Pierre Khalfa. Les fadaises de la réforme des retraites

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Le gouver­ne­ment veut impo­ser une nouvelle régres­sion sociale en matière de retraite, alors même qu’au­cun argu­ment écono­mique ne le justi­fie. Travailler toujours plus long­temps revient à remettre en cause la grande avan­cée civi­li­sa­tion­nelle qui a fait que la retraite ne soit plus l’an­ti­chambre de la mort mais une période d’ac­ti­vité libé­rée du joug du capi­tal.

Le gouver­ne­ment a donc acté le fait d’im­po­ser un recul de l’âge de départ à la retraite en combi­nant recul de deux ans  l’âge légal et accé­lé­ra­tion de l’aug­men­ta­tion de la durée de coti­sa­tion. Ces mesures s’ap­plique­ront très rapi­de­ment puisque le déca­lage de l’âge légal commen­cera dès septembre 2023 et la durée de coti­sa­tion de 43 annui­tés sera effec­tive dès 2027. Le recul de l’âge légal va péna­li­ser en parti­cu­lier celles et ceux qui auront commencé à travailler tôt et les mesures annon­cées pour y pallier ne touche­ront qu’un nombre minime d’entre eux. L’âge moyen d’en­trée dans la vie active étant supé­rieur à 22 ans, l’aug­men­ta­tion de durée de coti­sa­tion entrai­nera pour beau­coup un départ après l’âge légal pour avoir une retraite à taux plein et pèsera d’au­tant plus sur celles et ceux qui ont des carrières incom­plètes. Le main­tien du dispo­si­tif « carrières longues » abou­tira au fait que les personnes ayant commencé à travailler entre 16 ans et 18 ans devront coti­ser 44 ans pour pouvoir partir à 60 ans.

L’ar­gu­men­taire pour essayer de justi­fier ces mesures a sans cesse varié. Le Macron du premier quinquen­nat y était opposé. Voici d’ailleurs ce qu’il décla­rait lors de sa confé­rence natio­nale du 25 avril 2019 à l’is­sue du « Grand débat natio­nal » : « Fran­che­ment, ce serait hypo­crite de déca­ler l’âge de la retrai­te… Quand on est peu quali­fié, quand on vit dans une région qui est en diffi­culté indus­trielle, quand on est soi-même en diffi­culté, quand on a une carrière frac­tu­rée, bon courage déjà pour arri­ver à 62 ans[1] ». De toute façon, nous expliquait-il, il n’était pas néces­saire de faire une « réforme para­mé­trique » (déca­ler l’âge de départ et/ou augmen­ter la durée de coti­sa­tion) puisque les régimes de retraites ne connaissent pas de problèmes finan­ciers. Et de vouloir nous impo­ser une réforme systé­mique avec la mise en place d’un régime par points aggra­vant les injus­tices et véri­table monstre bureau­cra­tique.

Ce dernier projet aban­donné, il nous a ensuite expliqué qu’il fallait travailler plus long­temps pour déga­ger des ressources afin de finan­cer la tran­si­tion écolo­gique, l’ave­nir de la protec­tion sociale, etc. Que les ressources déga­gées par une telle mesure, 0,5 % du PIB par an, soient déri­soires en compa­rai­son des besoins ne serait-ce que de la seule tran­si­tion écolo­gique, 5 % du PIB par an, n’avait pas l’air de le gêner outre mesure. De plus, comme le montre une étude publiée en 2021 par le labo­ra­toire Théo­rie et évalua­tion des poli­tiques publiques[2] « l’al­lon­ge­ment de la vie active prolonge la durée de coti­sa­tions à l’as­su­rance-retraite. Hélas, il semble en même temps augmen­ter les dépenses liées à l’ab­sence-mala­die » en raison de la dégra­da­tion de l’état de santé des sala­rié.es séniors, phéno­mène qui touche parti­cu­liè­re­ment les femmes. Vouloir dimi­nuer les dépenses en matière de retraites abou­tit donc à augmen­ter notam­ment celles de l’as­su­rance-mala­die.

