Procès du 8 septembre à Niort, décla­ra­tion de Basile Dutertre

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Je prend dès à présent la parole pour répondre des accu­sa­tions à mon encontre. Je me canton­ne­rai à cette décla­ra­tion préli­mi­naire. Je m’adresse ici non seule­ment à vous Monsieur le juge, mais égale­ment aux personnes présentes dans la salle, à toutes celles et ceux qui sont parve­nus à fran­chir les contrôles ahuris­sants mis en place par la préfec­ture et qui portent mani­fes­te­ment atteinte à la publi­cité des débats. 

Il s’agit en premier lieu de répondre de ce dont on m’ac­cuse. Je sais que vous juge­rez aussi de ma person­na­lité, vous appuyant sur les notes blanches des rensei­gne­ments et sur les clichés média­tiques sur les « zadistes ». Ma vie c’est choyer depuis 12 ans un bocage menacé de destruc­tion, y élever des bêtes, y fonder avec d’autres une coopé­ra­tive, y élabo­rer d’autres manières de vivre ensemble de parta­ger la terre et le quoti­dien. Je suis certes sans emploi, mais loin d’être sans travail et sans métier.

C’est donc des faits, des gestes et des actes que vous juge­rez aujourd’­hui. Qu’il me soit donné de réfu­ter les fantas­ma­go­ries poli­cières et les élucu­bra­tions gendar­mesques dont je suis, avec mes cama­rades, l’objet. 

Prenons-les dans l’ordre : 

1 – En premier lieu, vous m’ac­cu­sez d’être l’or­ga­ni­sa­teur de deux mani­fes­ta­tions inter­dites : le 29 octobre et le 25 mars à Sainte Soline. Or, je ne suis pas l’or­ga­ni­sa­teur de ces mani­fes­ta­tions, simple­ment, une personne parmi plusieurs centaines impliquée dans la tenue des mobi­li­sa­tions anti-bassines. Le propre des fictions poli­cières, c’est de plaquer cari­ca­tu­ra­le­ment sur les mouve­ments leur propre fonc­tion­ne­ment hiérar­chique et mili­taire. Alors, il y aurait forcé­ment des chefs – et forcé­ment des hommes ! – au sommet d’une pyra­mide, qui donne­raient des ordres et des instruc­tions à des milliers de mani­fes­tants et mani­fes­tantes marchant au pas. Ces fantasmes en disent plus sur l’étroi­tesse d’es­prit  des mili­taires que sur la réalité et la complexité de nos formes d’or­ga­ni­sa­tion. 

Maté­riel­le­ment ce qui est supposé attes­ter de mon rôle d’or­ga­ni­sa­teur, c’est d’avoir simple­ment pris la parole : crier des slogans dans un méga­phone, prendre le micro dans les médias domi­nants pour récu­ser les mensonges du minis­tère de l’in­té­rieur et faire connaître l’am­pleur sans précé­dent de la violence poli­cière qui s’est abat­tue sur les mani­fes­tantEs le 25 mars dernier. C’est pour cette raison que je suis aujourd’­hui prévenu. Mais je le redis aujourd’­hui : 

– Oui j’ai pris la parole et appelé avec d’autres à cette mani­fes­ta­tion depuis le mouve­ment des Soulè­ve­ments de la terre. Oui j’ai crié et chanté des slogans dans un méga­phone dont la portée touchait tout au plus une centaine de personnes dans le fracas des grenades. Oui j’y ai pris part et j’ai contri­bué à bâtir cette mobi­li­sa­tion. 

– Mais non je n’ai pas orga­nisé cette mani­fes­ta­tion. Non il n’y a pas une demi-douzaine d’or­ga­ni­sa­teurs, mais plus d’une centaines de collec­tifs, asso­cia­tions, syndi­cats et partis poli­tiques qui ont pris part à l’or­ga­ni­sa­tion des mani­fes­ta­tions de Sainte Soline. Il y a des centaines de personnes qui tiennent des assem­blées et prennent des initia­tives auto­nomes et apportent leur pierre à l’édi­fice. Il n’y a une foule qui s’or­ga­nise et qui en s’or­ga­ni­sant devient une commu­nauté de lutte. C’est cette vaste commu­nauté qui cuisine pour des milliers de personnes, établi un campe­ment d’ac­cueil, forme plusieurs cortèges simul­ta­nés, orga­nise des ateliers, des disucs­sions, des concerts. C’est cette vaste commu­nauté qui décide d’en­freindre les absurdes inter­dic­tions préfec­to­rales. Elle n’a pas besoin pour cela de struc­ture hiérar­chique, ni de comman­de­ment.

