A propos d’une lutte écologiste à Bussière, dans la Vienne.
Je me permets de reproduire l’essentiel d’un texte du blog de jpd dans Mediapart, « Lutter contre l’implantation d’éoliennes en étant antinucléaires ».
Un vrai débat : qui décide quoi?, le capitalisme vert, etc.
PB
« Quand on est farouchement antinucléaire, faut-il se faire tout mou face aux scandales liés à l’industrie éolienne pour ne pas jouer le jeu des pronucléaires qui animent en sous-main bon nombre d’associations anti-éoliennes ? Certainement pas, car si le principe d’utiliser le vent pour produire de l’électricité est une bonne idée, la façon dont se structure et s’impose l’industrie de l’éolien en France va dans le sens d’une poursuite du programme nucléaire.
Nous sommes dans un village de la Vienne, à un jet de drone de la centrale nucléaire de Civaux, sur le territoire duquel des promoteurs envisagent l’implantation d’une « ferme » éolienne (1). Un projet dans le vent parmi d’autres dans un périmètre assez restreint de l’est et du sud du département. Si nous étions sensibles aux clichés qui font de l’éolienne une icône de la modernité écologique, nous devrions nous en réjouir, et bêtement considérer que cela est quand même mieux que le nucléaire. En termes de danger immédiat, c’est une évidence : si la centrale de Civaux s’aventure dans une « excursion » nous sommes foutus, rayés, liquidés ; si l’éolienne située à quelques centaines de mètres de chez nous se casse la gueule, on ira juste voir s’il n’y a pas quelqu’un coincé dessous.
Seulement voilà, ce n’est pas la centrale OU l’éolienne, mais la centrale ET l’éolienne. Et il ne s’agit pas là d’une réalité purement locale (évidemment ! Il faudrait plus de 1 000 éoliennes pour produire autant d’électricité que les deux tranches de Civaux) (2), mais d’un constat hexagonal. La loi sur la transition énergétique va déboucher sur l’affirmation d’une volonté, essentiellement propagandiste, de développer les techniques dites alternatives et durables (dont l’éolien est le fer de lance), mais surtout sur l’accroissement du parc nucléaire et l’allongement de la durée de vie des centrales. Qui plus est, ce qui va sortir du chapeau de Royal, c’est une confirmation de la toute-puissance d’EDF, qui pourra mettre en place son plan pour l’énergie sans que celui-ci puisse être contesté. Même s’il le voulait (ce qui n’est pas le cas), le gouvernement ne pourrait pas imposer une diminution de la part du nucléaire dans une stratégie qui prévoit et encourage une augmentation de la consommation d’électricité dans les décennies à venir. Au mieux, les énergies dites renouvelables ne feront que produire une partie de cette augmentation, ce qui veut dire que le nombre de tranches augmenterait même si la part du nucléaire diminuait.
On se demande alors si les propagandistes de l’éolien, sous de nobles ambitions, ne cachent pas des objectifs plus ou moins inavouables.
L’industrie de l’éolien, une rente et un alibi
Au départ, ce sont quelques petites et moyennes entreprises qui se sont lancées dans l’éolien industriel. Certes, parfois porteuses d’une « volonté écologique » bien-pensante, mais surtout qui se marie avec un business dans le vent en bénéficiant de pas mal d’avantages octroyés par l’Etat. Les choses changent vite. De très grosses firmes, comme Total, Siemens, Areva ou EDF , se sont emparées du marché en absorbant nombre de ces sociétés premières ou en créant les leurs dans un jeu peu transparent de poupées russes qui, au bout du compte, conjugue clairement de gros bénéfices en termes de pognon et d’image écolo.
Cette rente/alibi s’appuie en grande partie sur deux aspects des politiques énergétiques mises en œuvre :
EDF surpaye le KWh aux promoteurs de fermes éoliennes
Depuis les arrêtés du 17 novembre et du 23 décembre 2008, l’opérateur historique EDF est obligé d’acheter l’électricité produite par les éoliennes en France à 82 euros le mégawatt-heure, soit un montant supérieur au prix du marché. Le surcoût de cette aide aux investisseurs éoliens n’est nullement un effort de l’Etat puisqu’il est répercuté dans la contribution au service public de l’électricité (CSPE), une taxe que tout consommateur peut voir sur sa douloureuse sans que, pour autant, la répartition de cette contribution, qui représente en moyenne 15 % de la facture de chaque feu, soit précisée.
Il y a, de plus, un engagement de l’Etat à maintenir constant le revenu de l’éolien pendant dix ans, renouvelable cinq années supplémentaires.