Le faible impact de l’ar­gu­men­taire gouver­ne­men­tal dans l’opi­nion, qui voit d’un autre côté se multi­plier les cadeaux fiscaux fait aux ménages les plus riches et aux employeurs, l’a amené à chan­ger son fusil d’épaule et à reve­nir à l’ar­gu­men­taire clas­sique de toutes les mesures régres­sives en matière de retraites : le système serait finan­ciè­re­ment en danger, il est donc néces­saire de travailler plus long­temps pour le sauver. Il essaie de s’ap­puyer pour cela sur le dernier rapport du Conseil d’orien­ta­tion des retraites (COR). Or, non seule­ment, le COR indique que le système de retraites est aujourd’­hui excé­den­taire, mais le défi­cit annoncé jusqu’en 2032 est estimé, selon les conven­tions comp­tables, entre à 0,4 % et 0,7 % de PIB, ce qui est minime par rapport au poids des retraites, près de 14 % du PIB, et ne repré­sente qu’en­vi­ron 1 % de la masse sala­riale.

Mais surtout le chif­frage de ce défi­cit est fantai­siste car il repose sur des hypo­thèses plus que contes­tables. Ainsi, pour arri­ver à ce chiffre, le COR est obligé de prévoir une remon­tée du chômage qui passe­rait de 5 % en 2027, prévi­sion du gouver­ne­ment, à 7 % en 2032 et pour les décen­nies suivantes. Le COR appuie donc son calcul du défi­cit sur la prévi­sion d’une réces­sion entre 2027 et 2032 et renonce pour la suite à toute pers­pec­tive de plein emploi. Autre hypo­thèse, le COR prévoit aussi que le taux d’em­ploi des femmes reste­rait constam­ment infé­rieur de 8 points à celui des hommes de la tranche d’âge 25–54 ans, alors même que la France ne se situe qu’au 25ème rang des pays des 38 pays de l’OCDE en la matière. Toute pers­pec­tive d’éga­lité entre femmes et hommes, ce qui de plus permet­trait d’amé­lio­rer les ressources des caisses, est ainsi écar­tée. Enfin, il faut noter que le gouver­ne­ment parti­cipe lui-même à la construc­tion de ce défi­cit : les exoné­ra­tions de coti­sa­tions sur les bas salaires et les heures supplé­men­taires accor­dées aux employeurs, qui ne sont toujours pas inté­gra­le­ment compen­sées par le budget de l’État, retirent près de 0,1 point de PIB aux ressources du système et les mesures d’éco­no­mies prises en matière de rému­né­ra­tion dans la fonc­tion publique ont des consé­quences néga­tives sur les coti­sa­tions qui les abondent.

L’objec­tif du gouver­ne­ment est de stabi­li­ser la part des retraites dans le PIB à 14 % alors même que la propor­tion de retrai­té·es dans la popu­la­tion va augmen­ter. Elle devrait passer de 18,5 % aujourd’­hui à 27,5 % en 2070. Le gouver­ne­ment s’ap­puie sur ce ratio démo­gra­phique pour justi­fier ses projets. Or le problème n’est pas tant l’aug­men­ta­tion de la part des personnes âgées dans la popu­la­tion totale que de savoir quel est le poids écono­mique que font peser toutes les personnes (dites) inac­tives – retrai­tés, jeunes, chômeurs, etc. – sur celles et ceux qui produisent de la richesse d’un point de vue moné­taire, les actifs occu­pés. Or, ce ratio, dit de dépen­dance écono­mique, est globa­le­ment stable depuis une cinquan­taine d’an­nées alors même que le nombre de retraité.es ne cesse d’aug­men­ter et que le taux de chômage, qui dépend des poli­tiques écono­miques mises en œuvre, a connu des pics histo­riques. Aucun drame n’est donc à prévoir et ne pas vouloir augmen­ter la part des retraites dans le PIB signi­fie program­mer pour l’ave­nir une baisse des pensions par rapport aux reve­nus des actifs et donc une régres­sion accrue du niveau de vie pendant la retraite.

