Cette 2ème assemblée des assemblées (ADA) a été organisée à Saint-Nazaire du 5 au 7 avril, deux mois après celle de Commercy qui avait constitué un moment important du mouvement des GJ en réunissant environ 75 délégations et autour de 300 personnes.
Saint-Nazaire est une ville importante au sein du mouvement des Gilets Jaunes, grâce notamment à l’ouverture de la maison du peuple en décembre dernier, qui est rapidement devenu un lieu d’auto-organisation, de rencontres, de préparation des mobilisations ; et donc d’accueil de cette deuxième ADA. Celle-ci a permis de faire un bilan de l’état actuel du mouvement, de poursuivre le début de coordination nationale entamé à Commercy et de constater la représentativité grandissante de l’ADA : 235 délégations étaient représentées, avec 700 à 800 personnes, même si manquaient à l’appel certaines régions (notamment Picardie et Nord-Pas de Calais) ; les régions les plus représentées étant la Bretagne, la région entre Bordeaux et les Pyrénées Orientales, la vallée du Rhône, l’Alsace-Lorraine et la région parisienne.
Malgré les nombreux bâtons dans les roues mis par la municipalité de St Nazaire, l’ADA a pu se tenir dans de relativement bonnes conditions matérielles, grâce à l’investissement des GJ de la maison du peuple de Saint-Nazaire épaulés par des militant-e-s des alentours, et notamment, en ce qui concerne la nourriture, les réseaux autour de Notre-Dame-des-Landes.
Du côté de la préparation politique, plusieurs enjeux se combinaient :
- Parvenir à faire travailler ensemble pendant 3 jours des GJ qui pour la plupart ne se connaissaient et n’ont pas nécessairement les mêmes pratiques collectives ;
- Faire en sorte que l’ADA ne soit pas seulement représentative des GJ influencés par la gauche radicale et les idées anticapitalistes et qu’elle soit plus représentative de la réalité composite des GJ que l’ADA de Commercy ;
- Faire que l’ADA ne soit pas seulement un lieu de rencontre mais puisse sortir avec des décisions les plus consensuelles possibles et retravaillées ensuite dans les AG locales ;
- Faire en sorte que ce soit l’ADA elle-même qui se fixe ses modalités de débat et de délibération
- Etre en capacité de s’adresser aux GJ présent-e-s, à ceux et celles qui ne se reconnaissent pas nécessairement encore dans l’ADA, et au-delà à tous ceux et celles qui peuvent exprimer une sympathie avec le mouvement.
Globalement, ces objectifs ont été plutôt atteints. Le texte adopté en fin d’ADA doit être portée auprès des AG locales, et le travail se poursuivra d’ici la 3ème ADA qui se tiendra en juin à Montpellier ou à Montceau-les-Mines.
Cette ADA a été marquée par un apparent paradoxe, puisque beaucoup de GJ ont fait état de la baisse d’activité, de présence sur les ronds-points ou dans les AG, mais qu’il y avait beaucoup plus de participant-e-s qu’à Commercy. Marque de la recherche d’un second souffle pour le mouvement, cette situation a été résumée par plusieurs intervenant-e-s par la formule : « on pensait faire un sprint et on est partis pour un marathon. » La tonalité des discussions dénotait cette préoccupation de s’inscrire dans la moyenne durée, quitte à relativiser des enjeux immédiats comme la démission de Macron.
Après un premier moment d’échanges d’expériences en petits groupes puis synthétisés devant tout le monde, les discussions ont alterné des moments en ateliers et en plénière, autour de plusieurs thèmes :
Six questions posées par les GJ de Saint-Nazaire :
- Définition et fonctionnement de l’ADA
- Communication interne et externe
- Actions
- Face à la répression
- Quelles suites pour le mouvement (stratégie, alliances…) ?
