Alors que les élections européennes approchent, un débat sur l’Europe a lieu dans ATTAC, ou avec Cédric Durand et Statis Kouvélakis, et encore avec Aurélien Bernier et d’autres. Aurélien Bernier nous rejoint dans le refus d’alliance avec le PS.
Le propos d’Aurélien Bernier, dans son dernier livre, « La gauche radicale et ses tabous » est assez simple : le Front de gauche régresse parce qu’il ne se décide pas à appliquer ce que préconise A. Bernier: mettre au centre du programme du Front de gauche la sortie de l’ordre juridique européen, la « désobéissance européenne », et le retour à une monnaie nationale accompagnée d’un protectionnisme français (avec refus de payer la dette, contrôle des capitaux, une fiscalité de gauche). Ce qui serait « sortir de l’ordre économique ultralibéral » pour aller vers l’ « autonomie des nations » et l’ « autonomie des peuples ». Et ensuite « développer de nouvelles solidarités, de nouvelles coopérations ».
Il doit développer une grande capacité de conviction car ces « nouveaux révolutionnaires » seraient encore peu nombreux qui sont « prêts à rompre de manière unilatérale avec ces institutions qui empêchent toute politique de gauche ». C’est là le tabou que notre auteur affronte résolument, le « tabou européen » : « comment retrouver l’espoir si aucune campagne claire n’est menée sur la désobéissance européenne et la souveraineté monétaire ? ». L’espoir serait là et nulle part ailleurs.
Ce que veut le peuple, selon Aurélien Bernier.
Ce livre comporte une approche historique où les mouvements sociaux sont étrangement peu présents pour qui se veut révolutionnaire. Le mouvement de mai 2004 contre les retraites est cité. Puis, à juste titre, la mobilisation extraordinaire pour un Non de gauche au TCE en 2005. L’auteur en tire une leçon : « les citoyens savent désormais « qu’aucune rupture avec l’ordre libéral n’est possible sans rupture institutionnelle avec l’Union européenne. Ils sont en droit d’attendre que les partis politiques la leur proposent et détaillent la marche à suivre ». Plus loin, il précise :« Une majorité de citoyens a compris que l’Union européenne est l’un des piliers de l’ordre ultralibéral et que seule la reconquête de la souveraineté nationale et populaire peut permettre de s’y soustraire »
Pour lui le peuple a un désir conscient et impérieux de sortir de l’Union européenne et de l’ordre ultralibéral ; c’est un postulat ; ce n’est pas une question à débattre ni un problème complexe.
La thèse est alors : le FN est antimondialiste ; si le Front de gauche devient antimondialiste, il pourra disputer l’hégémonie politique à ce parti parmi les classes populaires. Nous y reviendrons dans notre critique de la critique du FN faite par A. Bernier.
Retour vers le 20ème siècle.
Et l’antimondialisme proposé est celui du PCF d’avant 1997. Le PCF de1977 est magnifié avec son slogan :« Ils ferment nos usines. Ils investissent à l’étranger. Fabriquons français. » De même, quand en 1979, « le PCF combat et combattra toute tentative de porter atteinte à la souveraineté nationale en étendant les pouvoirs de l’Assemblée européenne ». L’auteur commente les élections européennes qui suivent: « un cinquième de l’électorat adhère à la critique radicale de la Communauté européenne portée par les communistes ». Commentaire qui suppose que la question européenne était une question populaire qui structurait la vie politique, en ces années où la polémique entre le PS et le PCF s’était embrasée, donnant à penser que la droite aller rester au pouvoir encore au-delà de 1981, où la crise sociale s’aggravait. Il faudrait le prouver.
Bref, pour notre auteur, jusqu’en 1997, la démondialisation « renvoie à la conception de l’État et de l’internationalisme défendue par le PCF ».
Sans rentrer dans le détail de la conception de l’internationalisme du PCF à l’époque de l’Union soviétique, notons qu’il y avait une conception de l’État portée par le PCF qui est bien celle de notre auteur : « l’État n’est pas par nature au service des grandes puissances économiques » ; et il s’agirait de « remettre l’État au service de l’intérêt général et de la satisfaction des besoins sociaux ».
