Entre les deux deux tours, Le Pen se donne une image policée, tempère son programme, noue des alliances pour se la jouer rassurante auprès des indécis, mais elle n’hésite pourtant pas à teinter son vocabulaire d’antisémitisme en nommant son adversaire quasi-systématiquement « le banquier Macron » ; elle enfonce le clou sans que les médias, à l’exception notable de Renaud Dély dans Marianne1 ne s’en émeuvent plus que ça : « banquier d’affaires insensible » représentant de la « finance arrogante », porteur d’un projet « mondialiste, oligarchique et ultra-européiste » et, « Quelle ambition sert-il ? », au service d’obscurs intérêts, .
Il y a cinq ans, Hollande — tel Don Quichotte face à son moulin — promettait de s’en prendre à la finance, cet adversaire qui « n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, … ». Aujourd’hui, Le Pen lui renvoie la balle « Cette fois, il a un nom, il a un visage, il a un parti, et il présente sa candidature et tous rêvent de le voir élu : il s’appelle Emmanuel Macron » ; la personnalisation même de l’ennemi.
Il est vrai que Les Républicains avait déjà largement anticipé en mars via un tweet illustré resté fameux et dont ils s’étaient étonnés que l’ont puisse y voir malice. Les LR ont fini par le modifier en remplaçant le dessin par une photo… Aussitôt interrogé par Le Monde, l’historien Nicolas Lebourg, ne pouvait que constater « On est en plein dans la représentation du complot judéo-capitalistique, profondément ancrée à l’extrême droite. » pour déplorer ensuite qu’« Il faut avoir une certaine culture de l’image pour connaître ces références »2. C’est bien là le problème, les réflexes antifascistes se perdent manifestement.
Pire encore, la rhétorique du peuple contre la finance toute puissante et les profiteurs égoïstes est assez largement partagée sur l’ensemble du spectre politique.
Il n’y a pas lieu de soupçonner d’antisémitisme Mélenchon et de nombreux militants de gauche qui s’en prennent au banquier en question et à la finance. Leurs prises de positions et leurs implications dans les luttes antiracistes et internationalistes les gardent encore de ce penchant dangereux. Il n’en reste pas moins qu’ils pourraient se passer de recourir à ce lexique nauséabond. Qui plus est, à prendre comme cibles principale la spéculation et la rapacité d’« élites » économiques, politiques et médiatiques, ils prêtent le flanc à une critique des chantres du néo-libéralisme qui n’hésiteront pas à faire passer tout mouvement social comme potentiellement antisémite.
Les inégalités sont criantes et en constante augmentation, depuis 2015, 1% possède plus que le reste du monde, actuellement, huit personnes seulement possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale3. Il y a urgence à en finir avec l’idée tatchérienne qu’il n’y a pas d’alternative et à promouvoir une dynamique politique capable de porter des mesures urgentes de justice sociale, d’encadrement et de régulation des marchés et de respect des droits humains. Qui peut croire pour autant que l’émancipation sociale procède d’une hypothétique répartition de l’argent (re)pris aux capitalistes ?
TP
- Le « banquier d’affaires insensible » , ce vieux cliché antisémite que Marine Le Pen recycle pour Macron…, Renaud Dély, Marianne. Lire aussi Cet antisémitisme recyclé de Marine Le Pen contre Macron que l’on ne condamne plus par Maurice Szafran, Challenges ↩
- Les Républicains représentent Macron avec des codes de l’iconographie antisémite, Le Monde du 11 mars 2017 ↩
- cf les rapports de Oxfam International ici et ici par exemple ↩
Tu as raison. Et nous devons insister sur le lien: antifasciste car anticapitaliste.
Le néolibéralisme est cette période du capitalisme où il règne sans partage sur le monde, où les affaires des capitalistes sont présentés comme production de richesses, or c’est le travail des travailleurs qui produit les biens). Les capitalistes sont à la fois banquiers et propriétaires d’entreprises, ils défendent la concentration de la propriété privée des grandes et très grandes entreprises.
Nous, nous voulons la socialisation des moyens de production pas un capitalisme qui serait un peu encadré.
Ceux qui parlent exclusivement des capitalistes nationaux présentés mensongèrement comme opposés à une finance « étrangère » sont prêts à se rallier aux intérêts supérieurs de la propriété privée, du capitalisme.
La difficulté à être entendus nous amène à des facilités de langage qui parfois nous entraine sur un terrain est celui de nos ennemis.