Bien que tout soit fait pour nous le faire oublier – l’ordre et la justice reposent sur l’ac­tion passée de telles commu­nau­tés de lutte. Il procède de l’ac­tion des clubs révo­lu­tion­naires du Paris de 1789, des actions de sabo­tages des résis­tants de la seconde guerre. Il se fonde sur les illé­ga­lismes de celles et ceux qui ont su jadis enfreindre les lois, se battre et lutter au nom de la justice contre le droit alors en vigueur. 

Comme l’écri­vait si juste­ment Simone Weil, dans son chemi­ne­ment des couloirs de l’usine aux combats de la colonne Durruti : 

« Ceux qui sont inves­tis des fonc­tions de comman­de­ment se sentent la mission de défendre l’ordre indis­pen­sable à toute vie sociale, et ils ne conçoivent pas d’autre ordre possible que celui qui existe. Ils n’ont pas entiè­re­ment tort, car jusqu’à ce qu’un autre ordre ait été établi, on ne peut affir­mer avec certi­tude qu il sera possible ; c’est juste­ment pourquoi il ne peut y avoir progrès social que si la pres­sion d’en bas est suffi­sante pour chan­ger effec­ti­ve­ment les rapports de force, et contraindre ainsi à établir en fait des rela­tions sociales nouvelles.

La rencontre entre la pres­sion d’en bas et la résis­tance d’en haut suscite ainsi conti­nuel­le­ment un équi­libre instable, qui défi­nit à chaque instant la struc­ture

d’une société. Cette rencontre est une lutte mais elle n’est pas une guerre ; elle peut se trans­for­mer en guerre dans certaines circons­tances, mais il n’y a là aucune fata­lité. »

Il n’y a pas en effet de fata­lité, il y a le choix déli­béré du minis­tère de l’in­té­rieur d’em­pê­cher l’ac­cès au chan­tier quel qu’en soit le coût humain, pour reprendre les mots du rapport de la LDH. Le choix de refu­ser de suspendre les travaux et de renouer le dialogue avec BNM, la Confé­déa­tion Paysanne, et les asso­cia­tions envi­ron­ne­men­tales. Le choix de muti­ler et d’as­su­mer plei­ne­ment la possi­bi­lité de tuer des mani­fes­tantEs pour défendre l’in­té­rêt parti­cu­lier d’une infime mino­rité : 6 % des exploi­tants agri­coles des Deux-Sèvres. 

2 – En deuxième lieu, vous m’ac­cu­sez « d’avoir parti­cipé à un grou­pe­ment en vue de la prépa­ra­tion de violences contre les personnes et-ou de dégra­da­tions ou de destruc­tion contre les biens. » Ce qui est kafkaien dans ce délit, c’est que les gendarmes de la section de recherche de Poitiers prétendent avoir un accès direct à mon for inté­rieur au point de pouvoir lire mes inten­tions profondes. Je n’ignore pas qu’ils voudraient stocker mon ADN et le détail intime de ce qui me consti­tue biolo­gique­ment dans leurs fichiers. Mais permet­tez moi d’af­fir­mer et de formu­ler par moi même mes inten­tions et mes vues. Je suis le mieux placé pour les connaître. Mon inten­tion était de m’in­tro­duire symbo­lique­ment sur le chan­tier pour marquer notre oppo­si­tion aux méga-bassines. Si nous y étions parve­nus, il n’y avait rien à dégra­der dans ce cratère vide. Rien d’autre que l’hon­neur d’un Etat cerné par les oppo­si­tions et qui avait choisi de faire de ce trou le symbole de son auto­rité retran­chée. 

Maté­riel­le­ment, rien n’at­teste que j’avais l’in­ten­tion de commettre des violences et des dégra­da­tions. Tenir en main une tortue gonflable ne témoigne nulle­ment d’in­ten­tion belliqueuse. C’est une protec­tion symbo­lique bien déri­soire face aux grenades qui pleu­vaient alors sur nous. Dispen­ser des conseils au méga­phone, ce n’est pas beugler des ordres comme le faisaient ce  jour là les offi­ciers de gendar­me­ries débor­dés. Maté­riel­le­ment, rien atteste de cette « manœuvre de diver­sion » qu’on me prête. Cette accu­sa­tion est abso­lu­ment absurde. Qui peut croire que les gendarmes sont assez idiots pour se lais­ser berner par un oiseau en bois et être surpris par l’ar­ri­vée des autres mani­fes­tants pour­tant survo­lés par plusieurs héli­co­ptères ? Ne leur faites pas cette offense, Monsieur le Juge, c’est une insulte à leur intel­li­gence. 

