Sortir du libé­ra­lisme pour s’en sortir

Le coro­na­vi­rus est la plus grave pandé­mie depuis un siècle. Aucune n’a été mondia­li­sée à une telle vitesse. Devant le danger, il convient d’abord de proté­ger les popu­la­tions. Mais cette crise, par le confi­ne­ment prolongé et la proxi­mité de la mala­die, oblige égale­ment à chan­ger notre rapport au monde, à la nature, au temps, aux infor­ma­tions, aux rela­tions humaines. Les insti­tu­tions inter­na­tio­nales (UE, ONU, OMC…) confirment qu’elles ne sont pas fonc­tion­nelles pour la soli­da­rité humaine à l’échelle inter­na­tio­nale. Il convient de contes­ter la poli­tique des gouver­ne­ments et de reje­ter les idéo­lo­gies de repli natio­na­liste.

Les poli­tiques néoli­bé­rales (plans d’ajus­te­ment struc­tu­rels, dogme de la réduc­tion de la dette des Etats) ont provoqué la destruc­tion de services publics indis­pen­sables dans de nombreux pays, et ont empê­ché le déve­lop­pe­ment de services de santé ou d’édu­ca­tion suffi­sants. Ces poli­tiques préparent le déve­lop­pe­ment du « tous contre tous » où l’on voit des Etats tels la Hongrie ou les Etats-Unis pratiquer le « nous d’abord » (rapt de produits sani­taires, inter­dic­tion de la coopé­ra­tion..). Il est égale­ment indis­pen­sable de réflé­chir au type de société que nous voulons pour éviter la répé­ti­tion, proba­ble­ment en plus grave, de crises de ce type.

Agir pour proté­ger les popu­la­tions

Il y a eu partout dans le monde, même si c’est inéga­le­ment selon les pays, du retard à réagir face à l’épi­dé­mie. Le Gouver­ne­ment français, comme tant d’autres, a montré son impré­pa­ra­tion et son retard à réagir face à la crise, préfé­rant pour­suivre le plus long­temps possible sa poli­tique néo-libé­rale plutôt que de prendre les mesures néces­saires. Aujourd’­hui, on en est arri­vés à un point où le confi­ne­ment est inévi­table, combiné avec l’ef­fort hospi­ta­lier. Sur le débat médi­cal, il faut encou­ra­ger la plus grande trans­pa­rence, en misant sur l’in­tel­li­gence collec­tive. Cela permet­tra de lutter contre le complo­tisme, souvent anti­sé­mite, qui se propage.

Ce confi­ne­ment ne doit pas être soumis aux impé­ra­tifs des profits capi­ta­listes. Il n’est pas admis­sible d’en­voyer des ouvriers travailler dans le bâti­ment, la sidé­rur­gie ou sur les chan­tiers navals au risque de faire circu­ler le virus au nom de l’ur­gence écono­mique. L’ur­gence sani­taire doit guider la produc­tion. Seuls les secteurs indis­pen­sables aux besoins élémen­taires de la popu­la­tion doivent travailler. Cette néces­sité est contra­dic­toire avec les décla­ra­tions de Ministres enjoi­gnant aux sala­riés de reprendre le travail. Il convient d’in­ter­dire aux entre­prises de produire ce qui n’est pas essen­tiel dans la situa­tion. Dans plusieurs pays, comme en Italie, l’exer­cice du droit de retrait des sala­riés a imposé la mise à l’ar­rêt de certaines entre­prises. Les acti­vi­tés non essen­tielles doivent s’ar­rê­ter.

