C’est une tribune libre que je publie, j’en prends la responsabilité en tant qu’antifasciste conséquent. Alors que les fascismes divers prospèrent et tiennent de plus en plus la rue.
PB, 18–9–2021
« Ça suffit les conneries ! On va où maintenant ?
Depuis plusieurs mois, d’importantes manifestations ont lieu contre le pass sanitaire, dans un contexte de discrédit total du gouvernement, suite à sa gestion catastrophique de la pandémie. Le gouvernement, depuis le début de la pandémie, a dit tout et son contraire pour justifier ses carences logistiques, la continuité d’une politique de casse de l’hôpital public, et sa navigation à vue dans le but de défendre les intérêts de la bourgeoisie. Parallèlement, depuis le début de la pandémie, des courants racistes et antisémites profitent du désarroi et de la confusion produit par le choc pandémique pour diffuser leurs thèses, comme nous l’avions écrit dans un précédent texte (1).
Le racisme antiasiatique, l’antisémitisme, la rromophobie, ou encore l’islamophobie et le racisme anti-arabe ont tour à tour été mobilisés : on a vu par exemple un Didier Raoult imputer aux « mariages maghrebins, juifs et rroms » le rebond pandémique, qu’il lui a bien fallu reconnaître après avoir nié la gravité de l’épidémie et prétendu qu’il s’agissait d’une « grippe saisonnière ».Le discours antisémite a puisé dans le mythe séculaire des « empoisonneurs de puits », réactivé articulé à un discours anti-scientifique et nationaliste. Ces discours ne s’embarrassent pas de cohérence : ils peuvent passer de la minimisation de la pandémie au mythe d’un prétendu « projet génocidaire » ou de « grand Reset » en quelques jours ou en quelques mois. De l’affirmation que le virus aurait été créé « par des scientifiques juifs » au fait que celui-ci ne serait pas réellement dangereux, et que la pandémie ne serait qu’une construction médiatique visant à faire peur. L’essentiel de ces discours est en effet ailleurs que dans la question pandémique ou scientifique : il s’agit de réhabiliter une lecture raciste du monde. Parmi les courants politiques à la manœuvre, on retrouve notamment l’intégralité du spectre politique néofasciste, des identitaires à Philippot en passant par le RN. Ceux-ci s’inscrivent dans une tendance internationale des groupes néofascistes qui cherchent à surfer sur la pandémie pour mettre en avant leur projet politique, et qui s’inscrivent dans une longue tradition de refus de la rationalité scientifique, d’opposition à la vaccination souvent ancrée dans un « darwinisme social » qui se base sur l’idée que l’évolution des espèces passerait par « l’éradication des plus faibles », la « sélection naturelle ». Un tel projet présente la mort de nos anciens, des personnes portant des pathologies comme inéluctable, voire souhaitable, en tout cas peu de choses. Les plus de 110000 morts du COVID sont ainsi ravalés au rang de « détail ».
Concernant la vaccination, nous considérons quant à nous que dans le cadre d’une pandémie meurtrière, la protection de l’ensemble de la population doit être la priorité et nous trouvons regrettable de voir des groupes ou des personnalités se réclamant comme progressiste refuser de prendre position au sujet de la vaccination (comme le nouveau président de la collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville) ou adopter ouvertement un discours anti-vaccin (comme le sociologue Laurent Mucchielli). Quant à celles et ceux qui voient dans le refus de la vaccination un acte anticapitaliste ou anticolonial, nous nous devons de rappeler que les classes dirigeantes, elles, se vaccinent, et que la course aux profits a plutôt pour effet de limiter l’accès à la vaccination à l’échelle mondiale et hors des métropoles impérialistes, plutôt que de la favoriser.
Actuellement, la meilleure piste pour sortir de la pandémie et protéger les populations est la vaccination massive, ce qui implique la levée des brevets et un financement international des campagnes mondiales de vaccination.
Loin de cette perspective, l’annonce du pass sanitaire par le gouvernement a permis à celui-ci de faire oublier ses carences dans la mise en place de l’accès à la vaccination (ouverture très tardive à de nombreuses catégories de la population, manque de dose, d’accessibilité), mais aussi d’évacuer tout débat autour de la réquisition des industries pharmaceutiques, de la nécessaire levée des brevets en présentant les lenteurs de la progression de la couverture vaccinale comme tenant principalement à la responsabilité des individus et non à la responsabilité des pouvoirs publics. Or si indéniablement certains courants politiques ont mené une violente campagne contre la vaccination, la réalité est plus triviale : l’ouverture de l’accès à l’ensemble de la population s’est faite très tard ; beaucoup de personnes ont eu, du fait de leurs conditions de vie, des difficultés pour prendre rendez vous ; le gouvernement et le patronat ont refusé de rassurer en accordant journées de congé vaccinal et prise en charge financières d’éventuels effets secondaires, qui bien que rares, existent comme pour toute médication.