Ludovic Grangeon, qui est loin d’être un « écolo », mais qui connaît bien son sujet puisqu’il a exercé à la Caisse des dépôts et consignations et fut président-directeur général de Véolia/Dakia dans le sud-est de la France, résume ainsi cette situation : « Comment faire fortune très vite en profitant d’une taxe publique obligatoire, payée par tout le monde, achetant à l’avance mes produits, sans aucune garantie de fourniture, sans contrôle de mes activités (l’Etat, par l’intermédiaire d’EDF, assure le promoteur d’être payé quelle que soit sa production)… et comment l’imposer à des collectivités locales “dociles”. Il en est ainsi aujourd’hui de l’éolien en France. »
Le permis de polluer
Il s’agit d’un protocole signé à Kyoto en 1997 (et entré en vigueur en 2005) qui est basé sur l’inébranlable foi selon laquelle l’économie de marché est le régulateur le plus naturel et le plus efficace pour résoudre toutes les questions qui relèvent de l’économie, et donc celles liées à l’émission de gaz à effet de serre. Or, depuis que le protocole est entré en vigueur, les émissions de CO2 n’ont pas plus baissé sur la planète que, depuis un siècle, les massacres et les inégalités grâce à la régulation naturelle de l’économie de marché !
Les entreprises et les Etats se sont vu attribuer des quotas d’émission en unité « équivalent CO2 ». Ces attributions sont censées diminuer au fil des ans. Les entreprises (ou les Etats) qui, bons élèves, n’ont pas atteint leur quota peuvent vendre leur « excédent » à d’autres entreprises qui, elles, les ont dépassés. C’est ainsi que s’est mis en place un véritable marché qui est censé, par le jeu de l’offre et de la demande, amener à baisser ces émissions. Autrement dit, pour un gros polluer comme Total, investir dans l’éolien permet de polluer à moindre frais dans d’autres secteurs.
Au niveau des Etats, ce protocole permet à un pays industrialisé de s’affranchir d’une partie de ses obligations sur son territoire en faisant un investissement « propre » dans un pays en développement. Ces derniers n’étant pas soumis à des quotas, ils peuvent également y délocaliser leurs entreprises les plus polluantes puis, en diminuant progressivement leurs émissions, acquérir des droits à polluer qui peuvent être revendus dans les pays soumis à quotas.
C’est donc un véritable business coté en Bourse qui s’est mis en place autour de l’achat et de la vente de ces certificats d’autorisation à polluer. Et comme la fraude est concomitante au business en général, l’écologie n’échappe pas à la règle. En France, la Cour des comptes a dénoncé en 2012 plus de 1,8 milliard d’euros de fraudes aux certificats carbone, avec 18 procédures en cours. Dans le même temps, à Frankfort, 25 dirigeants de la Deutsche Bank étaient interpellés dans une enquête concernant une fraude du même type, évaluée par la police financière à 5 milliards (3).
Quoi qu’il en soit, même sans fraude, le business est juteux. Le chiffre d’affaires de l’éolien, en France, est de plus de 10 milliards d’euros et, en quelques années, plusieurs dizaines d’investisseurs ont fait fortune dans le domaine des énergies renouvelables – les trois ou quatre premiers d’entre eux engrangeant plusieurs centaines de millions d’euros chaque année !
Une première conclusion s’impose : pour l’instant, avec les mécanismes mis en place, le vent sert plus à faire du fric qu’à produire de l’électricité.
Mais alors, comment s’y prennent-ils pour faire avaler la pilule ?
Comment les promoteurs s’y prennent-ils ?
Offrez un plat de lentilles à un prisonnier qu’on aura affamé volontairement pendant plusieurs mois et il vous prendra pour Lucullus. Soit un petit village ou une communauté de communes situé dans une zone plus ou moins en voie de désertification (disparition progressive des services publics – poste, transports, école –, des commerces, des dotations financières pour l’entretien des routes et des bâtiments, etc.) à qui l’on propose soudain 120 000 euros par an pendant vingt-cinq ans et 225 000 euros au départ pour financer un projet. Par exemple, la société Valeco, pour vendre son projet (ou acheter les élus, c’est selon), n’hésite pas à proclamer que le projet d’implantation d’éoliennes dans le village dont nous parlions, La Bussière, permettrait de « maintenir la qualité de vie et des services, de maintenir le financement de la scolarisation des élèves, de maintenir le bon état du niveau de la voirie communale… » Rien que ça ! Autrement dit, nous passerions progressivement d’un système avec un service public qui se veut égalitaire à une organisation sociale financée par les entreprises. Une école privée payée par Total, ou EDF, des chemins communaux inaugurés par Siemens ou Areva. Malgré ce cauchemar fort peu ragoûtant les yeux de certains élus et habitants clignotent alors comme ceux de Picsou à la vue de ce qui est pourtant, en regard de futurs emmerdements, une misère. Les propriétaires des terrains devraient quant à eux palper autour de 5 000 euros par an par éolienne. De quoi mettre un peu de beurre dans les épinards d’un agriculteur en difficulté, comme il en existe tant (4) !
Demandons-nous alors pourquoi ces sociétés « productrices d’énergies renouvelables » n’achètent pas les terrains, ce qui leur reviendrait de très loin beaucoup moins cher au prix de l’hectare de terre agricole ! Officiellement, pour pouvoir rendre plus facilement à la nature ce qu’on lui a emprunté pour quelque temps. Mon cul ! C’est tout simplement parce que le propriétaire du terrain reste, quoi qu’il arrive et en dernier ressort, le responsable de ce qu’il a mis ou accepté de mettre chez lui. Par exemple, si l’investisseur disparaît pour une raison ou une autre avant ou à l’issue des vingt-cinq ans, c’est le propriétaire du terrain qui aura la responsabilité de démanteler l’engin. Coût : entre 150 000 et 800 000 euros selon les cas et les devis. Or la provision déposée à la caisse des dépôts par l’investisseur pour garantir un démantèlement en bonne et due forme n’est que de 53 000 euros. Le proprio n’aura plus que ses yeux pour pleurer, comme Perrette avec son pot cassé.