Tous/tes les sala­rié.e.s des secteurs vitaux (hôpi­taux, grande distri­bu­tion, postes, poli­ce…) doivent être protégé.e.s (masques, gants, gel), ce qui n’est pas le cas actuel­le­ment. La loi du profit et l’im­pré­voyance des Gouver­ne­ments succes­sifs ont commandé ces dernières années de ne pas renou­ve­ler les stocks de produits, alors qu’ils relèvent de la protec­tion civile. Ils font défaut aujourd’­hui. Une fois la crise termi­née, le gouver­ne­ment devra rendre des comptes à propos de ces graves manque­ments. Les chefs d’en­tre­prises ont délo­ca­lisé pour réduire leurs coûts de produc­tion : ce dumping social a amené les manques d’aujourd’­hui. La recherche de la renta­bi­lité a imposé de dégra­der le service public hospi­ta­lier, amenant la dimi­nu­tion constante du nombre de lits et de person­nels, dont on voit aujourd’­hui les consé­quences catas­tro­phiques.

Des mesures vitales pour faire face à la pandé­mie

Devant l’in­cu­rie du gouver­ne­ment et de l’État, les syndi­cats, les asso­cia­tions, les habi­tant.es se mobi­lisent pour déve­lop­per la soli­da­rité dans un secteur profes­sion­nel, une ville, un quar­tier… Des réseaux se créent (Covid entraide par exemple) et de nombreuses muni­ci­pa­li­tés actionnent un plan de conti­nuité du service public et soutiennent les asso­cia­tions.

Nous soute­nons l’ap­pel « Pour que le jour d’après soit en rupture avec le désordre néoli­bé­ral », lancé par 18 respon­sables de syndi­cats et d’as­so­cia­tions, qui comprend de nombreuses propo­si­tions à mettre en œuvre d’ur­gence.

Des syndi­cats, des asso­cia­tions et plusieurs orga­ni­sa­tions poli­tiques de gauche ont égale­ment rendu publiques leurs propo­si­tions pour faire face à la pandé­mie. En voici quelques-unes que nous appe­lons à mettre en œuvre :

Inves­tis­se­ment massif dans la lutte sani­taire contre le virus : donner les moyens aux soignant.es et les proté­ger, garan­tir le recru­te­ment de person­nels soignants statu­taires
Réqui­si­tion et natio­na­li­sa­tions des entre­prises indis­pen­sables pour la lutte contre le COVID 19 (comme LuxFer qui produit des bouteilles d’oxy­gène médi­cales)
Arrê­ter les produc­tions et services non essen­tiels à la lutte contre la pandé­mie et à l’ali­men­ta­tion de la popu­la­tion ; proté­ger les sala­rié.es des services essen­tiels (masques, réduc­tion du temps de travail…)
Respect du droit de retrait des sala­rié.es
Main­tien du salaire à 100% jusqu’à 3 fois le Smic, y compris pour les précaires et les indé­pen­dant.es.
– Abro­ga­tion de la loi de 2019 sur l’as­su­rance chômage
Dépis­tage massif du Covid19 (tests et séro­lo­gie)
Régu­la­ri­sa­tion des sans-papiers comme au Portu­gal
Libé­ra­tion de toutes les personnes rete­nues en centre de réten­tion
– Réqui­si­tion des loge­ments vides pour y loger les sans-abris
– Ouver­ture d’ur­gence d’ap­par­te­ments pour les femmes victimes de violen­ces…
– Aide finan­cière et maté­rielle aux pays ayant peu de services de santé
– La sortie du confi­ne­ment doit faire l’objet d’un débat démo­cra­tique et doit être prépa­rée avec les orga­ni­sa­tions syndi­cales, asso­cia­tives, les orga­ni­sa­tions poli­tiques et la popu­la­tion.

