Les résultats du premier tour des élections municipales annoncent une déroute pour les mairies de gauche équivalente à celle de 1983. La dynamique du second tour peut venir amplifier ou atténuer ce coup de tonnerre, mais il est d’ores et déjà possible d’en tirer quelques enseignements.
1. L’abstention, expression d’un désaveu cinglant
Le 23 mars, l’abstention a atteint un nouveau record pour des élections municipales, avec 38,6% contre 33,46% lors du précédent scrutin en 2008. Nul besoin de fines analyses pour comprendre que la désaffection du peuple de gauche a été massive à ces élections. Dans nombre de communes, petites ou grandes, le Parti socialiste perd 10, 15 et parfois même plus de 20 points d’une élection à l’autre.
Cette situation était hautement prévisible tant la politique gouvernementale, menée depuis maintenant près de deux ans, est allé à rebours des aspirations des Français le 6 mai 2012. Les électeurs voulaient le changement ? Ils ont eu la continuité, voire l’aggravation d’une politique économique et sociale pourtant rejetée. L’application avec laquelle le gouvernement de François Hollande sape sa propre base sociale en est presque fascinante. Ce quinquennat est l’alternance-qui-ne-change-rien de trop, et ces élections marquent d’abord un profond désaveu pour la politique du gouvernement PS-EELV.
2. L’alliance avec le PS : suicide mode d’emploi
Les composantes du Front de gauche ont suivi, chacun le sait, des stratégies divergentes pour ces élections municipales. L’autonomie au premier tour pour le Parti de gauche et Ensemble, le choix au cas par cas en ce qui concerne le PCF. Dans la moitié des villes de plus de 20.000 habitants où le Parti Communiste a fait le choix d’une alliance de premier tour avec le Parti Socialiste, un premier bilan s’impose. Sans aller jusqu’à dire que dans ces villes, les communistes ont eu et le déshonneur, et la défaite, une règle s’impose : le choix du PS se paie comptant. Le choix de préserver ses élus à tout prix est allé de pair avec une sous-estimation du discrédit du gouvernement par la direction communiste.
Dans bien des villes qui seront ou sont déjà gagnées par la droite, se cumulent donc absence de cohérence politique et disparition de l’essentiel des élus. Pire, dans quelques grandes villes comme Rennes, Poitiers ou Grenoble où des alternatives crédibles au maire socialiste existaient, les sections PCF ont systématiquement choisi de préserver leur alliance traditionnelle. Le 19 février Pierre Laurent déclarait dans le Dauphiné que le Parti de gauche (entre autres) avait fait une « grave erreur à Grenoble » et plus loin que « Notre choix, à nous communistes, était au contraire un choix de clarté autour de notre chef de file Patrice Voir. Nous serons un point d’appui pour la future majorité grenobloise, et nous serons en capacité de faire accepter nos idées. » Avec 29,41 % des voix, la liste d’Eric Piolle (EELV-PG-Ensemble) devance la liste PS/PCF de Jérôme Safar qui a recueilli 25,31% des suffrages.
Même quand la liste d’union avec le PS n’était pas dirigée par un socialiste mais par un communiste, il y a eu un prix fort à payer : c’est une évidence pour des villes du Val-de-Marne comme Choisy-le-Roi ou Villejuif, c’est aussi le cas – même si la situation est plus complexe – à Bobigny, dans une situation quasi désespérée. À l’opposé, dans une ville comme Chevilly-la-Rue, c’est le choix de l’indépendance qui permettra de conserver la ville au Front de gauche.
3. Listes autonomes : aucune percée significative
Les listes indépendantes – qu’elles comprennent l’ensemble du Front de gauche ou simplement le Parti de Gauche et Ensemble – ne réussissent aucune démonstration électorale probante, même s’il faut sans doute nuancer et examiner plus finement. Dans le Limousin, qui avait connu une dynamique exceptionnelle lors des élections régionales de 2010, la liste FdG obtient 14,15%. À Clermont-Ferrand, la liste Ensemble-PG obtient 11,5% quand la liste PS/PCF en recueille 31% (49,45 % en 2008). Des résultats tout à fait honorables, mais qui ne traduisent aucune poussée en faveur du FdG.
Dans d’autres villes, les résultats sont beaucoup plus faibles : à Paris, la liste PG-Ensemble atteint 4,94%, à Marseille le FdG uni est à 7,1%, à Toulouse avec 5,10% la liste PG-Ensemble passe tout juste la barre fatidique et réalise un score inférieur à ceux de la LCR en 2008. À Montpellier, une liste rassemblant pourtant toutes les composantes du Front de gauche obtient 7,56%, tandis qu’à Saint-Étienne, une liste emmenée par le PG ne recueille que 4,18%. Dans ces conditions, la déclaration du secrétaire national du PG, Eric Coquerel relève de la méthode Coué : « Les résultats [du Front de Gauche], quelle que soit la configuration, sont bons, renouant avec l’élan de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon ».
