Regards. Vous avez quitté le PS et cofondé, notamment avec Liêm Hoang Ngoc, le club des Socialistes affligés. Aujourd’hui, vous faites le choix d’adhérer à Ensemble, la jeune organisation membre du Front de Gauche. Pourquoi ?
Philippe Marlière. Pour être plus précis, après mon départ du PS en 2009, j’ai rejoint le NPA que j’ai quitté en 2011 avec plusieurs camarades de la Gauche anticapitaliste qui ont adhéré à Ensemble. Après vingt années passées à militer au sein de la gauche socialiste, je répondais à l’appel de la constitution d’un grand parti anticapitaliste. J’espérais que ce nouveau parti puisse allier le meilleur de la tradition internationaliste et unitaire du trotskisme (que j’avais connue pendant mes années d’étudiant à la LCR) à un mouvementisme concret et antiautoritaire. J’espérais aussi un renouvellement des pratiques militantes afin d’attirer vers ce pôle de radicalité concrète davantage de femmes, de jeunes ou d’individus issus des catégories populaires et des minorités ethniques. Mais les réflexes sectaires de l’appareil ont dès le départ sabordé l’entreprise. Après l’opportunisme et le cynisme du PS, j’ai été confronté au sectarisme et à la radicalité abstraite du NPA ; deux approches différentes et deux impasses totales. Depuis 2011, je me présentais comme « compagnon de route » du Front de gauche. J’y ai beaucoup d’ami-e-s et de camarades au sein de chacune des composantes.
Quel a été l’objectif de la création des Socialistes affligés ?
Le club des Socialistes affligés, que j’ai cofondé avec le socialiste Liêm Hoang Ngoc en juin 2014, tente de contribuer à la formation d’un axe majoritaire en opposition à la ligne néolibérale-conservatrice de la présidence Hollande. Notre analyse part de la réalité politique et non de fantasmes personnels : il existe au PS des élus, des adhérents et des centaines de milliers d’électeurs en opposition au gouvernement Valls mais qui, pour le moment, font le choix de continuer à soutenir le PS, bon gré, mal gré. Il faut partir de là. Les invectives envoyées aux chefs socialistes, la surenchère verbale ou les injonctions de venir rejoindre le Front de gauche ne sont ici d’aucune aide. Ceux qui s’y sont essayés depuis 2012 n’ont convaincu aucune de ces personnes qu’il nous faut pourtant convaincre. Qui pourrait prétendre, au Front de gauche, que des camarades comme Gérard Filoche et ceux au PS qui pensent comme lui, ne partagent pas nos idéaux et notre appréciation des grandes questions politiques ? Ils ont fait un choix stratégique, qui n’est pas le mien, mais il faut quand même trouver une manière de les convaincre en proposant des actions et des débouchés politiques communs à gauche.
C’est le sens de votre démarche, aujourd’hui ?
Contrairement à ce qui se dit, ici et là, les électeurs continuent de se référer à la notion de « gauche », qui est une notion politique et de classe ; de surcroît facile à manier. Rassemblons donc toute la gauche qui veut en finir avec ce gouvernement élu avec des voix de gauche, mais qui mène une politique de droite. Mon choix d’adhérer à Ensemble aujourd’hui est logique à plusieurs titres. C’est un mouvement pluraliste et démocratique qui rassemble des traditions importantes à gauche : alternatifs, communistes unitaires, féministes, membres associatifs et syndicaux. Ce n’est pas évident dans la gauche française. Bref, c’est ma culture et ma gauche ! J’y trouve aussi un collectif d’intellectuels militants que j’avais côtoyés au NPA : Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Jean-Numa Ducange ou Stathis Kouvélakis, pour n’en citer que quelques-uns.
Le Congrès du PS semble joué d’avance… Qu’avez-vous envie de dire à ceux qui, au sein du PS, contestent l’orientation majoritaire et la politique du gouvernement ?
L’issue du congrès semble en effet déjà décidée. Un ventre mou majoritaire va se rassembler autour de Jean-Christophe Cambadélis. La droite du parti, des aubrystes et des bribes de parti (car on ne peut plus parler de courants au PS) se regrouperont par souci de « sauvegarder l’unité du parti » et, pour certain-e-s élu-e-s, de ne pas hypothéquer leur avenir personnel. Il ne fait aucun doute qu’aucune ligne majoritaire claire ne sortira de ce congrès. On ne peut penser que la politique très droitière du gouvernement sera remise en cause à cette occasion. Ce qui reste de la gauche socialiste me paraît divisé en plusieurs microgroupes, certains fluctuants, sans ligne stratégique ou politique claire. La proximité de l’élection présidentielle agira comme une chape de plomb sur tout discours un peu hétérodoxe.
Quelle attitude faut-il adopter envers les « frondeurs » du PS ?
