Tsedek, « collec­tif juif déco­lo­nial », un courant juif anti­sio­niste.

https://blogs.media­part.fr/tsedek/blog/040524/derive-anti­se­mite-sur-les-campus-ou-malaise-sioniste-face-la-soli­da­rite

 

Dérive anti­sé­mite sur les campus ou malaise sioniste face à la soli­da­rité ?

Le soutien à la Pales­tine s’in­ten­si­fie sur les campus US et euro­péens. Ces mobi­li­sa­tions, violem­ment répri­mées, sont accu­sées de contri­buer à une « dérive anti­sé­mite ». Mais qu’en est-il réel­le­ment ?

Tsedek!

Collec­tif juif déco­lo­nial

Insé­cu­rité ou malaise ?

(…)

Étudiant·es juifs et juives mobi­li­sé·es pour la Pales­tine

Il ne s’agit pas ici de nier l’exis­tence de ce malaise juif vis-à-vis de l’an­ti­sio­nisme ou de la critique d’Is­raël, mais de le décor­tiquer et de ques­tion­ner sa centra­lité dans la répres­sion univoque menée à l’en­contre les étudiant·es mobi­li­sé·es contre le géno­cide, notam­ment dans les univer­si­tés françaises. Ce que nous obser­vons dans les univer­si­tés n’est pas une vague de violence diri­gée contre les Juifs et les Juives en tant que Juif·ves, mais un rejet crois­sant des points de vue pro-israé­liens ainsi que de la compli­cité active des pays occi­den­taux, dans le contexte du géno­cide à Gaza et compte tenu de la colo­ni­sa­tion conti­nue de la Pales­tine.

La repré­sen­ta­tion média­tique d’une suppo­sée dérive anti­sé­mite sur les campus améri­cains ou dans les univer­si­tés françaises repro­duit en boucle l’idée falla­cieuse que les univer­si­tés seraient des lieux dange­reux pour tous·tes les étudiant·es juif·ves à cause des mobi­li­sa­tions pour la Pales­tine. Mais c’est igno­rer sciem­ment la présence d’étu­diant·es juif·ves au sein de ces mobi­li­sa­tions, parti­cu­liè­re­ment forte aux États-Unis, où l’or­ga­ni­sa­tion juive anti­sio­niste Jewish Voice for Peace se tient aux côtés de l’or­ga­ni­sa­tion étudiante Students for Justice in Pales­tine. Les médias mains­tream préfèrent dépeindre deux camps oppo­sés : l’in­té­gra­lité des étudiant·es juif·ves d’un côté, et le mouve­ment pro-Pales­ti­nien de l’autre. Ce discours est non seule­ment factuel­le­ment incor­rect, mais il alimente aussi l’illu­sion d’une rupture profonde entre les Juif·ves et les mouve­ments anti­co­lo­niaux et anti­ra­cistes.

La présence d’étu­diant·es juif·ves dans ces mobi­li­sa­tions devrait être regar­dée en face. Sont-ils et elles vrai­ment des “faux Juif·ves”, des “mauvais·es Juif·ves”, des traîtres, des anti­sé­mites ? Qui peut, en bonne conscience, repro­duire ces accu­sa­tions alors que les étudiant·es juif·ves sont présent·es par centaines sur chaque campus améri­cain, qu’ils et elles prennent la parole publique­ment (notam­ment à Sciences Po) malgré le risque de repré­sailles, que le mouve­ment de Juif·ves anti­sio­nistes, dans lequel Tsedek! s’ins­crit, ne fait que prendre de l’am­pleur et devient une réelle force poli­tique en France et à l’in­ter­na­tio­nal ?

Un appa­reil média­tique au service de la réac­tion

Le débat public étant déjà saturé d’amal­games et de confu­sions (anti­sio­nisme = anti­sé­mi­tisme, critique de l’apar­theid israé­lien = mort aux Juif·ves, etc.), les repré­sen­ta­tions média­tiques domi­nantes des mobi­li­sa­tions étudiantes ne font que repro­duire aveu­glé­ment ces narra­tifs. Nous sommes donc nombreux·ses à se tour­ner vers les réseaux sociaux et les médias alter­na­tifs, où d’autres pers­pec­tives peuvent être expri­mées et enten­dues. Il suffit de prendre l’exemple de la polé­mique à Sciences Po du mois de mars et d’ob­ser­ver la façon dont cet inci­dent a été relayé dans les médias, provoquant une panique natio­nale dépour­vue d’ana­lyse critique – “anti­sé­mi­tisme à Sciences Po !” –, pour mesu­rer l’ab­sence d’un travail jour­na­lis­tique de fond auprès des étudiant·es se trou­vant des deux côtés du débat. Les étudiant·es présent·es sur place avaient pour­tant expliqué que la personne exclue de la confé­rence pro-Pales­ti­nienne l’avait été pour des raisons de harcè­le­ment et de doxxing des étudiant·es mobi­li­sés pour la Pales­tine – non pas parce qu’elle était juive. Ces voix n’ont été néan­moins enten­dues qu’a­près que la polé­mique ait explosé dans les médias et au sein du gouver­ne­ment, et ont été large­ment margi­na­li­sées dans le récit offi­ciel de l’in­ci­dent.

