Libé­ra­tion 2 mai, Clémen­tine Autain: « Le tour­nant histo­rique qui s’opère aujourd’­hui vient de loin »

Pour la dépu­tée insou­mise de Seine-Saint-Denis Clémen­tine Autain, l’ac­cord signé entre son mouve­ment et les écolo­gistes, avant une possible alliance avec les socia­listes et les commu­nistes, est l’abou­tis­se­ment du « non » de gauche au réfé­ren­dum euro­péen de 2005.

La dépu­tée de Seine-Saint-Denis Clémen­tine Autain a toujours eu une parti­cu­la­rité au sein de La France insou­mise : l’union de la gauche n’a pour elle jamais été un gros mot. Elle a toujours tenté de marier les diffé­rentes boutiques (surtout les écolo­gistes et les commu­nistes). Aujourd’­hui, après la signa­ture avec les Verts et en atten­dant l’abou­tis­se­ment des échanges avec les roses et les rouges, elle ne cache pas sa joie.

L’union à gauche est en train de se construire après l’ac­cord avec les écolos en atten­dant celui avec les socia­listes et les commu­nistes. Pensiez-vous voir ça un jour ?

Ce que nous sommes en train de construire, je l’ai acti­ve­ment souhaité depuis les débuts de mon enga­ge­ment poli­tique. Je n’avais pas 25 ans quand, dans la foulée des grandes grèves de novembre-décembre 1995, j’ai parti­cipé à la créa­tion de la fonda­tion Coper­nic qui visait à « remettre à l’en­droit ce que le libé­ra­lisme met à l’en­vers ». Il y avait là des mili­tants de toutes les familles à gauche, de la LCR aux socia­listes, en passant par les écolo­gistes mais aussi des syndi­ca­listes, des asso­cia­tifs et des intel­lec­tuels. L’idée de refon­da­tion nous animait, déjà, avec le parti pris de mêler le rouge, le rose et le vert autour d’un nouveau projet, de rupture et à voca­tion majo­ri­taire. Nous pensions que les partis et les clivages tradi­tion­nels n’étaient plus à la hauteur des défis. À l’époque, imagi­ner que des commu­nistes ou des socia­listes puissent travailler avec des écolos semblait d’une audace incroyable. Penser que le pôle de radi­ca­li­tés puisse prendre l’as­cen­dant à gauche l’était tout autant. Faire travailler à égalité des respon­sables poli­tiques avec des person­na­li­tés du mouve­ment social et cultu­rel appa­rais­sait nova­teur. Aujourd’­hui, je constate que nous avions raison de viser ces objec­tifs, incer­tains à l’époque parce que de longue haleine. J’ai envie de vous dire qu’il y a vingt ans, je vous aurais répondu « oui, je verrai ça un jour », mais peut-être pas il y a six mois…

Pourquoi cela marche-t-il aujourd’­hui et pas hier ?

Il faut comprendre que le tour­nant histo­rique qui s’opère aujourd’­hui vient de loin. Le « non » de gauche au traité consti­tu­tion­nel euro­péen en 2005 a été fonda­teur. Ce « non » disait l’op­po­si­tion aux normes du marché, à la « concur­rence libre et non faus­sée ». Il expri­mait une contes­ta­tion de la tech­no­cra­tie qui gouverne contre le peuple. Il unis­sait des sensi­bi­li­tés diverses à gauche et, surtout, il fédé­rait dans le monde popu­laire. Cette campagne a ravivé le ressort de la lutte des classes. Ensuite, nous avons construit les collec­tifs anti­li­bé­raux puis le Front de gauche, grâce à la sortie de Jean-Luc Mélen­chon du Parti socia­liste et à l’in­tel­li­gence poli­tique de Marie-George Buffet. En 2017, la conjonc­tion entre la sanc­tion sans appel du quinquen­nat Hollande et le score excep­tion­nel de Jean-Luc Mélen­chon (19 %) a marqué une étape déci­sive. Et en avril, les élec­teurs ont à nouveau tran­ché sur l’orien­ta­tion qui a leur préfé­rence, entre accom­mo­de­ment et chan­ge­ment en profon­deur. Ce qui marche aujourd’­hui, c’est à la fois la capa­cité de La France insou­mise, avec le talent de son leader, à créer de la dyna­mique popu­laire et notre main tendue aux autres forces de gauche et écolo­gistes qui, elles-mêmes, évoluent pour se hisser à la hauteur de l’his­toire.