Le rôle des frondeurs à l’assemblée n’est pas totalement négligeable. C’est bien l’opposition de certains d’entre eux qui a amené Manuel Valls à avoir recours au vote bloqué de l’article 49.3 à propos de la loi Macron. Les frondeurs et les opposants doivent continuer à s’opposer à cette politique de droite. S’ils décident de le faire à partir du PS, il ne faut pas les rejeter, mais leur tendre la main dans les luttes au quotidien. L’électorat de gauche qui vote PS – et il n’y a aucune raison de penser a priori que tous les électeurs qui votent PS soutiennent la politique du gouvernement – doit pouvoir voir que des élus PS et Front de gauche œuvrent ensemble contre ces politiques. S’il ne perçoit que conflits et absence de débouchés à gauche, il s’abstiendra. Le PS perdra des voix, mais le Front de gauche n’en bénéficiera pas. C’est ce à quoi nous assistons depuis 2012. Mon constat est pragmatique, et non idéologique.
On ne peut pas faire l’impasse sur cette démarche de rassemblement ?
Nous n’avons pas le choix. Les conditions de que j’ai appelé « l’hypothèse Syriza » (c’est-à-dire l’effondrement brutal du PASOK et son dépassement par Syriza) ne sont toujours pas réunies en France, car les effets de la politique économique ne sont pas de la même nature qu’en Grèce. Par conséquent, il est contreproductif de prophétiser tous les jours la débâcle du PS (qui s’affaiblit certes, mais qui ne s’effondre pas), car cela décrédibilise ceux qui tiennent de tels propos et démobilise les militants du Front de gauche. Mieux vaut penser à construire des alliances locales roses-rouges-vertes ou des dynamiques unitaires et pluralistes comme l’initiative des Chantiers d’espoir que je soutiens. La situation pourrait changer de manière dramatique si l’austérité continue d’appauvrir le peuple (notamment les classes moyennes). Le PS s’effondrerait comme un château de cartes, tel le PASOK. Il faut agir dès maintenant pour construire cette majorité de gauche dont le Front de gauche doit être un des axes centraux. Les élections se gagnent avant tout sur la base de dynamiques unitaires, comme dans les périodes 1934–36 et 1972–81. Celles-ci mobilisent et radicalisent le peuple de gauche.
Quels sont les points d’appui et les conditions pour la relance d’une dynamique à la gauche du PS ?
Outre la nécessité d’un travail unitaire à la base avec toutes les composantes de gauche pourvu qu’elles combattent la politique du gouvernement, le Front de gauche doit réfléchir à sa propre stratégie et à ses erreurs. Depuis 2012, il a oscillé entre deux stratégies. Aucune n’a fonctionné. D’une part, il y a eu des alliances opportunistes et électoralistes avec des socialistes qui soutiennent la politique du gouvernement. De l’autre, il y a eu une stratégie reposant sur l’idéologie et le sectarisme. Aucune de ces stratégies n’est à même de susciter une dynamique majoritaire à gauche. Pour être né et avoir vécu jusqu’à l’adolescence à quelques kilomètres d’Hénin-Beaumont, je peux dire qu’en milieu ouvrier de gauche, la deuxième stratégie est encore moins comprise que la première.
La gauche de gauche semble connaître une crise de ses références…
Un problème majeur de la gauche radicale française, c’est qu’elle tend de plus en plus à s’enfermer dans une relation totémique avec les notions de république et de la laïcité, ne se rendant pas compte que celles-ci sont totalement phagocytées par le PS, l’UMP et le FN. Rappelons que jusqu’à l’adieu de Jean-Pierre Chevènement au marxisme dans les années 80, on parlait très peu de république et de laïcité à gauche. On préférait se concentrer sur les notions de socialisme, de lutte des classes et d’égalité réelle.
Comment changer de discours ?
La question n’est pas de ne plus être républicain ou laïque – il faut l’être bien sûr – mais de prendre conscience qu’un discours incantatoire et abstrait sur ces notions, légitime aux yeux du peuple nos adversaires politiques, qui développent peu ou prou la même phraséologie, mais avec des intentions différentes : d’un côté, on parle de république et de laïcité pour justifier le renforcement de l’ordre austéritaire (Hollande et Valls), de l’autre c’est pour discriminer certaines minorités religieuses ou ethniques (Sarkozy et Le Pen). Ne pas saisir ce danger, c’est faire preuve d’une cécité idéologique inquiétante. À la place, le peuple attend de la gauche un discours clair et précis sur les inégalités sociales et économiques, sur les formes de domination liées au genre (dont peu de nos dirigeants mâles semblent se soucier) ou contre ce communautarisme national qui s’ébauche du PS au FN. Ce dernier décline le portrait du « bon Français » ou de la « bonne Française », qui portent des noms, mangent, boivent ou s’habillent comme la « norme française ». Contre cette dérive totalitaire en cours, unique en Europe, le Front de gauche doit être vigilant et se battre. Bref, inspirons-nous de Podemos et de Syriza : ayons moins de discours lyriques et idéologiques ; une action partisane moins hiérarchisée et moins autoritaire, et rajeunissons et féminisons nos dirigeants et nos adhérents.
Publié sur le site de Regards.
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