En passant par Chabournay la semaine dernière, on pouvait observer la fière banderole de l’enseigne E.Leclerc installée sur la grille de l’école, à proximité de la mairie, pendant plusieurs jours : « E. Leclerc, Nettoyons la Nature« .
Comme chaque année en septembre, dans cette école comme dans de très nombreux établissements scolaires de la maternelle au lycée, E.Leclerc propose aux enseignants une campagne de collecte de déchets, pour laquelle plus de 500 000 élèves et enseignants en France en 2012 se sont investis dans le ramassage des déchets, équipés de tee shirt « Nettoyons la nature – E.Leclerc », munis de sacs plastique vert et de gants offerts par l’enseigne. Ces établissements se sont vus proposés aussi l’affichage de la banderole sur ses grilles et les enfants ont pu déguster un goûter de produits vendus par l’enseigne.
Quelle importance, me direz-vous, la pub est partout, dans la rue, à la TV, parfois même dans les livres scolaires !!! Puisque l’intention est louable, pourquoi ne pas utiliser le matériel pédagogique délivré par E.Leclerc à l’école ?
Il faut savoir que les enfants constituent une cible de plus en plus visée par les publicitaires puisque les deux tiers des produits consommés par les enfants le seront encore à l’âge adulte, que ceux-ci sont de plus en plus des prescripteurs d’achats effectués par leurs parents.
Mais que dit la loi ?
L’interdiction totale de la publicité à l’école, qui existe depuis 1936, a été réaffirmée solennellement en 1952 et en 1967 et 1976. Mais Jack Lang a modifié la notion de laïcité (sens large) contre celle de neutralité commerciale par la circulaire du 28 mars 2001 : « les établissements scolaires sont libres de s’associer à une action de partenariat par laquelle une entreprise fournit des documents qui seront remis aux élèves et peut être autorisée à signaler son intervention comme partenaire dans les documents remis aux élèves. Elle peut ainsi faire apparaître discrètement sa marque sur ces documents ».
Depuis, la publicité est entrée à l’école et le Ministère de l’Éducation Nationale soutient et mène même des actions en partenariat avec des entreprises telles que Microsoft, Coca Cola, Orangina, TF1 ( pièces jaunes, semaine des droits de l’enfant). Il incite les établissements à rechercher des « partenariats ».
Les négociations de l’ACGS (Accord général sur le commerce des services) confirment que l’école est un marché à prendre. La publicité à l’école permet aux grandes firmes de pénétrer et de se placer sur ce marché, de diminuer l’investissement public pour l’école. Pas étonnant que les intrusions de la pub à l’école bénéficient de la bienveillance des Inspecteurs (trices) de l’Éducation Nationale.
C’est ainsi que Coca Cola ou E.Leclerc par exemple expliquent la protection de l’environnement aux enfants, qu’EDF explique l’énergie et le nucléaire.
Malgré tout, contrairement à ce qui se passe aux USA, où les écoles récoltent 750 millions de dollars par an via la pub, en obligeant 40% des lycéens et collégiens à regarder des séquences de publicité au moins 90% des jours scolaires, rien de tel n’est obligatoire en France à ce jour.
Chaque proviseur, principal, directeur(trice) d’école, chaque enseignant, est en capacité de réfléchir à ces questions, de choisir des supports pédagogiques indépendants de toute entreprise ( il en existe de nombreux sur la question des déchets, de la consommation responsable, autant sur des sites pédagogiques que via des associations qui agissent pour l’éducation des enfants et des parents dans ce domaine comme Les petits débrouillards par exemple dans notre département). Chaque équipe enseignante peut trouver des alternatives à ces propositions commerciales pour développer la conscience écologique de ses élèves.
D’autre part, ces supports indépendants proposent aussi une réflexion plus globale, au-delà du simple ramassage des déchets, et questionnent l’origine des déchets, la manière d’en produire moins… etc…
Chaque parent est aussi en capacité de s’interroger sur les conséquences de cette publicité de E.Leclerc au sein de l’école sur son enfant : imprégnation, grande difficulté pour un jeune enfant de départager la réalité des messages de la publicité, rôle de l’école d’aider l’enfant à développer son esprit critique et de ne pas croire à tout message qui vise une forme d’embrigadement (que ce soit dans le domaine de la consommation ou dans d’autres domaines).
Chaque élu peut aussi se poser ces questions. La commune peut prendre un arrêté comme à Paris pour éviter tout affichage dans un rayon de 50 mètres autour des écoles.
Si le thème de l’action est noble, la finalité de l’est pas. Il s’agit pour l’enseigne de se (re-)forger une image sympathique auprès des enfants, des parents, des enseignants, tous consommateurs. Cela même, alors que certaines associations de défense de l’environnement pointent du doigt les pratiques obscures de la marque (comme par exemple l’omniprésence des pesticides dans les jus de fruits, les fruits et légumes). Le collectif Stop pub à l’école, qui pointe du doigt les acteurs économiques qui visent l’école et les enfants, dénonce ces pratiques, souvent pernicieuses, souvent cachées par des discours « de prévention » ou des opérations « pseudo-pédagogiques ». Stop pub à l’école a décerné en 2013 à E.Leclerc le prix de « l’intrusion publicitaire la plus dégoûtante » pour son opération « Nettoyons la nature » qui bénéficie d’un large relais dans le monde enseignant et connaît un grand succès.
Nous citoyens, parents et enfants, dénonçons l’introduction de cette forme brutale de publicité dans l’enceinte même de l’école. Nous réclamons que l’école demeure un lieu protégé des appétits des pouvoirs financiers, un lieu où l’on puisse continuer d’enseigner la pensée critique, protéger de la pression des grands groupes industriels.
Le RAP est une association nationale « Résistance à l’Agression Publicitaire » qui lutte depuis 1992 contre les effets négatifs de la publicité. Le RAP a un groupe local poitevin à qui nous avons fait part de ce récit. Vous pouvez les contacter également si ce sujet vous concerne d’une manière ou d’une autre.
Une autre banderole a été apposée à la place de la banderole E.Leclerc.
Nous espérons qu’elle amènera chacun à réfléchir à la question de la pub à l’école.
Catherine DURAND