L’ac­cord arrive entre deux dates symbo­liques : la Fête des travailleurs et des travailleuses et l’an­ni­ver­saire du Front popu­laire. Faites-vous un lien avec le passé ?

Oui ! C’est un passé qui nous enra­cine dans le meilleur de l’his­toire de la gauche et du mouve­ment ouvrier, celle des luttes qui gagnent et changent réel­le­ment la vie. S’y réfé­rer, c’est aussi dire que nous cher­chons à écrire une nouvelle page, et non à faire un copié-collé du passé. Pour le dire abrup­te­ment, ce que nous faisons n’est pas l’union de la gauche à l’an­cienne.

« Les gauches ne sont tout simple­ment pas conci­liables avec les idées et les pratiques de droite, ou alors elles se meurent. Voilà tout. »—  Clémen­tine Autain, dépu­tée de Seine-Saint-Denis

On a long­temps évoqué les gauches irré­con­ci­liables. Aujourd’­hui cela semble derrière vous. Cela veut-il dire que les gauches ont mis leurs diffé­rences, notam­ment sur l’Eu­rope, sous le tapis ?

Manuel Valls est l’un des grands arti­sans de cette thèse ! En réalité, les gauches ne sont tout simple­ment pas conci­liables avec les idées et les pratiques de droite, ou alors elles se meurent. Voilà tout. Et la nouvelle géné­ra­tion de diri­geants socia­listes semble désor­mais l’avoir bien compris. Après, il n’est pas ques­tion de mettre les diffé­rences sous le tapis. Les négo­cia­tions ont d’ailleurs commencé par d’âpres discus­sions de fond. Nous voulions un accord pour gouver­ner ensemble, et donc solide dans sa cohé­rence program­ma­tique. L’Eu­rope a fait partie des sujets diffi­ciles mais il fallait le décor­tiquer. Par l’échange et la volonté de s’en­tendre, nous avons levé des incom­pré­hen­sions et affi­ner ce qui nous rassemble. Résul­tat : les trai­tés euro­péens qui nous empêchent de mener une poli­tique de progrès social et écolo­gique, nous ne les applique­rons pas. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’ac­cord sur tout, solubles les uns dans les autres. Et c’est d’ailleurs une force. Qui peut croire que nous pour­rions être majo­ri­taires dans le pays sans diver­sité des sensi­bi­li­tés, sans plura­lisme ?

Comment faire pour que cet accord ne soit pas seule­ment un partage de circons­crip­tions mais un nouveau départ ?

Ah mais c’est préci­sé­ment ce que nous ne voulions pas ! Nous avons dès le début dit non à une simple répar­ti­tion des postes, nous avons immé­dia­te­ment cher­ché un accord poli­tique pour gouver­ner. Au fond, nous passons de la culture de la résis­tance à celle de l’es­pé­rance. L’enjeu n’est pas de sauver les boutiques des uns ou des autres mais de permettre aux Français, dès juin, de ne plus subir la violence sociale et l’inac­tion clima­tique de Macron. Ce qui se joue, avec l’objec­tif de Jean-Luc Mélen­chon Premier ministre, c’est de donner le choix aux Français d’ap­pliquer, dès cet été, le blocage des prix et la hausse du smic, d’en­clen­cher la bifur­ca­tion écolo­gique, d’al­ler vers la retraite à 60 ans… Le tour­nant histo­rique est là : un pôle social et écolo­gique s’est formé, et il est aujourd’­hui crédité de 9 points de plus que le bloc du Président fraî­che­ment élu. Ensemble, nous pouvons gagner.

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