Des réticences…
Face à l’image « écolo » des éoliennes, s’y opposer n’est, dans un premier temps, pas chose évidente pour des antinucléaires convaincus, directement concernés par un projet d’installation d’une « ferme » à quelques centaines de mètres de chez eux, comme c’est le cas dans ce village.
D’abord parce qu’on doit impérativement s’interroger pour savoir si nous ne serions pas, malgré nous, victime du syndrome NIMBY (5) que nous avons mille fois dénoncé. Une fois s’être bien persuadé qu’il n’en est rien et que nos motivations sont quand même bien plus hautes, un second obstacle se présente, dès lors que l’on ne veut pas se contenter de belles déclaration de principe du genre « y a rien à faire tant que le système – capitaliste – est en place », mais agir concrètement pour que le projet ne se fasse pas : l’orientation politique de bien des associations anti-éolienne.
(…)
… à dépasser
Le Réseau pour un avenir sans nucléaire n’a donc pas tort de dire que « les anti-éoliens […] sont la plupart du temps des pronucléaires mal déguisés ». Pourtant, ce qui est n’a pas vocation à rester éternel, et les antinucléaires feraient bien de ne pas laisser le combat contre l’implantation d’éoliennes à ces gens-là. Et donc bien de s’opposer aux projets tels qu’ils sont ficelés car ils s’intègrent dans une politique de poursuite du nucléaire et de niches offertes aux grands groupes pour faire fructifier leurs bénéfices ou recycler quelques « sales pratiques ». Nous sommes là très loin d’une simple application du principe de transformation l’énergie du vent en électricité.
Les écologistes ont longtemps rejeté certains arguments avancés par les environnementalistes, comme par exemple celui concernant l’impact de l’éolien sur la santé. EELV ne l’évoque même pas, le Réseau le jugeait démagogique et faux.
Pourtant, même si sur ces questions nous n’avons pas, la plupart du temps, matière à jugement définitif, il y a des contradictions troublantes. Ainsi, l’OMS fixe à 1 500 mètres la distance éolienne-habitation, tout comme l’académie de médecine en France. Pourtant, la loi ne prévoit que 500 mètres au minimum, sur la base d’une étude fournie par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) qui ne s’est préoccupée que du bruit et a totalement laissé de côté l’impact des infrasons dans son étude.
Il faut prendre sérieusement en compte le fait que depuis quelques temps les luttes contre des projets d’implantation d’éoliennes se multiplient et que celles et ceux qui les animent ne sont pas obligatoirement des « pronucléaires mal déguisés ». Les futures batailles qui, comme nous le pensons, vont se multiplier, pourraient ressembler davantage à celles menées les grands travaux et porteuse d’une interrogation sur l’utilisation du territoire, qu’à un outil réactionnaire et anti-écolo primaire. Sans oublier que c’est bien dans ce genre de luttes que sont abordées et discutées les questions essentielles de la production énergétique, du comment et du pourquoi, entre gens directement concernés par toutes les nuisances, et non dans quelques cénacles de spécialistes, qu’ils soient écologistes de gouvernement ou radicaux.
Tout projet abandonné à la suite d’une opposition et d’une lutte d’habitants, ne doit pas être interprété comme une défaite de l’écologie face aux pronucléaires, mais au contraire comme un bâton mis dans les roues de ceux qui veulent à la fois faire du fric sur les énergies renouvelables et conserver le nucléaire. La production d’électricité par la transformation de l’énergie du vent pourrait sans doute s’organiser autour d’un système décentralisé et contrôlé par les communautés humaines de base. Au lieu de cela la mise en place de l’industrie éolienne s’organise selon un modèle technocratique hyper centralisé et incontrôlable, dont le nucléaire est le fleuron et auquel il est intimement lié. Une raison de plus pour s’y opposer.
jpd
1. Les communicants ont l’art de repeindre en vert de noirs projets en évoquant la nostalgie de ce qu’ils contribuent à faire disparaître.
2. La Région Champagne-Ardennes, la première pour la puissance éolienne installée, produit moins d’une tranche de centrale (1000 MW).
3. Economie matin, 19 décembre 2012.
4. Il y a aussi les nombreux cas où des maires, conseillers municipaux ou présidents de communauté de communes sont poursuivis pour conflits d’intérêt. Juge et partie, ils ont voté en conseil en faveur d’un projet d’implantation tout en étant propriétaires des parcelles désignées.
5. NIMBY : Not In My Back Yard (« Pas dans mon arrière-cour »). Autrement dit, pas chez moi mais chez les autres.
http://blogs.mediapart.fr/blog/jpd/140515/lutter-contre-l-implantation-d-eoliennes-en-etant-antinucleaire