5 décembre 2025

Media­part. Carine Fouteau, 10 septembre. Un président qui fait le jeu du RN.

Extraits.

(…) Pendant ce temps, en ce 10 septembre où l’appel à « tout bloquer » s’est maté­ria­lisé des réseaux sociaux à la rue, la France se couvre bruyam­ment de barrages et de mani­fes­tant·es plus en colère que poli­cé·es. La répres­sion par les forces de l’ordre, massi­ve­ment déployées, n’em­pêche pas les modes d’ac­tion et les slogans de se réin­ven­ter dans un mouve­ment hété­ro­clite, venu d’en bas, symbo­lique d’un ras-le-bol social qu’au­cun parti poli­tique n’est parvenu à récu­pé­rer. Hôpi­tal, école, loge­ment, salaire, il est ques­tion des condi­tions de vie dégra­dées et du senti­ment de n’être plus repré­senté. De l’en­thou­siasme au déses­poir, chacun·e cherche à faire entendre sa voix.

Pour­tant, à Mati­gnon, la mobi­li­sa­tion citoyenne n’est pas évoquée, comme si elle n’exis­tait pas. Le contraste entre ces deux mondes est saisis­sant, pour ne pas dire glaçant. Il dit l’abîme qui les sépare et la gravité de la crise de régime dans laquelle le pays est plongé. Et cela, par la faute du chef de l’État.

(…)

L’am­bi­tion du chef de l’État est double : se main­te­nir au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat, sans renon­cer à la poli­tique écono­mique qu’il a ardem­ment mise en œuvre dans le sillage de ses prédé­ces­seurs, au béné­fice des plus riches. Pour cela, fort d’un prési­den­tia­lisme dont il a poussé la verti­ca­lité à l’ex­trême, il est prêt à tout, « quoi qu’il en coûte ». Quitte à s’as­seoir sur la logique insti­tu­tion­nelle et la pratique répu­bli­caine lui enjoi­gnant de tenir compte du résul­tat des élec­tions légis­la­tives. Quitte aussi à provoquer l’ac­cé­lé­ra­tion d’une fusion des droites, qui ne demande qu’à débor­der dans le camp macro­niste.

Sa respon­sa­bi­lité dans le chaos poli­tique est totale : non seule­ment parce qu’il a décidé, seul, de dissoudre l’As­sem­blée natio­nale à l’été 2024, à un moment où l’ex­trême droite béné­fi­ciait de la dyna­mique des élec­tions euro­péennes, mais aussi parce qu’il refuse conti­nû­ment d’en­tendre les voix qui s’ex­priment dans les urnes et dans la rue.

Emma­nuel Macron n’a tiré aucune des leçons des élec­tions légis­la­tives anti­ci­pées. Tout d’abord, alors que les forces de gauche issues du Nouveau Front popu­laire (NFP) sont arri­vées en tête, il ne leur a jamais proposé le poste de premier ministre. Certes, elles ne sont pas majo­ri­taires dans l’hé­mi­cycle, mais elles étaient en posi­tion d’of­frir une alter­na­tive.

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Au mépris des forces parle­men­taires, la concep­tion « jupi­té­rienne » de son rôle a crû de manière inver­se­ment propor­tion­nelle à sa base élec­to­rale. Avec cette nouvelle nomi­na­tion à Mati­gnon, l’hy­per­pré­si­den­tia­lisme trouve son paroxysme tout autant que ses limites : amis proches, Emma­nuel Macron et Sébas­tien Lecornu sont telle­ment inter­chan­geables qu’au­cun bouclier ne protège plus le président. La pers­pec­tive d’une disso­lu­tion, voire d’une démis­sion, se rapproche inévi­ta­ble­ment, sans autre solu­tion.

Suppo­sée garan­tir la stabi­lité insti­tu­tion­nelle, sa fonc­tion de chef de l’État ne tient plus qu’à un fil. (…) le chef de l’État n’a jamais pris en compte le rejet massif de sa poli­tique, et notam­ment de sa poli­tique écono­mique, duquel découlent les échecs élec­to­raux de son parti et de ses alliés.