La soli­da­rité et l’en­traide protègent la société

Les luttes sociales de ces dernières années, les réseaux syndi­caux et asso­cia­tifs, les multiples collec­tifs locaux, de quar­tiers, y compris les assem­blées issues des Gilets Jaunes, se trouvent prolon­gées dans des élans de soli­da­rité comme on n’en a pas connu depuis long­temps. Dans les campagnes et les quar­tiers le tissu asso­cia­tif et citoyen se mobi­lise massi­ve­ment pour compen­ser les manques de l’Etat (distri­bu­tion de nour­ri­ture, aide aux plus dému­nis et aux migrants, aux personnes âgées, aide aux enfants scola­ri­sés, lutte contre les violences intra­fa­mi­liales). L’aide aux sans-papiers et aux réfu­gié.es est une ques­tion vitale pour ces popu­la­tions privées de nombreux droits.

Dans les entre­prises, les inspec­teurs du travail et les syndi­cats se mobi­lisent pour faire respec­ter la protec­tion sociale. Le soutien massif au person­nel soignant exprimé tous les soirs à 20 heures sur les balcons est un point d’ap­pui impor­tant comme les multiples initia­tives de soli­da­rité citoyennes.

Cette soli­da­rité doit aussi se déve­lop­per à l’échelle euro­péenne et inter­na­tio­nale, contre la logique du chacun pour soi. Les poli­tiques libé­rales et égoïstes des insti­tu­tions euro­péennes ont montré leur inhu­ma­nité. Il est vital de construire de nouvelles coopé­ra­tions et soli­da­ri­tés pour faire face ensemble aux défis gigan­tesques qui nous sont posés.

Les respon­sa­bi­li­tés du pouvoir Macron – Philippe

Au sein du person­nel hospi­ta­lier, en 1ère ligne face au COVID 19, la colère ne cesse de monter face aux diffi­cul­tés, au manque de moyens, de person­nels. Les acteurs au 1er plan s’en­gagent et accusent (appel des 600 méde­cins), plusieurs plaintes sont dépo­sées qui posent la respon­sa­bi­lité des pouvoirs en place.

Le gouver­ne­ment Edouard Philippe et Emma­nuel Macron portent une respon­sa­bi­lité impor­tante dans l’im­pré­pa­ra­tion du pays à faire face à la crise que les appels à l’union natio­nale et aux méta­phores guer­rières ne peuvent masquer. Ils ont pour­suivi les poli­tiques d’aus­té­rité dans la santé et conti­nué les réduc­tions massives de postes. Si la déci­sion de ne plus stocker de masques a été prise en 2012 sous Hollande, pour des raisons d’éco­no­mie, le gouver­ne­ment Philippe a ignoré les alertes (rapport à la DGS de mai 2019…).

Le retour­ne­ment du gouver­ne­ment sur le port du masque géné­ra­lisé pour la popu­la­tion, qu’il décon­seillait pour masquer la pénu­rie, est révé­la­teur d’une poli­tique mépri­sante envers les citoyens et dange­reuse pour la santé publique.
Muriel Péni­caud pousse les entre­prises à faire la chasse à celles et ceux qui ne veulent pas travailler dans les condi­tions qui leur sont impo­sées et ne peuvent exer­cer leur droit de retrait.

La crise sani­taire actuelle ne doit pas permettre d’ins­tau­rer un état d’ur­gence qui restreigne encore plus nos liber­tés (traçage télé­pho­nique et surveillance numé­rique), comme ce fut le cas avec le terro­risme. Or, la loi dite « d’ur­gence pour faire face à l’épi­dé­mie » présente des dangers à cet égard en auto­ri­sant des déci­sions par ordon­nances jusqu’à la fin de l’an­née, ce qui dépasse le cadre actuel­le­ment prévi­sible de l’épi­dé­mie. Cette loi met en place des mesures « d’ex­cep­tion » qui permettent de graves régres­sions sur le droit du travail et les liber­tés indi­vi­duelles. De la même manière, la décla­ra­tion d’Edouard Philippe parlant d’ef­forts à faire après le virus laisse entre­voir ce que sera la poli­tique des mois à venir, impliquant un renfor­ce­ment de l’aus­té­rité.

