Dans la préfecture de la Vienne, des militants de gauche dénoncent les violences verbales et physiques de membres de l’Action française. Parfois jusque sous leurs fenêtres.
Libération par Maxime Macé et Pierre Plottu publié le 21/12/2023
Jets de pavés, invectives, menaces… Il faisait nuit, ce vendredi 8 décembre, lorsqu’un groupe de personnes cagoulées a assiégé le domicile de deux étudiants en sciences humaines de l’université de Poitiers. Les victimes ont eu la présence d’esprit de filmer la scène, point culminant d’une série d’agressions perpétrées contre elles en raison de leur militantisme de gauche. Certaines de ces images ont été relayées sur les réseaux sociaux par des internautes indignés. Sur celles-ci, et d’autres que Libé a pu consulter, apparaissent des militants du mouvement royaliste d’extrême droite Action française (AF), activistes violents qui n’en sont pas à leur coup d’essai.
(…)Vers 2 heures du matin, « on a entendu une vitre exploser et on a vu dans la rue ces militants de l’Action française qui nous invectivaient », ajoute son frère Robbin, 19 ans. Les assaillants les insultent, les invitent à descendre pour se battre. « L’un d’eux a lancé “je suis à balle de testo[stérone], j’attends que ça”, et ses copains ont tenté d’enfoncer la porte. »
Ce n’était pas la première fois : la veille, jeudi soir, une attaque avait déjà visé l’appartement voisin, occupé par Robbin. Et dans l’après-midi, raconte ce dernier, un militant royaliste l’a abordé « pour se battre » alors qu’il prenait un verre avec sa mère à un comptoir. Des plaintes ont été déposées par les deux étudiants et leurs parents. Mais dès vendredi midi, la bande était de retour sous leurs fenêtres. « Descends ta mère, on va se battre », lance l’un des assaillants quand la mère de famille l’interpelle depuis la fenêtre. « Ils ont clairement cité le nom de la ville de mes parents en disant qu’ils vont me retrouver », se remémore Gabin.
Le soir même, donc, rebelote : « J’étais à la fenêtre et je les ai vus un peu plus loin dans la rue. Quand ils s’en sont aperçus, ils ont caché leur visage et ont couru vers l’appartement. » La suite est visible sur les images : une bande qui se déchaîne, tentant d’atteindre avec ses projectiles des victimes barricadées derrière leurs volets fermés.
« Ça fait un an qu’on reçoit des coups de pression de ces gens », racontent les étudiants. Sur les images que nous avons pu consulter apparaissent plusieurs militants bien connus de la section locale de l’Action française. Ils se nomment Maxence B, Jean-Tristan C., Erwan B. et apparaissent, sur d’autres images, tenant la banderole de leur section lors du défilé annuel de l’AF à Paris ou tractant devant des universités. Mais aussi bandant les muscles après un entraînement aux sports de combat, ou cagoulés dans les rues. Ces jeunes gens fricotent ouvertement avec les royalistes dissidents – car au néofascisme très affirmé – du groupuscule rennais l’Oriflamme Rennes, eux aussi connus pour leur violence. Et ils partagent en ligne, dans l’entre-soi des réseaux sociaux, les saluts nazis réalisés entre amis… Contacté par Libé, le secrétaire général de l’Action française, Olivier Perceval, a fait part « de son émoi face à cet acte inqualifiable ». « Nous avons d’ores et déjà exclu trois des militants responsables de cette action. Une enquête est toujours en cours et il n’est pas impossible que d’autres têtes puissent tomber », a-t-il précisé.
« Depuis la dernière campagne présidentielle, il y a un regain de l’extrême droite très net ici », assure Mathilde Geoffroy, 22 ans, présidente de l’Unef Poitiers. L’étudiante en droit évoque des agressions physiques et verbales « récurrentes » à la fac ou en ville. « Pendant le mouvement contre la réforme des retraites, l’Action française a organisé un blocage de la fac qui a donné lieu à des agressions : ma trésorière a été frappée par exemple », détaille-t-elle, réclamant « des réponses fermes de la fac ».
Directeur de cabinet de la présidence de l’Université, Emmanuel Closse réfute toute mollesse.(…) « Un appel à signalement a été diffusé. Une procédure disciplinaire sera engagée s’il y a un signalement avéré. » L’institution dit constater, elle aussi, « une recrudescence d’actes émanant de groupuscules d’extrême droite », rappelant que « des tags antisémites et d’appels à la haine ou à la violence ont été constatés sur les campus durant les derniers mois ». (…)
En ville sévissent ces royalistes, mais aussi les membres du groupuscule Poitiers nationaliste, dont le chef, Alexis D., est également… responsable de l’AF à Angoulême, une centaine de kilomètres plus au sud. « On pensait que l’Action française était plutôt la branche intellectuelle, idéologique, mais ils se révèlent être eux aussi des violents », souligne Mathilde Geoffroy, elle-même été cible de menaces et d’intimidations. Son adresse et des informations personnelles ont été dévoilées en ligne sur un forum néonazi.
En début d’année, ces nervis ont déjà attaqué des militants de gauche en pleine rue, toujours à Poitiers. Un soir de manifestation contre la réforme des retraites, alors qu’ils sortaient selon des témoins d’une conférence organisée par l’AF autour de l’abbé intégriste Matthieu Raffray – promoteur du slogan « bagarre, bagarre, prière » –, ils ont passé à tabac des manifestants qui buvaient un verre dans un bar du centre-ville. La scène a été partiellement filmée : on y voit Alexis D. parader en look skinhead alors que ses comparses frappent, à plusieurs, des jeunes au sol, puis repartent tranquillement. Des plaintes ont été déposées. Contacté, le bureau du procureur de la ville n’a pas répondu à nos questions sur ce point.
Ces informations, Gabin et Robbin Plantet les ont données aux forces de l’ordre le jeudi 7 décembre. L’accueil, assurent-ils, a été frais : après s’être d’abord vu opposer que « ça ne valait pas une plainte », ils rapportent que le policier l’ayant finalement enregistrée a multiplié les allusions à CNews et Eric Zemmour. Avant de produire un procès-verbal qui, comme a pu le constater Libération, ne mentionnait rien ou presque de leur témoignage. Les deux jeunes gens ont dû revenir et déposer un complément de plainte. Le lendemain vendredi, après la seconde attaque de leur domicile, les membres d’une bande correspondant au signalement des agresseurs ont été arrêtés et conduits au commissariat. Mais aucune confrontation n’a été organisée, déplorent les victimes. A ce sujet non plus, le procureur de Poitiers n’a pas répondu à nos questions, se contentant de confirmer l’ouverture d’une enquête préliminaire « confiée aux services de police du commissariat de Poitiers, pour dégradations et menaces réitérées ». (…)