Cette politique a suscité un important mouvement social contre le pass sanitaire, en particulier le samedi. Les néofascistes qui mènent campagne depuis le début de la pandémie y ont trouvé un débouché naturel à leur campagne d’agitation politique, n’hésitant pas à se présenter frauduleusement comme « défenseurs des libertés » alors qu’ils rêvent de dictature nationaliste. Ils ont pu profiter pour développer leurs thèmes d’un certain nombre d’erreurs politiques commises par le mouvement progressiste, une partie du mouvement ouvrier, du mouvement révolutionnaire et ou de « la gauche » depuis de nombreuses années, qui leur ont ouvert des portes d’entrées aux paroles et en actes. Bien entendu, une large part des participants à ces manifestations ne se définit pas comme fasciste. On peut y retrouver des personnes qui pensent sincèrement se mobiliser ainsi contre le « pass sanitaire » ou la politique du gouvernement, s’inquiètent pour l’effet d’une telle politique sur les libertés publiques, le code du travail. Mais la caractéristique majoritaire de ces manifestations est le refus de l’antifascisme, l’idée qu’un « front uni » serait possible avec des fascistes dans l’opposition au gouvernement, que la dénonciation de l’antisémitisme, du racisme représenterait une stratégie de « diversion » voire un moyen de « faire taire » plutôt qu’une nécessité. Les communications contradictoires, méprisantes, infantilisantes, mensongères et autoritaires du gouvernement ont logiquement poussé un grand nombre de personnes à se brancher sur des canaux d’informations se présentant comme « alternatifs », RéinfoCovid en tête de liste. L’enquête de La Horde (2) montre bien comment l’extrême droite à réussi à orienter les personnes en quête de réponse à des questions et inquiétudes légitimes vers les pires théories complotistes : celles qui désignent les juifs comme responsables et bénéficiaire de la pandémie. L’accusation des juifs empoisonneurs de chrétiens a occasionné des centaines de pogroms en Europe, en Asie et en Afrique durant les 7 siècles derniers, notamment pendant l’épidémie de choléra du XIIIe . Cette théorie antisémite ressurgit naturellement puisqu’elle a été entretenue tout au long du XXe et du récent XXIe (lire l’article de lignes de Crête « antisémitisme sanitaire » (3). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les pancartes « NonAuGénocideGoy » ou « NonAuGénocideDesGentils », les Goyims (mot hébreu voulant dire « Non Juifs » souvent traduit par « Gentil ») seraient les victimes d’un complot – Juif, on l’aura bien compris. Un autre aspect de la stratégie des antisémites a été de multiplier les références à la Shoah, dans une stratégie de banalisation du génocide. Malheureusement, de telles références, parallèles et comparaisons qui représentent une forme de révisionisme à bas bruit » ne sont pas une nouveautés, y compris à gauche. D’autres slogans, à l’antisémitisme encore plus cryptique, sont brandis par des manifestant.es contre le pass sanitaire comme « Qui ? » en référence à l’interview du général putschiste Delawarde et désignant les juifs comme les responsables de la pandémie et de la crise sociale. La dénonciation d’« Apartheid Sanitaire » popularisée par Florian Philippot induit l’idée qu’une minorité ethnique dominerait la majorité, et vise également à banaliser l’oppression négrophobe. Cette soit-disante « minorité aux commandes » est désignée par un ensemble d’adjectifs qui ont tous une histoire en lien avec l’antisémitisme. « Elites mondialisées », « liberaux financiers », « mondialistes débridés », sont synonymes dans la bouche du meneur des Patriotes, ils veulent tous dire « Juifs ». De tels termes ont pourtant été popularisés largement en dehors de l’extrême droite, et notamment à gauche ou au sein du mouvement ouvrier : Les références à la classe ouvrière, à la bourgeoisie, à la dictature du capital, aux rapports sociaux de production, aux patrons et aux actionnaires ont été remplacées dans de nombreux discours progressistes par des termes vagues comme « la finance », « les élites », « le peuple » et ces mots ont représenté autant de porte d’entrée permettant de glisser subtilement d’une vision matérialiste des rapports sociaux vers une vision raciste, de la « lutte des classes » vers la « lutte des races » comme incarnation d’un pseudo « anticapitalisme » ciblant les juifs et les juives en lieu et place de la bourgeoisie.