Surtout, le gouver­ne­ment comme le COR consi­dèrent comme immuable la répar­ti­tion de la richesse produite : le partage salaires/profits ne bouge­rait pas pendant le demi-siècle prochain, alors même que la part des salaires dans la richesse créée a baissé de cinq points par rapport à la moyenne des « Trente Glorieuses » et que les profits des grandes entre­prises atteignent des sommets. Toute hausse des coti­sa­tions est exclue alors même que, suivant le COR et ses hypo­thèses de défi­cit, une légère augmen­ta­tion suffi­rait à équi­li­brer dura­ble­ment le système de retraites : en 2032, entre 1,4 point et 1,9 point selon les scéna­rios de produc­ti­vité et sur la base de la conven­tion comp­table dite d’équi­libre par l’État qui est la moins favo­rable.

Seul élément posi­tif, l’aug­men­ta­tion de la pension mini­male de 100 euros par mois, mesure qui devrait proba­ble­ment concer­ner l’en­semble des retrai­tés et l’en­ga­ge­ment qu’un sala­rié au Smic aura une pension égale à 85 % du Smic, promesse datant de… 2003. Cette pension mini­male est condi­tion­née au fait d’avoir fait une carrière complète. Si tel n’est pas le cas elle sera moindre. De plus, il n’est pas indiqué que cette pension mini­male serait reva­lo­ri­sée comme le Smic.

Les consé­quences d’un report de l’âge de départ en retraite sont bien connues. Déjà aujourd’­hui, de nombreuses personnes sont exclues du marché du travail avant de pouvoir béné­fi­cier de leur retraite, les entre­prises ayant tendance à se débar­ras­ser des sala­rié.es âgés.Ainsi, selon la Direc­tion de la recherche, des études, de l’éva­lua­tion et des statis­tiques (DREES), 32 % des personnes de la géné­ra­tion née en 1950 n’étaient plus en emploi l’an­née précé­dant leur retraite, pour­cen­tage plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Ces personnes étaient soit au chômage, soit en inva­li­dité ou en mala­die. Ne perce­vant aucune pension, elles sont réduites souvent aux mini­mas sociaux. Tout recul de l’âge de départ ne ferait qu’ag­gra­ver encore cette situa­tion. La mise en place d’un « index », censé rendre visible la place des seniors dans les entre­prises, ne chan­gera hélas rien à cette situa­tion comme l’a montré l’in­dex sur l’éga­lité entre les femmes et les hommes qui a eu un effet nul sur la situa­tion concrètes des femmes dans les entre­prises.

Le projet du gouver­ne­ment est d’au­tant plus inac­cep­table que la crois­sance de l’es­pé­rance de vie se réduit. Elle est passée d’un trimestre par an dans les années 2000 à un mois par an aujourd’­hui. Mais surtout, selon Euro­stat, l’ins­ti­tut statis­tique euro­péen, en 2020 l’es­pé­rance de vie en bonne santé à la nais­sance n’est que de 63,9 ans pour les hommes et 65,3 ans pour les femmes, les ouvriers et employés étant évidem­ment les plus touchés par une limi­ta­tion des acti­vi­tés au quoti­dien : un tiers des ouvriers et un quart des employés sont déjà en inca­pa­cité la première année de leur retraite. On voit ce que signi­fie­rait un allon­ge­ment du temps de vie passé au travail, ce d’au­tant plus que les CHS-CT ont été suppri­més. La grande avan­cée civi­li­sa­tion­nelle qu’a appor­tée la retraite par répar­ti­tion a été de faire de cette période de la vie, non pas l’an­ti­chambre de la mort, mais une phase de la vie où, encore en rela­tive bonne santé, nous pouvons nous adon­ner à des acti­vi­tés sociales libres. C’est cette avan­cée que toutes les réformes néoli­bé­rales remettent en cause en voulant nous faire travailler toujours plus pour la plus grande profi­ta­bi­lité du capi­tal.

[1] Cité par Jean-Marie Harri­bey, https://blogs.alter­na­tives-econo­miques.fr/harri­bey/2022/12/19/les-sept-perfi­dies-de-la-reforme-des-retraites-2023.

[2] Moha­med Ali Ben Halima, Camille Ciriez, Malik Koubi, Ali Skalli Retar­der l’âge d’ou­ver­ture des droits à la retraite provoque-t-il un déver­se­ment de l’as­su­rance-retraite vers l’as­su­rance-mala­die ? L’ef­fet de la réforme des retraites de 2010 sur l’ab­sence-mala­die, https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03507914v2/docu­ment.

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