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Je prend dès à présent la parole pour répondre des accusations à mon encontre. Je me cantonnerai à cette déclaration préliminaire. Je m’adresse ici non seulement à vous Monsieur le juge, mais également aux personnes présentes dans la salle, à toutes celles et ceux qui sont parvenus à franchir les contrôles ahurissants mis en place par la préfecture et qui portent manifestement atteinte à la publicité des débats.
Il s’agit en premier lieu de répondre de ce dont on m’accuse. Je sais que vous jugerez aussi de ma personnalité, vous appuyant sur les notes blanches des renseignements et sur les clichés médiatiques sur les « zadistes ». Ma vie c’est choyer depuis 12 ans un bocage menacé de destruction, y élever des bêtes, y fonder avec d’autres une coopérative, y élaborer d’autres manières de vivre ensemble de partager la terre et le quotidien. Je suis certes sans emploi, mais loin d’être sans travail et sans métier.
C’est donc des faits, des gestes et des actes que vous jugerez aujourd’hui. Qu’il me soit donné de réfuter les fantasmagories policières et les élucubrations gendarmesques dont je suis, avec mes camarades, l’objet.
Prenons-les dans l’ordre :
1 – En premier lieu, vous m’accusez d’être l’organisateur de deux manifestations interdites : le 29 octobre et le 25 mars à Sainte Soline. Or, je ne suis pas l’organisateur de ces manifestations, simplement, une personne parmi plusieurs centaines impliquée dans la tenue des mobilisations anti-bassines. Le propre des fictions policières, c’est de plaquer caricaturalement sur les mouvements leur propre fonctionnement hiérarchique et militaire. Alors, il y aurait forcément des chefs – et forcément des hommes ! – au sommet d’une pyramide, qui donneraient des ordres et des instructions à des milliers de manifestants et manifestantes marchant au pas. Ces fantasmes en disent plus sur l’étroitesse d’esprit des militaires que sur la réalité et la complexité de nos formes d’organisation.
Matériellement ce qui est supposé attester de mon rôle d’organisateur, c’est d’avoir simplement pris la parole : crier des slogans dans un mégaphone, prendre le micro dans les médias dominants pour récuser les mensonges du ministère de l’intérieur et faire connaître l’ampleur sans précédent de la violence policière qui s’est abattue sur les manifestantEs le 25 mars dernier. C’est pour cette raison que je suis aujourd’hui prévenu. Mais je le redis aujourd’hui :
– Oui j’ai pris la parole et appelé avec d’autres à cette manifestation depuis le mouvement des Soulèvements de la terre. Oui j’ai crié et chanté des slogans dans un mégaphone dont la portée touchait tout au plus une centaine de personnes dans le fracas des grenades. Oui j’y ai pris part et j’ai contribué à bâtir cette mobilisation.
– Mais non je n’ai pas organisé cette manifestation. Non il n’y a pas une demi-douzaine d’organisateurs, mais plus d’une centaines de collectifs, associations, syndicats et partis politiques qui ont pris part à l’organisation des manifestations de Sainte Soline. Il y a des centaines de personnes qui tiennent des assemblées et prennent des initiatives autonomes et apportent leur pierre à l’édifice. Il n’y a une foule qui s’organise et qui en s’organisant devient une communauté de lutte. C’est cette vaste communauté qui cuisine pour des milliers de personnes, établi un campement d’accueil, forme plusieurs cortèges simultanés, organise des ateliers, des disucssions, des concerts. C’est cette vaste communauté qui décide d’enfreindre les absurdes interdictions préfectorales. Elle n’a pas besoin pour cela de structure hiérarchique, ni de commandement.
Bien que tout soit fait pour nous le faire oublier – l’ordre et la justice reposent sur l’action passée de telles communautés de lutte. Il procède de l’action des clubs révolutionnaires du Paris de 1789, des actions de sabotages des résistants de la seconde guerre. Il se fonde sur les illégalismes de celles et ceux qui ont su jadis enfreindre les lois, se battre et lutter au nom de la justice contre le droit alors en vigueur.
Comme l’écrivait si justement Simone Weil, dans son cheminement des couloirs de l’usine aux combats de la colonne Durruti :
« Ceux qui sont investis des fonctions de commandement se sentent la mission de défendre l’ordre indispensable à toute vie sociale, et ils ne conçoivent pas d’autre ordre possible que celui qui existe. Ils n’ont pas entièrement tort, car jusqu’à ce qu’un autre ordre ait été établi, on ne peut affirmer avec certitude qu il sera possible ; c’est justement pourquoi il ne peut y avoir progrès social que si la pression d’en bas est suffisante pour changer effectivement les rapports de force, et contraindre ainsi à établir en fait des relations sociales nouvelles.
La rencontre entre la pression d’en bas et la résistance d’en haut suscite ainsi continuellement un équilibre instable, qui définit à chaque instant la structure
d’une société. Cette rencontre est une lutte mais elle n’est pas une guerre ; elle peut se transformer en guerre dans certaines circonstances, mais il n’y a là aucune fatalité. »
Il n’y a pas en effet de fatalité, il y a le choix délibéré du ministère de l’intérieur d’empêcher l’accès au chantier quel qu’en soit le coût humain, pour reprendre les mots du rapport de la LDH. Le choix de refuser de suspendre les travaux et de renouer le dialogue avec BNM, la Confédéation Paysanne, et les associations environnementales. Le choix de mutiler et d’assumer pleinement la possibilité de tuer des manifestantEs pour défendre l’intérêt particulier d’une infime minorité : 6 % des exploitants agricoles des Deux-Sèvres.
