Dans son dernier livre, « Des lieux qui disent » (JC Lattès), Edouard Philippe écrit qu’il faudra peut-être prévoir « un droit et une organisation spécifique aux musulmans ». Dans une interview à France-Inter le matin du 13 septembre, il indique, avec quelques circonvolutions, que la loi de 1905 « n’est peut-être pas en mesure de traiter la spécificité de l’islam ». Il pense qu’un jour cette question d’une organisation spécifique, « avec des obligations particulières imposées aux fidèles et aux responsables des communautés musulmanes », sera posée. Ainsi il se dit certain que l’idée de proposer une forme de concordat reviendra sur la table.
Il faut prendre la mesure de ces propos. C’est la première fois qu’un responsable politique de ce niveau envisage explicitement un traitement différencié des religions et une remise en cause aussi brutale de la loi de 1905. Rappelons que cette dernière instaure d’une part une double séparation, celle des institutions publiques et du religieux, et par conséquent la liberté des religions à s’organiser comme elles l’entendent, et d’autre part l’égalité des religions devant la loi. C’est à ces deux principes fondamentaux qu’Edouard Philippe s’attaque.
Le « concordat » auquel il fait allusion remet en cause cette double séparation. Il s’agit, en rupture complète avec la loi de 1905, d’une volonté de contrôle d’une religion par la puissance publique et donc de la fin de la séparation entre religieux et politique puisque le pouvoir aurait la possibilité, selon les mots mêmes d’Edouard Philippe, de dire son mot sur l’organisation du culte musulman. Il s’agit aussi d’une rupture dans l’égalité de traitement des religions puisque l’islam serait traité différemment.
Cette position nous en rappelle une autre, le refus des gouvernements de l’époque et des autorités coloniales d’appliquer dans les colonies et en particulier en Algérie la loi de 1905 et ce malgré la demande des responsables musulmans. Les autorités coloniales préféraient en effet maintenir un contrôle étroit sur tous ceux qui étaient soumis au code de l’indigénat, à tel point que le terme « musulman » a pris à l’époque une connotation ethnique. Ainsi, la cour d’appel d’Alger a statué en 1903 que ce terme « n’a pas un sens purement confessionnel, mais qu’il désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane qui, n’ayant point été admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartiennent ou non au culte mahométan ». Et la cour de parler d’« indigènes musulmans chrétiens » (sic).
Rupture de l’égalité des religions
Au-delà même de la remise en cause de la loi de 1905, c’est de l’égalité des citoyens devant la loi dont il est ici question. Ce que défend Edouard Philippe est tout simplement de remettre aussi en cause ce principe fondamental puisque, selon leur religion, ils ne seraient pas traités de la même façon.
On voit là où aboutissent la hantise de l’islam et une islamophobie qui maintenant s’assume sans vergogne. Ainsi Edouard Philippe nous dit que l’islam « est travaillé par des aspirations obscurantistes ». C’est vrai, mais ni plus ni moins que les autres religions. Sans même aller loin avec l’intégrisme hindouiste de [Narendra] Modi [le Premierministre de l’Inde], reçu en grande pompe en France, n’y a-t-il pas de fortes tendances intégristes dans le judaïsme et le christianisme ?
Toutes les religions sont en permanence traversées par des conflits internes entre des conceptions totalitaires qui visent à imposer leur dogme à la société et celles qui en respectent la diversité. La laïcité, telle que la loi de 1905 l’inscrit dans le droit, a permis sinon d’éviter les conflits – ceux-ci ont été nombreux que ce soit sur l’école ou dernièrement sur le mariage pour tous – du moins d’avoir un cadre pour les traiter. C’est ce cadre qu’Edouard Philippe envisage de remettre en cause et ce sont encore les musulmanes et musulmans qui en paieront le prix.
Ce texte a été rédigé par Pierre Khalfa (économiste, Fondation Copernic). Il est cosigné par :