Street­press. « Les expul­sions massives mettent Mayotte à feu et à sang » 21 avril

https://www.street­press.com/sujet/1584627017-expul­sions-massives-mettent-mayotte-feu-sang-dom-tom-migrants-police-preca­rite

Par Gregoire Mérot

« À Mayotte, les expul­sions s’in­ten­si­fient, ce qui attise les tensions et mobi­lise les poli­ciers à la place d’autres missions. De nombreux jeunes sépa­rés de leurs parents expul­sés tombent dans la violence. Le reste de la popu­la­tion commence à ripos­ter.

« Y en a marre ! » hurle un jeune émeu­tier, avant de jeter de toute sa rage un pavé à l’adresse des poli­ciers qui lui font face. Il est 11h, ce lundi 9 mars au matin, quand une ving­taine de jeunes affrontent les forces de l’ordre à Doujani, un village du chef-lieu Mamoud­zou. C’est un chaos des plus banals à Mayotte qui – pendant près d’une heure de chassé-croi­sés de pierres grosses comme la main et de cartouches de lacry­mos – s’in­vite sur la route natio­nale. La seule qui mène au coeur de la capi­tale maho­raise. De part et d’autre de l’axe, les auto­mo­bi­listes s’ag­glu­tinent sous un soleil de plomb. Ils assistent, pris au piège, à un énième déchaî­ne­ment de violences contre des poli­ciers accu­lés. Mais pourquoi tant de haine ?

Plus tôt dans la mati­née, une opéra­tion de lutte contre l’im­mi­gra­tion clan­des­tine est venue cueillir l’un des leurs. Pour l’ex­pul­ser vers les Comores, comme 27.500 autres personnes en 2019. (…)

« Ils ne font que ça, venir cher­cher nos proches ou nous narguer, jamais ils sont là quand on a besoin d’eux, ils n’ont pas le droit de nous trai­ter comme ça », dénonce de son côté un jeune de Koun­gou, ville point de départ de la flam­bée de violence.

« Là on fait du 25.000 [nombre d’ex­pul­sions], à la fin de l’an­née on sera à 27.000, ce qui veut dire qu’au top de notre forme on peut faire du 30.000 [par an] », se satis­fai­sait devant poli­ciers et gendarmes la ministre des Outre-mer, Annick Girar­din, lors de sa visite fin août 2019. En octobre, rebe­lote, la sacro-sainte lutte contre l’im­mi­gra­tion clan­des­tine est de tous les discours lors de la visite d’Em­ma­nuel Macron. Pas un mot, en revanche, sur d’éven­tuels garde-fous à même d’apai­ser la frac­tu­ra­tion déjà en cours dans la société.

Au moins 5.400 enfants vivent seuls dans la plus extrême préca­rité

Cinq mois plus tard, le dépar­te­ment est une poudrière. 10 pour­cents de la popu­la­tion a été expulsé. Au cœur de ce brasier, cerné par les eaux turquoises du lagon, la jeunesse. Soit la moitié des âmes qui vivent sur l’île aux parfums. Lycées assié­gés, bus caillas­sés, barrages routiers, guerres de bandes et agres­sions en tout genre rythment désor­mais le quoti­dien de Mayotte dans une violence inouïe. Dès 12 ans, y prendre part ne fait plus peur. S’em­pa­rer d’une machette pour tuer ne fait plus peur. Chez les plus radi­caux, on retrouve systé­ma­tique­ment un même schéma fait de parents expul­sés.

À ce jour, au moins 5.400 enfants vivent seuls sans adulte réfé­rent, note l’In­see. « La moitié d’entre eux ne sont pas inscrits dans un établis­se­ment scolaire alors que 61 pour­cents ont entre 6 et 16 ans. Près de la moitié (44 pour­cents) sont de natio­na­lité française », détaille le rapport. Face à cela, l’Aide sociale à l’en­fance fait le service mini­mum comme le pointe la Chambre régio­nale des comptes. Les rares struc­tures asso­cia­tives ou judi­ciaires sont exsangues. Et dans un contexte géné­ral où « les droits de l’en­fant ne sont pas respec­tés à Mayotte », comme le martèle le Défen­seur des droits, le phéno­mène fait néces­sai­re­ment tâche d’huile auprès d’une large part de la jeunesse. Laquelle n’a plus d’autre choix que de parti­ci­per aux violences ou de les subir de plein fouet.