2 – En deuxième lieu, vous m’accusez « d’avoir participé à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes et-ou de dégradations ou de destruction contre les biens. » Ce qui est kafkaien dans ce délit, c’est que les gendarmes de la section de recherche de Poitiers prétendent avoir un accès direct à mon for intérieur au point de pouvoir lire mes intentions profondes. Je n’ignore pas qu’ils voudraient stocker mon ADN et le détail intime de ce qui me constitue biologiquement dans leurs fichiers. Mais permettez moi d’affirmer et de formuler par moi même mes intentions et mes vues. Je suis le mieux placé pour les connaître. Mon intention était de m’introduire symboliquement sur le chantier pour marquer notre opposition aux méga-bassines. Si nous y étions parvenus, il n’y avait rien à dégrader dans ce cratère vide. Rien d’autre que l’honneur d’un Etat cerné par les oppositions et qui avait choisi de faire de ce trou le symbole de son autorité retranchée.
Matériellement, rien n’atteste que j’avais l’intention de commettre des violences et des dégradations. Tenir en main une tortue gonflable ne témoigne nullement d’intention belliqueuse. C’est une protection symbolique bien dérisoire face aux grenades qui pleuvaient alors sur nous. Dispenser des conseils au mégaphone, ce n’est pas beugler des ordres comme le faisaient ce jour là les officiers de gendarmeries débordés. Matériellement, rien atteste de cette « manœuvre de diversion » qu’on me prête. Cette accusation est absolument absurde. Qui peut croire que les gendarmes sont assez idiots pour se laisser berner par un oiseau en bois et être surpris par l’arrivée des autres manifestants pourtant survolés par plusieurs hélicoptères ? Ne leur faites pas cette offense, Monsieur le Juge, c’est une insulte à leur intelligence.
Je le répète : matériellement rien atteste que j’avais l’intention de commettre des violences et des dégradations. Mais matériellement tout dans la situation actuelle contribue à une montée en puissance des tensions, de la colère et des affrontements en réaction au bouleversement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Il ne vous aura pas échappé que nous venons de vivre le mois le plus chaud depuis que nous mesurons les températures. Méga-feux et sécheresses, nul ne peut plus nier l’évidence. Si la terre et l’eau furent et demeurent sacrés pour tant de cultes et de cultures, il n’y a guère que la religion capitaliste pour les réduire au rang de marchandises. Dans ce contexte l’urgence n’est pas de juger celles et ceux qui défendent la terre et l’eau. L’urgence est de juger les responsables de l’écocides au plus haut niveau de l’État et des entreprises.
Comme le disait Hannah Arendt : » Si les hommes sont incapables de pardonner ce qu’ils ne peuvent punir, ils seront aussi incapables de punir ce qui se révèle impardonnable. « Au fond, le groupement constitué en vue de commettre des destructions irréversibles qui remettent en cause la possibilité même de la vie humaine sur terre, chacun sait que c’est l’État, le complexe agro-industriel, la filière béton et les multinationales extractivistes qui le constituent.
3 – en troisième lieu, vous m’accusez d’avoir frauduleusement soustrait un morceau de canalisation. Au printemps maraichin les manifestant-e-s se sont livrés à un chantier d’utilité publique contre l’assèchement du Mignon en démontant cette canalisation. J’ai soulagé un vieux camarade qui en portait un fragment sur quelques mètres tout au plus, mais je ne suis pas reparti avec. Qu’en aurais-je fait ? Où l’aurais-je mise ? Qu’est qui prouve que je l’ai effectivement soustraite ? Absolument rien !
Pour conclure je dirais que même si vous nous condamnez lourdement, le mouvement contre les bassines continuera d’organiser des mobilisations, celles-ci continuerons d’être systématiquement interdites, et ces interdictions d’être inopérantes. Ce qui peut faire cesser ces manifestations, ce n’est ni leur interdiction administrative, ni le fracas des grenades. C’est un véritable partage de l’eau, qui priorise l’eau potable pour les humains et l’eau vive pour les milieux sur l’eau économique et la voracité de l’agro-industrie.
Dans le procès, Kafka écrit : « il ne fait pas de doute que tous les agissements de ce tribunal dissimulent une vaste organisation. Une organisation qui n’emploie pas seulement des gardiens corrompus, des inspecteurs et des juges imbéciles dont le mieux qu’on puisse espérer est qu’ils soient modestes (…) Or quel est, messieurs, le sens de cette vaste organisation ? C’est d’arrêter des personnes innocentes et d’engager contre elles des procédures absurdes. » A vous, Monsieur le juge de le détromper.
Ces paroles seront mes seules paroles. Je refuse de me soumettre à la question. Comme l’a dit notre camarade Loïc à ce même tribunal le 27 juillet dernier : je ne répondrai pas à vos questions tant que le gendarme Vestieu et la préfète Dubée ne seront pas, eux aussi, soumis à la question à propos la politique répressive criminelle qu’ils ont diligenté à Sainte Soline. Je ne répondrai pas à vos questions tant que les gendarmes qui ont tiré sur Serge, Mika, Alix et les dizaines d’autres personnes mutilées ne seront pas soumis à la question sur l’usage de leurs armes. Je ne répondrai pas à vos questions tant que ceux qui assèchent nos rivières, s’accaparent et empoisonnent les communs que sont la terre et l’eau, continueront de le faire impunément.