L’enjeu crucial d’une alter­na­tive poli­tique

Nous avons tous à contri­buer à un autre projet de société qui permette une alter­na­tive aux poli­tiques libé­rales et produc­ti­vistes qu’Em­ma­nuel Macron n’a cessé d’ag­gra­ver. Parce que cette crise sani­taire est le reflet, à beau­coup de points de vue, de ce qui ne va pas dans ce monde. La situa­tion fait appa­raître au grand jour la néces­sité des services publics. L’ur­gence est de stop­per la dégra­da­tion enta­mée depuis des années par les divers gouver­ne­ments. Ces services sont une prio­rité, et il faudra les recons­truire. 

Cette crise doit nous conduire à réflé­chir à ce que nous produi­sons et à qui décide de ce qu’il faut produire. Les sala­rié-es licen­cié-es de Luxfer demandent par exemple, la natio­na­li­sa­tion de leur entre­prise pour reprendre la fabri­ca­tion des bouteilles d’oxy­gène médi­cales. Oui, natio­na­li­sons, sous le contrôle des sala­rié-es : il s’agi­rait d’une appro­pria­tion et d’une auto­ges­tion de biens communs, et pas d’une prise en mains par l’Etat. Il faudra aussi reva­lo­ri­ser dès la sortie de crise  toutes les personnes, le plus souvent des femmes, qui font des travaux de première néces­sité comme cais­sières, person­nels des services de nettoyage, éboueurs….

Dans l’ave­nir, contre « la loi de la renta­bi­lité » il convient que les citoyen.ne.s aient la possi­bi­lité de discu­ter et de tran­cher sur les choix écono­miques en inté­grant les enjeux écolo­giques de rupture. C’est une écono­mie respec­tueuse de la planète qu’il faut mettre en place. D’une part parce que les diverses crises sani­taires de ces dernières années ne sont pas sans rapport avec le modèle écono­mique non respec­tueux de cette nature. D’autre part parce que la situa­tion actuelle préfi­gure l’ag­gra­va­tion de la crise clima­tique qui nous attend. L’épi­dé­mie doit faire prendre conscience qu’il faut arrê­ter la course à l’abîme que nous connais­sons.

Cette crise sani­taire est mondiale. Certains proposent comme solu­tion le repli natio­nal, repli illu­soire sur des fron­tières qui ne peuvent arrê­ter ni les virus ni la dégra­da­tion clima­tique. La réponse réside dans l’uni­ver­sa­li­sa­tion des droits humains, sociaux, civiques, poli­tiques, basés sur l’éga­lité, la liberté, la démo­cra­tie active et l’auto-orga­ni­sa­tion, avec des insti­tu­tions natio­nales et inter­na­tio­nales profon­dé­ment renou­ve­lées. Cela suppose la rupture avec le système capi­ta­liste, qui sacri­fie l’in­té­rêt géné­ral à sa logique de profit. Le coro­na­vi­rus nous montre avec force que nous sommes tous et toutes deve­nus très proches sur notre planète.

Aucune orga­ni­sa­tion ne peut porter ces ques­tions seule. C’est ensemble, asso­cia­tions, syndi­cats, partis que nous pour­rons travailler à rendre possibles les solu­tions progres­sistes aux dangers qui menacent. Mettons les débats sur la table pour trou­ver des solu­tions communes. Cela fait des années que certain.e.s alertent sur les risques. Nous y sommes. Il est urgent de se rassem­bler pour agir. A cet égard, l’ap­pel des 18 orga­ni­sa­tions syndi­cales et asso­cia­tives « Pour que le jour d’après soit en rupture avec le désordre néoli­bé­ral », que nous soute­nons, peut permettre le rassem­ble­ment néces­saire « pour recons­truire ensemble un futur, écolo­gique, fémi­niste et social, en rupture avec les poli­tiques menées jusque-là et le désordre néoli­bé­ral ».

L’Equipe d’Ani­ma­tion Natio­nale d’En­semble

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