« C’est drama­tique parce que l’on avait jusque-là des élèves très volon­taires qui vont sombrer. Ils ne font plus confiance en personne pour les proté­ger et comme on est dans un lycée tech­nique, il y a des armes par desti­na­tion partout, ils vont ripos­ter », se désole un ensei­gnant de Dzou­mo­gné, un village du nord de l’île au lende­main d’un nouveau siège de l’éta­blis­se­ment. « Je comprends que certains jeunes sombrent dans la violence la vie est trop dure pour eux et tout le monde s’en fout. Mais ce qui est vrai­ment pas juste c’est que c’est d’abord sur tous les autres jeunes que ça retombe et personne ne fait rien. Comme si c’était de notre faute », lâche faible­ment El Amine, le bob vissé jusqu’en bas des yeux. La veille, c’est dans son lycée de Tsara­rano, au sud de Mamoud­zou, que des dizaines de jeunes ont déferlé machettes au poing et visages cagou­lés. Le 28 février, un bébé trouve la mort, asphyxié par les gaz lacry­mo­gènes lancés en grêle pour disper­ser le siège du lycée de Kahani, au centre du dépar­te­ment. L’es­ca­lade est perpé­tuelle et plonge le dépar­te­ment déjà soumis à de fortes tensions commu­nau­taires dans un spec­tacle insup­por­table. Face auquel ils sont nombreux à ne plus suppor­ter la condi­tion de spec­ta­teur.

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Un point de vue partagé par nombre de Maho­rais qui ont le senti­ment d’être complè­te­ment dépos­sé­dés de leur île et du peu qu’ils disaient y trou­ver quelques années aupa­ra­vant : une rela­tive paix sociale et l’es­poir d’une vie meilleure à travers leur atta­che­ment à la France. Un atta­che­ment que l’on ne trouve nul part ailleurs sur le terri­toire. Mais qui chaque jour de façon plus profonde se mue en un senti­ment d’aban­don, de frus­tra­tion. « On se fiche de nous, c’est insup­por­table de les voir lais­ser l’île à feu et à sang ! », s’em­porte ainsi Saïd Mouhoud­hoiri, le porte-parole du Collec­tif des citoyens de Mayotte qui a porté le grand mouve­ment contre l’in­sé­cu­rité en 2018. « Deux ans plus tard, c’est encore pire, nous avons été complè­te­ment trahis ! », s’in­surge-t-il encore, avant de promettre :

« Cette fois-ci, on ne va pas s’ar­rê­ter. Ce qu’ils ont vu il y a deux ans ce n’était rien à côté de ce qu’il va se passer. »

Sur le terrain, si le collec­tif semble avoir perdu en visi­bi­lité, la tension est cepen­dant à son comble. Et laisse ressur­gir le spectre d’une crise de grande ampleur.

Mercredi 11 mars, le préfet entouré des repré­sen­tants des prin­ci­pales insti­tu­tions de l’île a bien présenté un « plan de sortie de crise » face aux violences. Les bus scolaires seront escor­tés par les gendarmes, les établis­se­ments placés sous surveillance de la gendar­me­rie. Des points de contrôle seront instal­lés la nuit sur des axes routiers. « Ce qui nous permet­tra de faire en même temps de la lutte contre l’im­mi­gra­tion clan­des­tine », appré­cie le repré­sen­tant de l’État. Côté média­tion, des « brigades de vigi­lance citoyenne » compo­sées de 600 béné­voles auront pour lourde tâche de « retis­ser des liens avec la jeunes

À l’ex­té­rieur de l’hé­mi­cycle dépar­te­men­tal où était présenté le plan, les réac­tions ne se font pas attendre. « Mais qui voudra aller se faire casta­gner gratui­te­ment dans l’es­poir de parler à ces jeunes ? La média­tion sociale, c’est un métier, surtout dans ces condi­tions. On passe vrai­ment à côté du sujet là… », se désole une audi­trice de la confé­rence. « C’est du foutage de gueule, c’est tout ! On passe notre temps à faire des propo­si­tions mais ils ne veulent pas nous entendre, ces mesures c’est du pipeau, on nous répète toujours la même chose ! », s’em­porte quant à elle une repré­sen­tante du collec­tif des citoyens de Mayotte. « La popu­la­tion en a marre de ce mépris perma­nent, elle va se prendre en main et ça va faire mal. Il faut des solu­tions radi­cales face à ces gamins dont personne ne veut », rugit encore son cama­rade Mouhoud­hoiri Saïd. Jeunes, d’un côté, adultes de l’autre. La souf­france est profonde, son expres­sion violente. Bien­ve­nue en sous-France.

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