« Regards », 4 novembre, « le débat sur la dépé­na­li­sa­tion du canna­bis est assu­ré­ment néces­saire. »

« Mexi­ca­ni­sa­tion » : la lutte contre le narco­tra­fic n’est pas du folk­lore

Préten­dant faire une nouvelle « guerre à la drogue », le ministre de l’in­té­rieur n’a aucune solu­tion autre que d’am­pli­fier la répres­sion. Une poli­tique en échec depuis des décen­nies, qui ne fait qu’ajou­ter de la violence à la violence.

Depuis une semaine, plusieurs jeunes sont morts sous des coups de couteaux, fusillades et balles perdues à Rennes, Poitiers, Valence, Marseille… Parmi les victimes : un enfant de cinq ans, de jeunes mineurs ou de très jeunes adultes. Toutes ces morts ne sont pas ratta­chées au trafic de drogue mais le narco­tra­fic est souvent en cause.

Comme dans un rituel établi, l’oc­cu­pant de la place Beau­vau se déplace et fait part aux jour­na­listes de sa déter­mi­na­tion. Avant lui, Darma­nin et Macron lançaient les opéra­tion « places nettes », « XXL ». Selon un rapport séna­to­rial, « 473 opéra­tions ‘places nettes’ ont été menées entre septembre 2023 et avril 2024 avec des résul­tats pour le moins limi­tés »: 40 kilos de cocaïne saisis pour 50 000 gendarmes et poli­ciers mobi­li­sés, assurent les séna­teurs.

Retailleau le sait bien, il vient du Sénat. Alors il lui faut frap­per les esprits en cognant toujours plus fort. Il use de vieilles ficelles. Il invente des mots qui claquent : « narco­ra­cailles ». Il assomme de peur son audi­toire en parlant de rixe enga­geant des centaines d’ha­bi­tants à Poitiers – très vite démenti par sa propre admi­nis­tra­tion. Il lâche la menace ultime : « Soit il y a une mobi­li­sa­tion géné­rale, soit il y a la mexi­ca­ni­sa­tion du pays »(1).  Jordan Bardella court derrière et parle de « barba­rie quoti­dienne ». S’ima­gi­nant chef du gouver­ne­ment ou de la majo­rité, Retailleau déborde le champ de son minis­tère et assure que « l’état actuel du droit ne permet pas de lutter » contre ces phéno­mènes d’hy­per­vio­lence et de narco­tra­fic et propose donc « un réar­me­ment légis­la­tif ». Une nouvelle foire aux bonnes idées est ouverte : entendu 5/5 par le député macro­niste, Karl Olive reprend des idées chères à Ségo­lène Royal puis Manuel Valls, et préco­nise de « déployer l’ar­mée dans les quar­tiers sensibles »

Il y a lieu d’être stupé­faits et inquiets par ces morts qui traduisent une montée de la violence et du narco­tra­fic. Mais pas de faire comme si le sujet émer­geait et n’était pas docu­menté, traité par diffé­rentes instances dont le Sénat et le Conseil écono­mique social et envi­ron­ne­men­tal. Toutes les études convergent pour poin­ter l’échec de la poli­tique de prohi­bi­tion conduite en France depuis 50 ans. La France est le pays euro­péen le plus consom­ma­teur de drogue avec cinq millions de fumeurs régu­liers de canna­bis dont un million toutes les semaines. Une part très signi­fi­ca­tive de la jeunesse en consomme au mépris des effets dange­reux sur un cerveau toujours en cours de matu­ra­tion.

Autre constat inquié­tant : la dange­ro­sité crois­sante des drogues et notam­ment pour la plus répan­due, le canna­bis, une envo­lée du taux de THC, le prin­cipe actif, qui a doublé en vingt ans. Les drogues de synthèse se répandent et se bana­lisent. La diffu­sion de la drogue est faci­li­tée par « l’ubé­ri­sa­tion du trafic », sa décen­tra­li­sa­tion et ses échelles toujours plus fines. Les terri­toires ultra­ma­rins sont parti­cu­liè­re­ment impac­tés.

Pour­tant, près d’un milliard est consa­cré à la lutte contre la drogue par l’État.

Mais pour reprendre l’ex­pres­sion des séna­teurs : « On vide la mer avec une petite cuillère ». Des propo­si­tions et des reven­di­ca­tions sont sur la table. Comme celle de la créa­tion d’un parquet spécia­lisé qui serait formé et outillé pour faire face à un crime qui se joue à une échelle inter­na­tio­nale (notam­ment euro­péenne) et qui mobi­lise des tech­no­lo­gies de plus en plus sophis­tiquées d’ache­mi­ne­ment, de diffu­sion, de blan­chi­ment, etc. La ques­tion de la prison est égale­ment posée, avec la conti­nua­tion du crime depuis les cellules.

Le débat sur la dépé­na­li­sa­tion du canna­bis est assu­ré­ment néces­saire: il permet­trait notam­ment un meilleur contrôle de substances, une poli­tique de préven­tion et libé­re­rait des forces et des moyens pour des résul­tats plus tangibles.

Car oui, la lutte contre la grande crimi­na­lité est un enjeu majeur. Elle compte parmi les forces écono­miques les plus puis­santes au monde et peut désta­bi­li­ser des socié­tés et des États. Cela va donc au-delà des seules poli­tiques répres­sives. Cela dépasse les médiocre simu­lacres qui préparent les lois et les esprits au fascisme.

La crimi­na­lité orga­ni­sée se recons­ti­tue quand bien même on met ses soldats en prisons. Elle est plus qu’un marché. Elle est une écono­mie auquel seul un tissu social robuste peut résis­ter. La crainte d’une corrup­tion qui se déve­loppe est des plus sérieuses. Plus encore : comment faire face à une puis­sance qui promet des gains faciles à une jeunesse qui n’a guère de pers­pec­tive, qui se fait mépri­ser et qui a pour seul mirage Dubaï ?

(1) Au Mexique, le narco­tra­fic fait 30 000 morts par an. Au dernières élec­tions de juin 2024, 35 candi­dats ont été assas­siné, près de 500 bles­sés. Compa­rai­son n’est pas raison.

Cathe­rine Tricot

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