Vidéos de Sainte-Soline : « Quand une doctrine de maintien de l’ordre a pour pivot l’usage des armes, elle produit forcément des violences systémiques »
Consignes illégales, tirs dangereux, insultes : publiées par Mediapart et Libération, les vidéos enregistrées par les caméras-piétons des gendarmes mobiles qui sont intervenus, le 25 mars 2023, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), lors d’une manifestation contre une mégabassine, révèlent nombre de manquements. Les forces de l’ordre sont-elles de plus en plus violentes ? Nous avons posé la question au politiste Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et coauteur de La Police contre la rue (Grasset, 2023). Il a publié en 2024, dans la revue juridique Civitas Europa, avec la doctorante Laural Miller, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et de l’université Grenoble-Alpes, une étude concluant à une « escalade de la violence » du côté des forces de l’ordre.
Que vous inspirent les vidéos enregistrées par les caméras-piétons des gendarmes mobiles, lors de la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline ?
Les vidéos publiées par Libération et Mediapart viennent confirmer ce que les images existantes et les rapports des observateurs indépendants avaient déjà souligné : le niveau des violences policières par l’usage, hors cadre éthique et hors cadre légal, des armes à feu dites « à létalité réduite » – les lanceurs de balles de défense (LBD) ou de grenades lacrymogènes ainsi que les grenades explosives – constitue aujourd’hui un problème de premier ordre.
Ce que nous disent ces images, c’est que le contrôle des gendarmes n’est pas réalisé de manière satisfaisante par la hiérarchie sur place. Comment justifier que des professionnels armés qui ont été recrutés et entraînés pour opérer dans un cadre légal précis se félicitent de mutiler des manifestants ? Comment comprendre que les responsables du groupe de gendarmes les laissent faire, voire les encouragent, à faire un usage illégal des LBD ou des lanceurs de grenades en préconisant des « tirs tendus » ?
Ces agents qui tirent sur des citoyens en colère ne représentant aucune menace pour la République ne sont pas isolés : ils sont en groupe et ils travaillent avec le soutien de leur encadrement. C’est d’ailleurs sous l’autorité du colonel qui dirige les opérations sur place que des unités sur quads ont été envoyés dans la mêlée : ils tirent au LBD ou au lanceur de grenades sur une foule en mouvement. C’est une situation accablante – et à peine croyable.(…)
L’IGGN n’a pas l’obligation procédurale de mettre en œuvre le « contradictoire », c’est-à-dire l’écoute des victimes ou des témoins des tirs – et c’est ainsi qu’elle conclut à la parfaite légalité du comportement des gendarmes engagés à Sainte-Soline sur la base des déclarations… des gendarmes ! (…)
Si l’on veut savoir ce qu’il s’est passé à Sainte-Soline, il faut donc questionner le cabinet du ministre qui était aux commandes, Gérald Darmanin, mais aussi le ministre lui-même.
C’est à ce niveau de responsabilité que le dispositif a été planifié :(…)
Les déclarations des gendarmes publiées par Mediapart et Libération témoignent d’une transformation de la culture professionnelle des forces de l’ordre : elles ont épousé une logique d’escalade et de confrontation. Depuis 2018, il n’y a jamais eu, en France, moins de 10 000 munitions de LBD et de grenades explosives tirées chaque année par la police et par la gendarmerie, alors qu’il y en avait moins de 500 par an avant 2015. Le modèle de l’affrontement porté par une police française allergique à la désescalade et valorisé publiquement par les préfets de police successifs de Paris est en train de contaminer la gendarmerie.
(…) lorsqu’on voit, grâce à ces vidéos, le comportement des gendarmes et de leur encadrement sur le terrain, l’expression « violences policières systémiques » est la plus appropriée.
