« Sauvez-nous. Nous mourons » : la famine emporte Gaza
Plus d’une centaine de Palestiniens, dont une majorité d’enfants, sont morts de faim dans l’enclave depuis le blocus humanitaire début mars. L’ONU accuse l’armée israélienne d’avoir tué plus de 1 000 personnes tentant d’obtenir de l’aide alimentaire depuis fin mai.
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À Gaza, tout s’achète avec de l’argent liquide. Or il n’y a plus de banques. Les Palestinien·nes doivent donc s’adresser à des agents de change. Les frais sont exorbitants : ils peuvent représenter jusqu’à la moitié de la somme retirée.
« Les prix ont été multipliés par dix ces derniers jours, témoigne, depuis la ville de Gaza, Basel, un père de famille déplacé avec sa femme et leurs sept enfants. Plus rien n’est disponible sur les marchés. Pour se procurer un kilo de riz ou de lentilles, il faut marcher des kilomètres, ou connaître quelqu’un qui puisse vous en vendre. »
Fin mai, Mohammed Abu Mughaisseb, coordinateur médical de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), racontait à Mediapart qu’il survivait avec un repas par jour. Désormais, écrit-il sur les réseaux sociaux, il mange une fois tous les deux jours. « Mon corps abandonne, confie le soignant. Nous traitons des patients affamés tout en étant nous-mêmes affamés. On s’attend à ce que nous sauvions des vies alors que les nôtres se détériorent lentement. »
« Sauvez-nous. Nous mourons de faim », supplie Mohammad Saqer, directeur des soins infirmiers à l’hôpital Nasser de Khan Younès (sud), joint par téléphone par Mediapart. Son hôpital, un des plus grands de l’enclave, est dans une zone dite « de combat » par l’armée israélienne. Ses équipes sont à bout. « Nous sommes sur le point d’interrompre le service de soins faute de gaze, de pansements, de seringues », dit-il.
La faim n’épargne personne, elle traverse les classes sociales. Sur le réseau social X, l’ambassadrice de la Palestine en France, Hala Abu Hassira, raconte un échange téléphonique avec son oncle, à Gaza, qui n’a rien mangé depuis quatre jours. « Comment acceptons-nous qu’un peuple entier soit affamé, que la famine soit utilisée comme arme de guerre par Israël, en toute impunité et dans un silence quasi total ? », s’indigne-t-elle.
Entre lundi 21 et mardi 22 juillet, quinze personnes, dont quatre enfants, sont mortes de faim, rapporte le ministère de la santé palestinien. En tout, plus d’une centaine de Palestinien·nes ont succombé à la famine, dont 80 enfants, depuis le blocus humanitaire total début mars. Depuis le début de l’année, « 112 enfants sont admis chaque jour pour recevoir un traitement contre la malnutrition », affirme l’Unicef.
« C’est un déclin continu, explique Jack Latour, directrice des activités des infirmières de MSF depuis Gaza. Je le vois dans mon personnel qui arrive plus fatigué, je le vois quand les gens perdent conscience, quand des femmes ne sont plus capables d’allaiter parce qu’elles ne produisent tout simplement plus de lait. »
« Les enfants de moins de 6 mois ont besoin de “baby formula” [du lait infantile en poudre – ndlr]. Dans deux semaines, je serai en pénurie totale », poursuit l’infirmière. Elle a travaillé au Tchad et en Haïti, mais n’a jamais rien vu de pareil : « Ce qui est différent, c’est qu’ici, les solutions sont totalement disponibles », martèle-t-elle. Elle pense aux dizaines de camions chargés d’aide humanitaire qui attendent aux frontières de Gaza.
Ce constat est partagé par Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures et de la communication de l’Unrwa, l’agence onusienne chargée des réfugié·es palestinien·nes : « Depuis quelques semaines, les entrepôts dans Gaza sont vides, même si nos propres entrepôts en Égypte et en Jordanie sont pleins. Nous avons assez de nourriture et autres produits pour au moins deux mois pour toute la population – tous bloqués par Israël. »
Depuis le début de la mise en place des distributions alimentaires via la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), cette structure controversée, parrainée par Israël et les États-Unis pour contourner les ONG internationales et l’ONU, Souhaib Abou Saif a tenté d’aller dans un de ses centres puis a renoncé : trop dangereux.
« Tu peux te faire arrêter [par l’armée israélienne], être pris sous les bombes ou visé par des tirs », résume-t-il d’une voix ferme. Selon les chiffres des Nations unies, plus de 1 000 personnes ont été tuées depuis la fin du mois de mai alors qu’elles tentaient de se procurer de l’aide alimentaire. Les Palestinien·nes surnomment ces distributions les « Hunger Games ».
Dimanche 20 juillet, au moins 99 civils ont été tués par l’armée israélienne, après une de ces distributions. « À l’approche du convoi, la foule a été la cible de tirs de chars israéliens, de snipers et d’autres tirs », décrit sur X le Programme alimentaire mondial.
La faim obsède ; elle transforme les gens. (…)
Au milieu du chaos ont surgi des profiteurs de guerre qui revendent la farine, les pâtes, l’huile ou le sucre des colis alimentaires à des prix exorbitants. La semaine dernière, des Gazaoui·es ont rapporté des manifestations, et des affrontements avec ceux qui prospèrent sur la famine. Les marchés ont été brièvement fermés. Mais la pression a eu l’effet inverse : quand ils ont rouvert, les prix avaient encore augmenté.
Souhaib Abou Saif y voit une nouvelle preuve du délitement du tissu social qui faisait la fierté des Gazaoui·es. Ce riche réseau de liens du sang et de relations de voisinage s’est peu à peu effondré entre les privations, les deuils et les déplacements forcés. Le jeune homme se demande comment Gaza pourra un jour refaire société.
