca­dre­ment sur le terrain, l’ex­pres­sion « violences poli­cières systé­miques » est la plus appro­priée. 

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