Je le répète : maté­riel­le­ment rien atteste que j’avais l’in­ten­tion de commettre des violences et des dégra­da­tions. Mais maté­riel­le­ment tout dans la situa­tion actuelle contri­bue à une montée en puis­sance des tensions, de la colère et des affron­te­ments en réac­tion au boule­ver­se­ment clima­tique et à l’ef­fon­dre­ment de la biodi­ver­sité.  Il ne vous aura pas échappé que nous venons de vivre le mois le plus chaud depuis que nous mesu­rons les tempé­ra­tures. Méga-feux et séche­resses, nul ne peut plus nier l’évi­dence. Si la terre et l’eau furent et demeurent sacrés pour tant de cultes et de cultures, il n’y a guère que la reli­gion capi­ta­liste pour les réduire au rang de marchan­dises. Dans ce contexte l’ur­gence n’est pas de juger celles et ceux qui défendent la terre et l’eau. L’ur­gence est de juger les respon­sables de l’éco­cides au plus haut niveau de l’État et des entre­prises. 

Comme le disait Hannah Arendt :  » Si les hommes sont inca­pables de pardon­ner ce qu’ils ne peuvent punir, ils seront aussi inca­pables de punir ce qui se révèle impar­don­nable. «  Au fond,  le grou­pe­ment consti­tué en vue de commettre des destruc­tions irré­ver­sibles qui remettent en cause la possi­bi­lité même de la vie humaine sur terre, chacun sait que c’est l’État, le complexe agro-indus­triel, la filière béton et les multi­na­tio­nales extrac­ti­vistes qui le consti­tuent.

3 – en troi­sième lieu, vous m’ac­cu­sez d’avoir frau­du­leu­se­ment sous­trait un morceau de cana­li­sa­tion. Au prin­temps marai­chin les mani­fes­tant-e-s se sont livrés à un chan­tier d’uti­lité publique contre l’as­sè­che­ment du Mignon en démon­tant cette cana­li­sa­tion. J’ai soulagé un vieux cama­rade qui en portait un frag­ment sur quelques mètres tout au plus, mais je ne suis pas reparti avec. Qu’en aurais-je fait ? Où l’au­rais-je mise ? Qu’est qui prouve que je l’ai effec­ti­ve­ment sous­traite ? Abso­lu­ment rien ! 

Pour conclure je dirais que même si vous nous condam­nez lour­de­ment, le mouve­ment contre les bassines conti­nuera d’or­ga­ni­ser des mobi­li­sa­tions, celles-ci conti­nue­rons d’être systé­ma­tique­ment inter­dites, et ces inter­dic­tions d’être inopé­rantes. Ce qui peut faire cesser ces mani­fes­ta­tions, ce n’est ni leur inter­dic­tion admi­nis­tra­tive, ni le fracas des grenades. C’est un véri­table partage de l’eau, qui prio­rise l’eau potable pour les humains et l’eau vive pour les milieux sur l’eau écono­mique et la vora­cité de l’agro-indus­trie. 

Dans le procès, Kafka écrit : « il ne fait pas de doute que tous les agis­se­ments de ce tribu­nal  dissi­mulent une vaste orga­ni­sa­tion. Une orga­ni­sa­tion qui n’em­ploie pas seule­ment des gardiens corrom­pus, des inspec­teurs et des juges imbé­ciles dont le mieux qu’on puisse espé­rer est qu’ils soient modestes (…) Or quel est, messieurs, le sens de cette vaste orga­ni­sa­tion ? C’est d’ar­rê­ter des personnes inno­centes et d’en­ga­ger contre elles des procé­dures absurdes. » A vous, Monsieur le juge de le détrom­per. 

Ces paroles seront mes seules paroles. Je refuse de me soumettre à la ques­tion. Comme l’a dit notre cama­rade Loïc à ce même tribu­nal le 27 juillet dernier : je ne répon­drai pas à vos ques­tions tant que le gendarme Vestieu et la préfète Dubée ne seront pas, eux aussi, soumis à la ques­tion à propos la poli­tique répres­sive crimi­nelle qu’ils ont dili­genté à Sainte Soline. Je ne répon­drai pas à vos ques­tions tant que les gendarmes qui ont tiré sur Serge, Mika, Alix et les dizaines d’autres personnes muti­lées ne seront pas soumis à la ques­tion sur l’usage de leurs armes. Je ne répon­drai pas à vos ques­tions tant que ceux qui assèchent nos rivières, s’ac­ca­parent et empoi­sonnent les communs que sont la terre et l’eau, conti­nue­ront de le faire impu­né­ment. 

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