Grimer une colère légi­time, abîmer la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme

Mettre l’ac­cent poli­tique et média­tique sur l’in­con­fort de certain·es étudiant·es juif·ves face à ces mobi­li­sa­tions détourne l’at­ten­tion du massacre en ques­tion, et contri­bue à effa­cer les reven­di­ca­tions au cœur de ce mouve­ment : leur appel à mettre fin au géno­cide à Gaza et leur dénon­cia­tion de la compli­cité des insti­tu­tions françaises dans celui-ci. Pourquoi les étudiant·es se mobi­lisent-ils et elles ? Oui, iels accusent Israël de commettre un géno­cide à Gaza. Oui, iels s’op­posent à la colo­ni­sa­tion et à l’apar­theid. Oui, iels appellent à une Pales­tine libre, une terre où Pales­ti­nien·nes et Israé­lien·nes puissent vivre en sécu­rité et dans l’éga­lité, libé­ré·es du régime supré­ma­ciste actuel­le­ment en place.

Mais allons plus loin – pourquoi sont ils et elles en colère ? Pourquoi risquent-ils et elles la suspen­sion, l’ar­res­ta­tion par les forces de l’ordre, la violence des contre-mani­fes­tant·es ? Est-ce vrai­ment l’an­ti­sé­mi­tisme qui motive ces étudiant·es ou le rejet des étudiant·es juif·ves qui les poussent à se mettre en danger face à une répres­sion de plus en plus brutale ? Le récit domi­nant témoigne à la fois d’une pauvreté intel­lec­tuelle – le reflet fina­le­ment de la pauvreté du débat public sur ces ques­tions – mais il est aussi plus géné­ra­le­ment une expres­sion de la colo­nia­lité de l’Etat français, qui crimi­na­lise la colère de ses popu­la­tions margi­na­li­sées.

Les appels à la déco­lo­ni­sa­tion de la Pales­tine se heurtent à l’éco­sys­tème d’une France qui peine à recon­naître sa propre colo­nia­lité, comme nous le rappelle Elie Duprey, mili­tant Tsedek!, dans un article pour Contre­temps. La colère qui se mani­feste sur les campus témoigne du rejet des struc­tures colo­niales et impé­ria­listes qui ont permis le géno­cide à Gaza. La grimer en expres­sion anti­sé­mite est non seule­ment une grave insulte à sa légi­ti­mité, mais cela salit égale­ment la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme en le détour­nant de ses mani­fes­ta­tions réelles.

Cons­truc­tion d’une “dérive anti­sé­mite” pour muse­ler les soulè­ve­ments anti-colo­niaux

Face au soulè­ve­ment popu­laire anti-colo­nial et anti-impé­ria­liste qui émerge en réac­tion au géno­cide à Gaza, l’État français tremble. Il sait qu’il est visé. En préten­dant vouloir assu­rer la sécu­rité des étudiant·es juif·ves, il cherche en réalité à préser­ver la légi­ti­mité de son soutien à l’État d’Is­raël tout comme son masque huma­niste, un masque qui couvre son refus de regar­der en face sa propre colo­nia­lité. Une fois de plus, il se sert des Juif·ves pour crimi­na­li­ser le mouve­ment contes­ta­taire ; la “dérive anti­sé­mite” est ainsi deve­nue le symbole d’une France attaquée par celles et ceux qui ne s’ins­cri­raient pas dans le nouvel arc Répu­bli­cain de cette nation “judéo-chré­tienne”, notam­ment la gauche et les popu­la­tions issues de l’im­mi­gra­tion post-colo­niale.

Les univer­si­tés, elles aussi, font le choix de la répres­sion. Ce faisant, elles mettent physique­ment en danger les étudiant·es parti­ci­pant aux mobi­li­sa­tions de soli­da­rité avec la Pales­tine. Face au malaise, elles répondent par l’in­sé­cu­rité.

Debo­rah Leter

[1] La rédac­trice en chef de Jewish Currents, Arielle Angel, le jour­na­liste Peter Beinart, la rédac­trice en chef adjointe Mari Cohen et l’édi­teur Daniel May.

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