- Revendications
Des propositions émanant d’AG locales, ou qui se sont rajoutées au début de l’ADA, essentiellement :
- La construction de contre-pouvoirs populaires locaux, autour d’assemblées citoyennes et abordant la question des élections municipales ;
- L’Union Européenne et les élections européennes
- Un projet de charte des GJ
- Les convergences écologistes
- La création de maisons du peuple
- Le lancement d’une assemblée délibérative nationale
Une partie de ces thèmes n’a pas été suivie tout le long du week-end et n’a pas forcément donné lieu à des textes aboutis ou à des décisions. Quelques remarques non exhaustives peuvent être faites à propos des débats les plus saillants :
Sur les objectifs et le fonctionnement de l’assemblée des assemblées : réaffirmation d’un certain nombre de principes afin de construire le mouvement dans la durée et en le dotant d’outils numériques facilitant son fonctionnement ; à noter qu’au souci d’indépendance vis-à-vis des partis politiques s’est ajoutée la mention d’indépendance vis-à-vis des organisations syndicales, ce qui dénote une volonté de mise à distance des syndicats, dont il a été très peu question dans les discussions. Parmi les points restés en suspens : les mandats des Ag locales (impératifs ou non), le rythme des ADA, les moyens pour réagir au nom de l’ADA à ce qui se passe entre deux ADA (par exemple à la conclusion du grand débat national…), la proposition d’un comité de liaison entre deux ADA…
Sur la stratégie, les alliances et la suite du mouvement : le débat fut assez difficile tant se mêlaient différentes dimensions : nos perspectives à court, moyen et long terme, nos rapports avec les autres gilets jaunes, les formes d’action à préconiser, les moyens pour remobiliser…. A court terme, il s’agit de redévelopper la mobilisation par 3 semaines de préparation au plus près du terrain qui pourraient déboucher sur une semaine d’actions diverses autour du 1er mai. Sur le long terme, il a été rappelé la nécessité de plus retourner auprès des populations, de trouver de nouvelles formes d’expression et de rassemblement (éducation populaire…), de construire des réseaux et actions de solidarité. Les projets de construction de maisons du peuple, qui pourraient se coordonner en réseau, s’inscrivent dans cette perspective, après que de nombreux groupes de GJ aient vu leurs cabanes détruites. Par contre la question des alliances a été assez peu traitée, hormis sous l’angle des contacts avec d’autres luttes.
Face à la répression : un texte assez long a été adopté sans difficultés, qui appelle notamment à la journée de mobilisation pour le retrait de la loi anticasseurs le 13 avril (appel unitaire avec notamment la LDH).
Revendications : là aussi, les discussions furent compliquées quant à la façon de traiter l’ensemble des revendications portées par les groupes de GJ et la possibilité de les hiérarchiser. Si la déclaration finale de l’ADA comporte l’augmentation générale des salaires, des retraites et des minima sociaux, ainsi que des services publics pour tous et toutes, rien n’est dit sur le RIC ni la démission de Macron ; non pas que ces revendications aient disparu des préoccupations, mais, à l’image du mouvement, l’élargissement de l’arc revendicatif rend parfois difficile la possibilité de se fixer des priorités claires. Il a donc été seulement procédé à une thématisation des revendications autour des points suivants : arrêter la casse sociale et écologique ; vivre dignement avec ou sans travail ; de l’argent il y en a ; changer de système.
Sur les contre-pouvoirs locaux et les assemblées citoyennes : le débat a été impulsé par les GJ de Commercy dont la proposition initiale faisait référence notamment à la mise en place de mini-RIC locaux et appelait à prendre les communes, en articulant assemblées municipales et participation aux élections locales, et envisageait un réseau de communes libres où le peuple décide. Ce dernier point (les élections) a fait débat, et le consensus n’a pas pu dépasser la proposition d’assemblées citoyennes et populaires, même si l’option électorale pour la mise en œuvre d’un municipalisme libertaire n’est pas écartée.
Sur l’UE et les élections européennes : il a été décidé d’intervenir au moment des élections européennes, à la fois par voie de tracts, affiches, débats… et par l’organisation d’une manifestation à Bruxelles qui pourrait être co-organisée avec des réseaux belges. Pour la première fois, les Gilets Jaunes ont pu prendre une position commune sur l’UE, une critique radicale qui ne tombe pas vers un repli nationaliste, malgré les tentatives de militants de l’UPR qui ont essayé de s’imposer dans les ateliers sur le sujet. Il s’agit maintenant de faire vivre cette prise de position par des activités publiques. Par ailleurs, alors que la proposition initiale était d’appeler au boycott des élections, il a été décidé de ne pas avoir de consigne de vote.
Sur les convergences écologistes : c’est peut-être là où le principe de convergence s’est le plus exprimé, l’appel final notant que « la multiplication des luttes actuelles nous appelle à rechercher l’unité d’action ». Même si de nombreuses réticences se sont exprimées à l’encontre des marches pour le climat (sur leur manque de radicalité, la composition plutôt bourgeoise des participant-es…), cet appel signale une réelle envie de s’adresser aux luttes écologistes actuelles.
Pour conclure, l’exercice d’organisation de cette ADA était difficile, et globalement, malgré quelques couacs (sur les écritures de textes, les conditions de travail des amendements, le caractère très masculin des animateurs de l’ADA, et plus généralement la quasi-absence de préoccupations féministes au cours du week-end…), l’exercice a été réussi. On verra dans quelques jours si la légitimité de l’ADA auprès des nouveaux arrivés et des autres GJ est importante. Reste des points d’interrogations sur notre capacité collective à trouver un second souffle pour les GJ, mais nul doute que cette ADA est une étape importante en ce sens.
Un Gilet jaune présent à Saint Nazaire