Un excellent article a paru hier dans Mediapart, signé par Dan Israël, sur la lutte pour le maintien de la maternité du Blanc à l’occasion de l’expulsion des occupant.e.s par les gendarmes. Ici comme ailleurs le refus de dialogue du gouvernement et de ses relais.
Ce qui est original, c’est le comité « C pas de main la veille » animé par des militant.e.s, « ni soignants ni élus », jeune et imaginatif. Ce qui est étonnant, ce sont toutes les récentes initiatives médiatisées prises par le collectif et les élu.e.s. Une ruralité jeune, dynamique et joyeuse affronte les hommes en gris du pouvoir.
Puis un article et une vidéo de La Nouvelle République sur les servantes écarlates du Blanc.
PB, 1–11–2018
Voici de larges extraits de cet article consultable sur le site de Mediapart (accès payant):
Evacués de la maternité du Blanc, ils dénoncent le « mépris des autorités »
31 octobre 2018 Par Dan Israel
Les opposants à la fermeture de la salle d’accouchement de cette sous-préfecture de l’Indre occupaient l’hôpital depuis onze jours. Ils ont été évacués le 30 octobre. Depuis juin, la mobilisation rassemble élus locaux, soignants et habitants, mais elle se heurte au ministère de la santé, à l’autorité régionale de santé et à la direction de l’hôpital.
Le Blanc (Indre), envoyé spécial.–
(…)Les membres du collectif « C pas demain la veille », qui militent contre la fermeture programmée de la seule salle d’accouchement à 60 kilomètres à la ronde, prévoyaient de tenir leur traditionnel point presse de 19 heures, d’accueillir les 200 à 300 personnes leur rendant visite chaque jour, d’organiser une dégustation de Pouligny-Saint-Pierre, le fromage de chèvre local. D’organiser, aussi, des visites similaires à celles des politiques Philippe Poutou (NPA), passé dimanche 28, et Benoît Hamon (Génération.s), passé le lendemain, ou encore de maintenir la liaison avec les hôpitaux de Poitiers, Vierzon ou Toulouse, qui les soutiennent.
Les membres du collectif n’en auront pas eu l’occasion. Pas plus que de renouveler les événements déjà organisés, comme les buffets, les répétitions de chorale, les animations pour enfants, les visites du marché local… À 4 h 45 du matin, des dizaines de gendarmes ont évacué dans le calme les occupants de cette maternité rurale, aux confins de l’Indre, de la Vienne et de l’Indre-et-Loire, mettant fin à onze jours d’occupation bon enfant.
Prévenus à l’avance par une bonne source, les organisateurs avaient rassemblé 80 personnes dans la nuit, y compris une dizaine d’enfants. Lorsque les gendarmes se sont présentés, les familles sont sorties, suivies d’élus locaux qui ont fait une courte déclaration : « Nous demandons du dialogue depuis dix jours, et voilà la réponse de l’État. » Les gendarmes ont ensuite évacué une dizaine de femmes habillées en « servantes écarlates » – du nom de la série télé et du roman de Margaret Atwood, devenus des symboles des violences faites aux femmes, régulièrement convoqués par les militants locaux – puis tous les autres(…)
Pour les autorités, la situation est en effet limpide : les habitants ont perdu leur bras de fer. Les accouchements avaient déjà été suspendus le 27 juin, jusqu’à la fin octobre, pour cause de manque de personnel, selon la direction de l’hôpital. La maternité est cette fois définitivement fermée depuis que le conseil de surveillance de l’hôpital de Châteauroux, dont dépend la maternité depuis janvier 2017, a confirmé la procédure vendredi 19 octobre. Une situation symbolique de ces petites villes qui perdent les unes après les autres leur maternité. Le Monde a rappelé au début de l’année qu’en 40 ans, le nombre de maternités a été divisé par trois, alors que les naissances sont restées relativement stables, autour de 800 000 par an.
Les 6 500 habitants du Blanc, mais aussi la population dix fois plus nombreuse de tout le bassin qui dépend de l’hôpital, doivent désormais se tourner vers les centres hospitaliers de Châtellerault (52 km), Châteauroux (59 km) ou Poitiers (61 km), tous à environ une heure de route. Selon les calculs des défenseurs de la maternité, l’Indre compte désormais une seule maternité pour 224 000 habitants, contre quatre pour le Cher et ses 308 000 habitants.