En dési­gnant Michel Barnier (Les Répu­bli­cains, LR), puis François Bayrou (MoDem), puis Sébas­tien Lecornu (Renais­sance) comme premiers ministres, il ne fait que recon­duire la logique néoli­bé­rale qui sert entre eux de fil conduc­teur, de la multi­pli­ca­tion des cadeaux fiscaux aux plus fortu­nés à l’aban­don des services publics en passant par les renon­ce­ments sur l’éco­lo­gie et le loge­ment, au béné­fice des lobbys et des multi­na­tio­nales. (…)

(…) Le réel, c’est que l’éco­no­mie française n’a survécu à la crise finan­cière de 2007–2008 et aux suivantes, notam­ment celle du covid, qu’a­vec l’aide de l’État-provi­dence, financé par les citoyen·nes et censé, à l’ori­gine, répondre à leurs besoins.

Le ralen­tis­se­ment de l’ac­cu­mu­la­tion du capi­tal a eu pour consé­quence, en France et ailleurs dans le monde occi­den­tal, de pous­ser ses déten­teurs à limi­ter autant que possible les poli­tiques redis­tri­bu­tives. Sous Nico­las Sarkozy, comme sous François Hollande, les réformes du marché du travail se sont traduites par un affai­blis­se­ment des condi­tions sala­riées, les mesures fiscales sont venues au secours du patro­nat, tandis que les trans­for­ma­tions de l’État social ont entraîné l’aban­don des services publics, de l’école à la santé, et la mise à l’in­dex des chômeurs et des chômeuses.

Plutôt que de dénouer la crise écono­mique et sociale, Emma­nuel Macron n’a fait que l’am­pli­fier en pour­sui­vant les trans­ferts de fonds de l’État vers le secteur privé et en présen­tant la note des réduc­tions de défi­cit aux travailleurs et travailleuses et aux services publics.

Cette poli­tique, forcé­ment impo­pu­laire, ne peut que conduire au crash démo­cra­tique. Et cela, d’au­tant plus que le président de la Répu­blique a refusé d’écou­ter le troi­sième message issu des élec­tions légis­la­tives anti­ci­pées des 30 juin et 7 juillet 2024.

Alors que les Français·es se sont levé·es en masse pour bloquer l’ac­cès du Rassem­ble­ment natio­nal (RN) à Mati­gnon, il a donné son aval à Michel Barnier et François Bayrou pour qu’ils s’ap­puient sur l’ex­trême droite pour gouver­ner. Selon les données statis­tiques de l’Assem­blée natio­nale, le RN, depuis l’été 2024, a ainsi voté 90 % des textes présen­tés par le gouver­ne­ment déchu et, au-delà des projets de loi, la moitié du temps, il a voté avec les groupes de la majo­rité prési­den­tielle, selon un décompte de Poli­tis.

Cette alliance s’est cris­tal­li­sée au minis­tère de l’in­té­rieur, avec la nomi­na­tion du patron du parti Les Répu­bli­cains, Bruno Retailleau, (…)

Avec Sébas­tien Lecornu, c’est main­te­nant à Mati­gnon que s’af­fiche cette compli­cité, puisque l’ex-ministre des armées est consi­déré comme « sympa­thique » par Marine Le Pen. De là à penser qu’il a été choisi pour conti­nuer de trou­ver des voies de passage avec le groupe qu’elle dirige à l’As­sem­blée natio­nale, il n’y a qu’un pas. On peut au moins conclure que leurs rencontres secrètes, au prin­temps 2024, ne lui ont pas porté préju­dice.

(…) Désor­mais adoubé par Nico­las Sarkozy, ce rappro­che­ment (des droites) , en germe depuis des années, a pour effet de bana­li­ser, légi­ti­mer et renfor­cer l’ex­trême droite, au risque de lui faci­li­ter l’ar­ri­vée à Mati­gnon et/ou à l’Ély­sée.

Les barrages de papier tombent les uns après les autres : les idées xéno­phobes, racistes, sexistes, homo­phobes, clima­ti­cides et anti-sociales se répandent déjà à la tête de l’État, il ne reste plus au RN ou à ses comparses qu’à en déte­nir les clefs.

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