En revanche, nul au PCF n’a considéré, comme notre auteur aujourd’hui, le Chili de Pinochet, la Grande-Bretagne de Thatcher, les USA de Reagan comme des exemples de « démantèlement de l’État ». Tant l’État dictatorial de Pinochet fut une réalité reconnue à gauche.
Pour les marxistes, l’État a plusieurs fonctions dont celle d’exercer une domination de classe. Bourdieu qui n’était pas marxiste, proposa de distinguer l’État social et l’État pénal. Les néolibéraux démantèlent l’Etat-providence et rendent les fonctions répressives de l’État les plus efficaces possibles. Pour les marxistes, si les discussions sur les formes d’État possibles continuent, l’État actuel n’est en rien une structure neutre, réformable sans rapport de force social.
Un certain antimarxisme.
Cette régression du PCF et de la gauche radicale, que veut pointer Aurélien Bernier, il en impute la faute à la « pensée trotskiste », à « la pensée Lutte ouvrière » (sic).
S’il est entendu que « la cause principale de la montée du FN » est « la destruction de la souveraineté nationale au profit de l’oligarchie financière », les trotskistes trop étrangers au « discours national » ont nécessairement une action délétère. Ce que pouvait dire le PCF des années 70 (et des années 60 et des années 50 et des années 40).
Ainsi Aurélien Bernier écrit : « plutôt que de porter une vision (…)révolutionnaire de la nation, la gauche radicale se replie sur le discours historique des trotskistes, dans lequel tout changement ne vaut que s’il est supra-national » .
Or, selon moi,le trotskisme n’existe plus: parce que l’œuvre politique de Trotski, ce prophète désarmé, fut d’abord celle d’un révolutionnaire combattant le stalinisme. Et le stalinisme était incarné dans des États dont l’Union soviétique ; cette période historique est close depuis la fin des années 1980 ; depuis lors, la dénomination de trotskiste a perdu sa fonction politique.
Et notre ami du PCF de 1977 impute à ces « trotskistes » la volonté de « réformer » « l’Union européenne et les institutions internationales ». En fait il s’agit pour lui de régler quelques comptes avec ATTAC et le mouvement altermondialiste et « altereuropéiste ». ATTAC, cette association qu’il a quittée peu après Jacques Nikonoff. Les altermondialistes rejetteraient la régulation du commerce , des monnaies nationales et des politiques monétaires étatiques, la rupture avec l’OMC et l’Union européenne. Ce qui est faux.
La polémique devient parfois, dans ce livre, acerbe : écologistes et « trotskistes » « mélangent leurs voix avec celles des plus ultralibéraux pour conclure à l’obsolescence de la souveraineté nationale ». Si les amis de Daniel Cohn-Bendit sont des constructeurs acritiques de l’Union européenne, prêts à toutes les alliances imaginables au nom de la construction européenne, la gauche radicale n’est pas adepte de ces amitiés avec les ultralibéraux.
Le programme du FN est « national-socialiste ».
Cette caractérisation me semble juste et utile. Mais l’analyse du FN qui suit, faite par l’ancien dirigeant d’ATTAC me paraît erronée.
Pour notre polémiste, national-socialiste , c’est le nationalisme ajouté à « meilleure stabilité pour les travailleurs », c’est « un nouveau compromis social qui vise à aménager le capitalisme français pour mieux le préserver ». Ce qui « répond aux principales peurs de la population-le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, l’insécurité au sens large-, il paraît traduire un souci de justice sociale et relever de simples principes de « bon sens ». Surtout il propose des changements qui sont souvent perçus comme concrets et immédiats par les classes populaires ».
Étrange commentaire où le national-socialisme deviendrait une idéologie pragmatique et proche du peuple, commentaire qui tend à estomper la virulence raciste et xénophobe et homophobe et antiféministe du propos du FN. Car le FN surfe sur un sens commun où le Rom est inassimilable, comme le ministre socialiste Valls l’a dit, où l’étranger vient voler le pain au chocolat des Français comme le chef de l’UMP, Copé, l’a dit. Il est plus facile de s’attaquer à des personnes sans défense et effrayées que de s’affronter aux capitalistes et à leurs appareils d’État. Étrange propos où le racisme et la xénophobie, toujours réaffirmés par le FN, si « populaires » sont minorés.