Ce mardi, la pilule est amère. D’autant que lorsque les militants se rassemblent à la trésorerie des finances publiques, les meubles et les lits de la maternité sont en cours d’enlèvement, rassemblés dans des camions de déménagement, et que l’eau et l’électricité sont coupées sur place. Signe définitif de la mise au rebut de ce service public si chèrement défendu ? C’est l’interprétation qui domine dans les rangs, déjà échaudés par le cadenassage ô combien symbolique des portes de la salle d’accouchement le 27 juin. (…)
L’occupation avortée de la maternité, suivie de celle du centre des impôts, ne sont que les dernières manifestations d’une mobilisation tous azimuts depuis le mois de juin : « Appel citoyen » le 18 juin devant la sous-préfecture, mise en scène le 29 d’un faux accouchement sur le pont qui enjambe la Creuse, envoi d’une pétition signée par 43 maires au premier ministre, plainte en référé – rejetée –devant le tribunal de grande instance de Limoges et manifestation rassemblant de 2 000 à 3 000 personnes devant la mairie le 15 septembre… Le 28 septembre, 53 élus locaux ont encore accroché aux grilles de la sous-préfecture des portraits officiels d’Emmanuel Macron, et le 11 octobre, plus de 72 élus locaux ont adressé leur démission au préfet, qui a deux mois pour accepter ou refuser.
Les habitants sont mobilisés, en soutien des militants
Les élus locaux attendaient de la ministre de la santé la même chose que de ses prédécesseurs, Xavier Bertrand en 2011 et Marisol Touraine en 2012 : obtenir, au nom de l’aménagement du territoire, un moratoire sur la fermeture d’une partie de cet hôpital isolé, évoquée pour la première fois en 2011. Aujourd’hui, ils déchantent. « Les précédents gouvernements avaient rencontré les élus et les avaient entendus. Cette fois, rien, signale dépitée Annick Gombert. Le ministère et l’ARS appliquent une ligne, sans pouvoir déborder à droite ou à gauche : il faut exécuter les ordres, et fermer un maximum de petites maternités, pour rentrer dans les clous financiers. »
Pour la maire de la petite ville, la fermeture « est un symbole, mais aussi bien plus que cela », une catastrophe pour la ville et ses alentours : « Sans maternité, les jeunes couples ne s’installeront plus. À terme, en cascade, la menace pèse sur les écoles, le lycée, et l’école d’infirmières, seule formation postbac dans la commune, qui coûte 300 000 euros par an à la région et qui nécessite un hôpital de grande dimension pour accueillir les stagiaires… » Sans parler du centre administratif de la gendarmerie, qui gère la paye des gendarmes pour toute la France, et qui arrime 500 personnes au territoire.
(…)Notre combat, c’est aussi celui de la dignité et du respect pour les femmes. »
Les militants peuvent compter sur le soutien de la population. « Je suis de tout cœur avec vous ! », leur lance une femme sortant du service des impôts. Un peu partout dans la ville, sur les murs ou sur les panneaux d’affichage, on trouve des autocollants portant le logo distinctif, une femme enceinte stylisée et barrée. La mairie a fait placarder en grand à son fronton le slogan « Le Blanc voit rouge ». (…)
Priorité financière ou question de sécurité ?
(…)Pour appuyer sa position, l’ARS a commandé un rapport à des professionnels de santé extérieurs à la région. Publié le 28 septembre, le document ) préconise la fermeture de la maternité, et son remplacement par un « centre périnatal », qui permettrait de suivre les futures naissances, sans assurer les accouchements. Le document identifie de très grandes difficultés de recrutement, « plusieurs dysfonctionnements pouvant mettre gravement en jeu la sécurité des prises en charge » et des « pratiques collectives non conformes ». Sans remettre en cause « la compétence individuelle des personnes », il décrit une « culture qualité insuffisante ». (…)
Une maternité « dangereuse », selon la ministre
Le rapport remis à l’ARS a permis à Agnès Buzyn de déclarer le 16 octobre que la maternité était « dangereuse », siège de « très mauvaises pratiques », « avec une méconnaissance des procédures d’urgence ». C’est peu dire que les mots de la ministre ont blessé les soignants de l’hôpital et leurs soutiens. « C’est lâche, et très dur pour les personnels. Avoir l’outrecuidance de dire que la maternité est dangereuse, alors qu’elle a une excellente réputation et que des femmes venaient d’un peu partout pour bénéficier de ce qu’elles considéraient comme une prise en charge remarquable, s’indigne la maire. Les sages-femmes s’étaient même formées sur leur temps et leur argent personnel pour aller vers plus d’accompagnement et de bien-traitance. Ici, les taux d’épisiotomies et de césariennes étaient plus bas qu’à Châteauroux. »
Pour tous les militants, c’est l’incompréhension. Trinidad Gutierrez rappelle que fin 2016, l’hôpital du Blanc a obtenu une certification de niveau B, certes avec des points à corriger, mais que le centre de Châteauroux, lui, a écopé d’une certification de niveau C, avec des réserves bien plus sérieuses. (…)