Cette rhétorique piégée se retrouve également dans la devise volontairement ambigu du même mouvement « Libérez la France ! » qui sera compris par « libérez nous du QRcode » pour les plus naïfs. Un coup d’œil sur le programme politique sur le site du parti Les Patriotes qui réclame Frexit, fermeture des frontières, sortie de l’UE et il devient clair qu’il s’agit d’un slogan xénophobe. Il faut aussi relever tout le cynisme des pancartes « liberté de circulation » au sein des nostalgique de Pétain comme Civitas, l’Action Française ou de Génération Identitaire qui luttent pour un monde fermé aux migrants. « La France aux Français » est d’ailleurs un slogan qui ne laisse plus aucun doute quant au message scandé par les partisans réunis au Trocadéro. Si la présence massive des ultranationalistes est avérée et documentée, on ne peut évidemment réduire les manifestations antipass sanitaire à la seule présence de l’extrême droite organisée. Celle-ci marque simplement de son empreinte idéologique le mouvement en y exerçant une forme d’hégémonie culturelle, en y diffusant ses thèmes, et surtout, en voyant son intervention légitimée par le refus de l’antifascisme perçu comme un vecteur de division et non comme ce qu’il est, un sein réflexe d’autodéfense de classe envers le poison mortel du racisme. Dans certaines villes comme à Nantes, Besançon, etc. des militant.es locaux des gauches font le choix d’occuper la rue avec l’idée que prendre la tête de ces manifestations permettrait d ‘éviter que les néofascistes aient la possibilité de se structurer (comme à Lyon où génération identitaire ouvre un local de 180m2). Néanmoins, les cortèges observés – en dehors de ceux qui défilent derrière Philippot ou Asselineau, plus ouvertement sur des dynamiques explicitement nationalistes – relèvent plus du confusionnisme que d’un mouvement social d’émancipation collective. En effet, on peut observer quelques drapeaux syndicaux ou slogans antiracistes/antifascistes perdus dans des océans de panneaux « Liberté ! », « non au paSS nazitaire », « Oui a la vie », « non aux injonctions expérimentales » etc. On voit également fleurir nombre de revendications d’intervention de l’armée et de la police dans la veine putschiste des tribunes parues dans Valeurs Actuelles.
En réalité, les profils des manifestant.es sont très divers et dur à faire coller à un camp politique précis. On voit des personnes défiler contre le vaccin, son obligation et/ou les restrictions sanitaires en général. On voit les milieux de la « médecine » alternative, des collapsologistes catastrophistes, des gilets jaunes fans des figures les plus complotistes et antisémites comme Fly Rider ou de la bande à Hold Up venus contester la politique de Macron ou encore les adhérents aux critiques complotistes (pas nécessairement antisémites) des médias et des lobbys pharmaceutiques, ceux qui « critiquent la science » ou encore ceux qui pensent que la Covid-19 n’est pas véritablement dangereuse. Cette accumulation de profils et de mots d’ordre disparates rend ce (non) mouvement difficile à récupérer.
Et la capacité à orienter un mouvement vers un sens progressiste ne se résume certainement pas à en « prendre la tête » ni même à la seule expulsion physique des militants fascistes les plus visibles et organisés. L’orientation « sociale » d’un mouvement n’a jamais été en soit une garantie pour un mouvement d’échapper à l’influence culturelle de l’extrême droite, devenue massive. La spécificité d’un néofascisme dur à définir est précisément dans l’articulation entre discours « social » et nationalisme. C’est l’ancrage dans l’affrontement de classe avec le patronat qui représente la meilleure immunité contre cette influence culturelle néofasciste. C’est ce qui explique aussi que les appels de Philippot à manifester « contre la réforme des retraites » n’ont pas pris car sa base interclassiste refuse précisément de situer son combat sur un terrain qui conduirait à un affrontement avec les patrons et les actionnaires. Il y a bien évidemment une nécessité fondamentale à « ne pas laisser la rue aux fascistes » et à occuper le terrain de la lutte sociale. Mais « ne pas laisser la rue aux fascistes » ne peut consister en « courir après les fascistes » ou minimiser leur influence, mais au contraire à construire nos propres mobilisations contre le patronat et le gouvernement sur des bases de classe, et sur un discours et une stratégie claire qui ne soit pas une autoroute aux multiples portes d’entrée pour le projet fasciste. Ne pas laisser la rue aux fascistes, c’est aussi avoir le courage de mener la lutte contre l’antisémitisme qui s’exprime y compris au sein du mouvement social, y compris à gauche.
À chaque fois que notre camp social a su rompre avec la confusion, construit un front unique contre le racisme, le patronat et le gouvernement, il a ouvert des possibilités d’émancipation qui ont marqué l’histoire. Inverser la tendance ne se fera pas en mettant les questions qui fâchent sous le tapis, en renonçant à l’antifascisme ou à la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme, mais bien au contraire en nous regroupant pour mener la lutte politique et sociale sur nos propres bases, en veillant à ce que nos paroles comme nos actes ne laissent aucune prise à la propagande antisémite et fascistes. Alors, ça suffit les conneries. Regroupons nous, organisons nous, construisons un front uni antiraciste !
JJR appelle à participer au rassemblement contre l’antisémitisme et tous les racismes organisé par le RAAR ce dimanche 19 septembre 2021 à Paris, Métro Hotel de Ville, Place Baudoyer devant la Mairie du 4ème arrdt