Le FN est longuement cité, sans critiques conséquentes.
Ainsi lorsque « la folle idéologie de la libre-circulation des biens, des personnes, des capitaux » est dénoncée par le FN. Mettre sur le même plan personnes et capitaux est très dans l’air du temps néolibéral. Le FN veut une certaine régulation de la libre-circulation des marchandises et il veut avant tout des frontières qui se ferment aux étrangers.
A propos de régulations étatiques proposées par le FN, l’ancien militant du MPEP écrit : « un grand écart, encore une fois habile, entre l’interventionnisme et la dérégulation ». Il ne s’agit pas de grand écart, mais d’un discours contradictoire, logiquement incohérent. A la façon du parti de Mussolini ou de celui d’Hitler dans leur leur marche vers le pouvoir. Où un discours « anti-système » s’accompagnait d’un pragmatisme politique dans la séduction des élites économiques de leurs pays.
Voila pourquoi une formulation comme « le FN est le parti qui bénéficie le mieux du rejet de l’ultralibéralisme par les classes populaires » me paraît fausse. Ce n’est pas un rejet de l’ultralibéralisme qui fait le lit du FN, c’est la recherche désespérée d’un maître qui soit impitoyable avec les étrangers et les « assistés », comme réponse immédiate, horriblement concrète, à la concurrence angoissante avec ses voisins sur le marché du travail.
Sortir de l’Union européenne ?
Et malgré toutes ces critiques du livre fort stimulant intellectuellement d’Aurélien Bernier, je considère que, oui, envisager une sortie de l’Union européenne est une question juste politiquement.
Dans le livre coordonné par Cédric Durand, « Sortir de l’Europe » , la sortie de l’Union européenne est présentée devant devenir possiblement un thème de campagne pour la gauche radicale. Tant l’Union européenne, ses appareils dirigeants, est ennemie des peuples comme cela est patent depuis la crise de 2008.
Ce livre insiste, en effet, sur la crise commençant en 2008 et continuant à ce jour, qui peut apparaître comme une crise exacerbée dans une crise de longue durée. L’idée de Durand comme de Kouvalekis est que cette crise a révélé la nature jusque-là peu apparente de l’Union européenne qui a mis sous tutelle des pays comme la Grèce ou l’Italie.
En Grèce, ports, aéroports, autoroutes, eau électricité, énergies renouvelables, patrimoine immobilier public, plages, zones côtières, tout cela a été vendu à vil prix à des investisseurs « étrangers ». Kouvalekis précise : « c’est seulement maintenant, à la lumière de la crise, que nous pouvons appréhender ce mélange d’autoritarisme (…) et de néolibéralisme qui est inscrit dans l’ADN de l’UE.
En mai 2010, Athènes est placée « sous la tutelle de la troïka (FMI, BCE et Commission européenne). En octobre 2011, Papandréou démissionne et est remplacé par « Papadémos, ancien banquier central à Athènes et Francfort ». La Grèce devient un « quasi-protectorat ». En novembre 2011, Mario Monti, « clone transalpin de Papadémos » dirige l’Italie à la place de Berlusconi.
La Banque centrale européenne (BCE) obtient alors un pouvoir inconnu auparavant. On assiste à une « montée en puissance » de la BCE qui est d’autant plus « spectaculaire » si on la compare « à l’impotence du Parlement européen »; elle contrôle dans le détail la politique, va jusqu’à fournir des dirigeants à ces États ; cela sans mandat électif.
Voila pourquoi, l’Union européenne, doit être présentée comme ce qu’elle est crûment : un instrument au service du néolibéralisme, une machine à détruire les acquis sociaux. C’est pour cela, non parce que le FN apporterait un discours national « concret » et « populaire », que le fait que l’Union européenne est non réformable doit devenir une question politique. Cet axe programmatique n’est pas un préalable à toute politique. Le seul préalable à une concrétisation d’une politique de la gauche radicale est celui de la construction d’un mouvement social puissant et pluraliste.
Pascal Boissel.