Tout le contraire du service du Blanc, qui jouit, il est vrai, d’une réelle popularité dans les environs. « Cette maternité, ce n’est pas seulement un service public comme un autre, c’était un lieu remarquable, reconnu par tous, résume Claire Moreau, du collectif. Alors, imposer aux femmes de faire une heure de route pour aller accoucher, c’est bien sûr l’horreur. Mais en plus, elle était trop bien, cette maternité… La voir fermer, c’est rageant ! »
La défiance est installée, et sans doute là pour rester. Elle vise en premier lieu Évelyne Poupet, la directrice de l’hôpital de Châteauroux-Le Blanc, soupçonnée de vouloir se débarrasser de son antenne blancoise. « La question de la sécurité est un prétexte. Cette fermeture, c’est une machination pour faire tomber tout l’hôpital, lance Gildas Yaouanc, cardiologue à l’hôpital et l’un des rares médecins à s’engager dans ce combat. On commence par détricoter ce qui est vu comme le maillon faible, et après nous perdrons la chirurgie, dont l’ouverture en continu est justifiée par la présence de la maternité. Puis ce sera au tour des urgences… »
De nouveaux militants
Dans ce paysage de fortes tensions, et face au défaitisme qui pointe son nez, les militants veulent néanmoins trouver des traces d’espoir. « Une mobilisation sur une durée aussi longue, avec un tel degré d’engagement, je n’avais jamais vu ça ici, signale Sylviane. J’ai été surprise par le monde qui s’est mobilisé, venu de toutes les classes sociales, de tous les horizons. Quelque part, ça redonne confiance : l’image fataliste, qui veut qu’on ne plus rien changer, elle s’effrite. Il y a encore de la résistance. »
Le collectif « C pas demain la veille », surgi des mobilisations du mois de juin et composé d’habitants de la région, sans soignants ni élus, s’attire en effet tous les suffrages. Sa première action a été l’organisation du faux accouchement sur le pont, et c’est lui qui a organisé les occupations et les manifestations les plus récentes, prenant la relève du premier « comité de défense », lancé en 2011 et plutôt composé d’élus et de notables. Selon Claire Moreau, le but de la nouvelle génération est à la fois de « mener des actions médiatiques et symboliques, pour nous faire entendre et voir, puisque nous sommes perdus dans la campagne » et « mobiliser la population localement, la faire s’approprier les revendications de façon visible ». Un double objectif atteint, à coups de fausses annonces du Bon Coin, d’interpellations en néerlandais, italien, berrichon ou langue des signes, ou encore de vidéos spécial Halloween.
« Quand le collectif est apparu, j’ai été surpris et un peu contrarié, confie le médecin Gildas Yaouanc, membre du premier comité. Et puis j’ai compris : ils font ce que nous, les notables englués dans des démarches institutionnelles, n’étions plus capables de faire. C’est une autre génération, des 25–40 ans, une autre tranche de la population, des associatifs, des professionnels du socio-éducatif, des agriculteurs… Et ils réussissent à nous secouer. »
Au centre des impôts, peu après la mi-journée, c’est l’une des figures du collectif, Bertrand, éducateur, deux enfants nés à la maternité, (…) appelle à une réunion le lendemain soir dans la salle communale et annonce une action le 21 novembre à Paris. En sortant, le mot d’ordre des habitants en colère retentit : « C’est pas fini ! C’est pas fini ! »
Et cet article du 29 octobre de la Nouvelle République de l’Indre
Publié le Christophe GERVAIS, journaliste, rédaction de Châteauroux
Trente femmes ont manifesté en silence, hier, à l’hôpital de Châteauroux, dans une tenue dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Voilà pourquoi, hier, afin de manifester contre la fermeture probable de la maternité du Blanc, trente femmes du collectif C’est pas demain la veille portaient cette même tenue, comme témoignage des « souffrances qu’engendre le fait de devoir accoucher à plus d’une heure de chez soi », explique l’une d’elle.
“ Il y aura d’autres rendez-vous ” C’est en rang, deux par deux, qu’elles sont entrées dans la cour interne de l’hôpital de Châteauroux, dans un silence « de mort, comme ce qui attend notre maternité ». Derrières elles, des papas et des pancartes, avec des messages adressés à Évelyne Poupet, directrice de l’hôpital castelroussin, ou à Agnès Buzyn, ministre de la Santé. Symboliquement, le cortège de « servantes » s’est rendu devant le pavillon mère-enfant, où elles se sont immobilisées, tête baissée, de longues minutes.
Elles ont tenté d’entrer, en vain, dans le bâtiment, sécurisé par des agents, puis ont échoué à nouveau devant les portes barrées des locaux administratifs. Pour finir, elles se sont alignées à l’entrée du centre hospitalier, avec des panneaux où figuraient des mots comme « souffrance » ou « violence », au milieu des fumigènes, mais toujours sans dire un mot.
Avenue de Verdun, des véhicules ont klaxonné, en guise d’encouragement, et des passants ont filmé ces femmes à la tenue si singulière. Preuve s’il en fallait de l’impact de leur initiative.
« Notre victoire est d’avoir réussi à mobiliser trente personnes, un vendredi, en pleine journée, explique un membre du comité. Bien sûr, nous allons continuer à multiplier les actions surprises comme celle-ci. Même si elles ne sont que symboliques, elles prouvent que nous n’allons pas baisser les bras, et qu’il va falloir compter avec nous jusqu’au bout ».