A quelques jours des commémorations du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, une étonnante polémique.
A quelques jours des commé­mo­ra­tions du cente­naire de la fin de la Première Guerre mondiale, une éton­nante polé­mique.
© (Photo archives NR)

Tour­non-Saint-Martin. Des élèves devaient enton­ner la chan­son des mutins de 1917, lors des céré­mo­nies. Le direc­teur acadé­mique s’y oppose.

Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes. C’est bien fini, c’est pour toujours, de cette guerre infâme. C’est à Craonne, sur le plateau, qu’on doit lais­ser sa peau, car nous sommes tous condam­nés, nous sommes les sacri­fiés. 
Chan­son symbole des grandes muti­ne­ries du prin­temps 1917 consé­cu­tives aux attaques meur­trières décré­tées par l’état-major, La Chan­son de Craonne fait désor­mais partie de notre patri­moine natio­nal. A ce titre, elle est notam­ment chan­tée, tout comme La Marseillaise, à Tour­non-Saint-Martin, lors des céré­mo­nies du 11 Novembre.
“ Une atteinte à la liberté d’ex­pres­sion ” En cette année 2018, qui marque la fin des commé­mo­ra­tions de la Première Guerre mondiale, cette chan­son faisait à nouveau partie du réper­toire. Les adoles­cents du collège et les enfants de CM2 de l’école primaire la répé­taient d’ailleurs depuis plusieurs mois. En seront-ils fina­le­ment privés ?
Trom­pet­tiste à l’Har­mo­nie muni­ci­pale de Tour­non, Julien Natali est dans tous ses états. « Ma fille, qui est en 4e au collège, est reve­nue à la maison, voilà quelques jours en me disant qu’ils ne chan­te­raient fina­le­ment pas La Chan­son de Craonne, lors de la céré­mo­nie. L’in­ter­dic­tion émanait du direc­teur acadé­mique de l’Édu­ca­tion natio­nale (Dasen), Pierre-François Gachet. J’ai réussi à le joindre ; il m’a confirmé son refus. La discus­sion a été cour­toise, mais il s’agis­sait bien d’une fin de non-rece­voir. Il a décidé et c’est ainsi. »

« Je ne comprends pas », pour­suit Julien Natali. « Cette chan­son fait partie de l’his­toire. Qui ses paroles peuvent-elles embê­ter, sinon les offi­ciers de l’époque qui sont morts et enter­rés depuis bien long­temps ? Pour moi, cette déci­sion consti­tue tout simple­ment une atteinte à la liberté d’ex­pres­sion. C’est de la censure pure et simple. »

L’évo­ca­tion pouvant être choquante pour nos enfants, faudra-t-il aussi inter­dire aux ensei­gnants d’ap­prendre à leurs élèves que Jeanne d’Arc a été brûlée vive sur la place du marché, à Rouen ? Pour le maire de Tour­non-Saint-Martin, Domi­nique Hervo, l’his­toire est une et indi­vi­sible. On ne saucis­sonne pas : « Notre céré­mo­nie est orga­ni­sée ainsi depuis trois ans et cela ne choque visi­ble­ment personne. Les chan­sons sont étudiées en classe et font l’objet d’un vrai travail péda­go­gique. Je tiens enfin à rappe­ler que la commé­mo­ra­tion est orga­ni­sée hors du temps scolaire. Vrai­ment, les diri­geants de l’Edu­ca­tion natio­nale n’ont-ils pas d’autres sujets plus impor­tants à trai­ter, en ce moment ? »
A Tour­non, les enfants conti­nue­ront donc à chan­ter La Marseillaise et La Chan­son de Craonne. Et ils liront des lettres de poilus. « Pour ne pas mettre les ensei­gnants en porte-à-faux, les gamins seront accom­pa­gnés par les respon­sables de l’Har­mo­nie muni­ci­pale, pour­suit le maire. Mais on conti­nue. C’est ferme et défi­ni­tif. Cela permet­tra d’or­ga­ni­ser une célé­bra­tion digne de ce nom. »

Article écrit par Bruno Mascle, jour­na­liste, direc­teur adjoint de la Nouvelle Répu­blique de l’Indre