La situation est hélas bien différente. Il y a bien eu sanction contre la politique gouvernementale. Mais ce qui l’a emporté, c’est l’amertume et le ressentiment plutôt que la colère contre un gouvernement qui mène une politique conforme aux intérêts des dominants. Le Front de gauche n’est pas apparu comme une alternative crédible pour sanctionner François Hollande, et c’est bien le FN qui est le principal bénéficiaire de ces élections. La cohérence du discours FdG a bien sûr pâti des alliances nombreuses du PCF avec le PS, mais l’explication est un peu courte. À ce compte, les listes LO ou NPA – qui d’ores et déjà avaient annoncé le refus de toute fusion avec les parti gouvernementaux – devraient être au firmament. Or, elles réalisent, sauf rares exceptions, des scores dérisoires. Le problème est donc plus profond, et ces résultats démontrent que la gauche de transformation sociale n’a pas achevé son aggiornamento programmatique et stratégique. L’extrême faiblesse des mobilisations sociales s’exprime aussi dans les urnes.
4. EELV tire son épingle du jeu
Il faudra bien sûr apprécier les conséquences, pour le parti écologiste, de la perte de plusieurs dizaines de mairie par la gauche, mais c’est un fait : les listes EELV s’en sortent plutôt bien. Dans la plupart des grandes villes, elles voisinent ou dépassent les 10%. Clairement, le vote écologiste, toujours plus important lors des élections locales qu’à l’occasion des grandes échéances nationales, est apparu comme un vote refuge pour l’électorat socialiste mécontent. Faisant oublier sa participation gouvernementale et son très maigre bilan, EELV s’affirme comme un partenaire incontournable pour le PS. Dans quelques cas, une alliance EELV avec le PG et Ensemble a démontré les possibilités d’une réelle dynamique : à Grenoble (29,41%), la liste pouvant conquérir la mairie, mais aussi à Rennes (15,09%) ou Poitiers (15,29%).
Ces alliances sont-elles généralisables ? Oui, répond Éric Coquerel, toujours prompt à chercher des raccourcis : « L’alliance avec EELV peut permettre à une force opposé à l’austérité et au productivisme d’être en tête de la gauche. C’est possible dès les européennes et plus encore aux régionales à venir ». Tant que les écologistes sont au gouvernement, il est tout de même hasardeux de les qualifier d’opposés à la politique d’austérité : ils la mènent, ils la votent. Surtout, penser un instant qu’un tel accord pourrait voir le jour dès les européennes est une plaisanterie. Sur l’Europe et la construction européenne, l’approche des écologistes et du Front de gauche sont tout sauf compatibles.
5. Entre-deux tours à haut risque pour le Front de gauche
Dans près de la moitié des villes de plus de 20.000 habitants, les différentes composantes du FdG se sont présentées sur des listes séparées, c’est-à-dire concurrentes. Les dynamiques de campagne ont parfois exacerbé les positions, et si les relations sont souvent restées courtoises, de nombreuses villes ont vu un net rafraîchissement de l’ambiance entre les différentes organisations.
La logique voudrait qu’après les municipales, vienne le temps du rassemblement de tout le Front de gauche afin de réussir au mieux les élections européennes. Il ne sera toutefois pas si simple de se réunir après des mois d’affrontements, d’autant que cela suppose de franchir le dernier obstacle : celui des fusions au second tour. La fusion suppose en effet de modifier l’équilibre de la liste de premier tour pour faire un peu de place. Là où le PS sera contraint à de tels fusions, il ne fait guère de doute qu’il reverra alors à la baisse l’accord négocié avec le PCF pour le premier tour. Dans d’autres cas, et pour éviter une telle éventualité, c’est le PCF qui sera un des artisans de la non fusion. C’est, à cette heure, la position des communistes à Besançon malgré les plus de 7% réalisés par la liste PG-Ensemble, ce fut aussi la position de leurs homologues parisiens dans la négociation qui s’est tenue entre les listes d’Anne Hidalgo et celles de Danielle Simonnet dans la nuit de dimanche à lundi. Pour quelques élus supplémentaires, cela risque de crisper beaucoup.
Article du site regards.fr. daté du 24 mars 2014. L’auteur, Guillaume Liégard est militant d’Ensemble. Cet article intéressant n’engage que lui, au moment de sa publication
http://www.regards.fr/web/municipales-5-lecons-pour-le-front,7593