5 décembre 2025

Agence Media Pales­tine. Mahmoud Mustaha. « Gaza doit déci­der de son propre avenir poli­tique, avant que le monde ne le fasse à notre place »

Mahmoud Mustaha
Source : +972 Maga­zine
Traduc­tion : JB pour l’Agence Média Pales­tine
https://agen­ce­me­dia­pa­les­tine.fr/blog/2025/10/17/gaza-doit-deci­der-de-son-propre-avenir-poli­tique-avant-que-le-monde-ne-le-fasse-a-notre-place/

Gaza doit déci­der de son propre avenir poli­tique, avant que le monde ne le fasse à notre place

L’Agence Média Pales­tine propose une traduc­tion de cette analyse de Mahmoud Mustaha, jour­na­liste et mili­tant des droits humains origi­naire de Gaza.

Nous ne pouvons pas répé­ter la lente agonie d’Oslo ni rempla­cer le Hamas par une autre faction déta­chée, nous devons plutôt repen­ser les fonde­ments de notre culture poli­tique.

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Lundi, les diri­geants mondiaux se sont réunis à Charm el-Cheikh pour promou­voir ce qu’ils ont décrit comme une nouvelle « voie vers la paix » à Gaza. Le sommet avait pour objec­tif offi­ciel de conso­li­der les phases du cessez-le-feu et d’esquis­ser un plan de gouver­nance et de recons­truc­tion à long terme pour la bande de Gaza. Pour­tant, il s’est soldé par une feuille de route ambi­guë et un avenir incer­tain pour les Pales­ti­niens qui, comme d’ha­bi­tude, ont été tota­le­ment exclus des discus­sions.

Aucun repré­sen­tant de Gaza n’était présent à ces réunions, et il n’y a eu aucune consul­ta­tion publique ni aucune trans­pa­rence sur les sujets abor­dés. Pour les habi­tants de Gaza, les infor­ma­tions ne leur parve­naient que par bribes, filtrées par les médias étran­gers et les spécu­la­tions, les lais­sant dans l’in­cer­ti­tude quant aux accords poli­tiques conclus en leur nom.

À la tête de ces discus­sions se trouvent les États-Unis, qui conti­nuent de refu­ser de recon­naître la Pales­tine comme un État, tout en reje­tant la repré­sen­ta­tion de l’Au­to­rité pales­ti­nienne à l’ONU. Les diplo­mates étran­gers parlent des pers­pec­tives d’ave­nir de mon pays comme s’il s’agis­sait d’un problème tech­nique à gérer, et négo­cient un « avenir » pour Gaza sans recon­naître son exis­tence poli­tique ni le droit de son peuple à être repré­senté.

Pendant ce temps, le système poli­tique de Gaza s’est effon­dré. Les hauts diri­geants du Hamas ont été tués, arrê­tés ou isolés, l’Au­to­rité pales­ti­nienne reste absente et il n’existe aucun orga­nisme crédible pour repré­sen­ter plus de 2 millions de civils dépla­cés. À l’in­té­rieur de la bande de Gaza, des affron­te­ments ont éclaté entre le Hamas et des milices pales­ti­niennes rivales, les confron­ta­tions armées et les exécu­tions publiques semant la terreur parmi les civils. Ces scènes ont suscité de vives inquié­tudes quant à une nouvelle vague de violence interne qui pour­rait infli­ger encore plus de souf­frances à une popu­la­tion déjà brisée.

Ce qui s’est déroulé à Charm el-Cheikh n’était pas une tenta­tive d’ap­por­ter un réel chan­ge­ment pour les Pales­ti­niens, mais plutôt un nouvel acte de choré­gra­phie régio­nale – une vision du Moyen-Orient construite autour des inté­rêts israé­liens et améri­cains, et non des droits des Pales­ti­niens.

D’après ce que nous savons à ce jour, le plan du président améri­cain Donald Trump pour Gaza, qu’il présente comme un plan qui mènera à une « paix forte, durable et éter­nelle », permet­tra à Israël de conser­ver le contrôle des fron­tières, de l’es­pace aérien et des flux d’aide de la bande de Gaza, les acteurs inter­na­tio­naux qui ont armé et financé son offen­sive géno­ci­daire agis­sant désor­mais en tant que média­teurs et contrô­leurs du respect des accords.

Ce plan ne mentionne nulle­ment la fin du siège ou le déman­tè­le­ment de l’oc­cu­pa­tion, mais cherche plutôt à saper l’au­to­no­mie pales­ti­nienne en impo­sant une surveillance et une gouver­nance externes. Il imagine une Gaza paci­fiée, suffi­sam­ment soumise pour ne repré­sen­ter aucune menace pour Israël, mais toujours privée du pouvoir de proté­ger ou de recons­truire la vie pales­ti­nienne.

Les médias saluent l’ac­cord de cessez-le-feu et le plan pour Gaza comme une « avan­cée majeure ». Les diplo­mates parlent de mesures visant à instau­rer la confiance. Les respon­sables à Washing­ton, au Caire et à Doha s’ex­priment comme si le ciel dégagé était la preuve d’un progrès. Mais pour les Gazaouis, il ne s’agit que d’une pause fragile au milieu de la mort et de la dévas­ta­tion, un moment pour fouiller les décombres, recher­cher d’éven­tuels survi­vants et comp­ter les morts.

Effa­cer l’ac­tion poli­tique de Gaza
Depuis des décen­nies, les cessez-le-feu et les soi-disant plans de paix à Gaza sont utili­sés comme des instru­ments de contrôle, visant à désa­mor­cer plutôt qu’à affron­ter les causes du conflit : le siège, le dépla­ce­ment et l’oc­cu­pa­tion. Cette dernière version n’est pas diffé­rente.

À ce stade, deux scéna­rios poten­tiels sont discrè­te­ment esquis­sés. Le premier prévoit qu’a­près la fin de l’échange actuel de prison­niers, une deuxième phase obli­ge­rait le Hamas à rendre ses armes et à dissoudre ses struc­tures gouver­ne­men­tales.

Au cœur de cette version se trouve une propo­si­tion qui circule depuis long­temps dans les capi­tales occi­den­tales et arabes : déployer une force inter­na­tio­nale de stabi­li­sa­tion (ISF) pour super­vi­ser la « tran­si­tion d’après-guerre » à Gaza. Le plan prévoit la mise en place d’un comité pales­ti­nien tech­no­cra­tique tempo­raire chargé d’ad­mi­nis­trer les affaires courantes sous la super­vi­sion d’un conseil inter­na­tio­nal, auquel parti­ci­pe­raient Trump lui-même et l’an­cien Premier ministre britan­nique Tony Blair, avant de trans­fé­rer fina­le­ment le pouvoir à une Auto­rité pales­ti­nienne « réfor­mée ».

Cet arran­ge­ment fait écho à des modèles fami­liers dans lesquels la super­vi­sion externe a remplacé la souve­rai­neté véri­table, notam­ment dans le sud du Liban sous l’égide de la FINUL et en Cisjor­da­nie dans le cadre de la coor­di­na­tion sécu­ri­taire entre l’Au­to­rité pales­ti­nienne et Israël sous l’égide des États-Unis, des cadres qui ont depuis long­temps prouvé leur échec.

Dans cette version du futur, Gaza serait recons­truite juste assez pour que sa popu­la­tion oublie la ques­tion de la libé­ra­tion. Au fil du temps, les Gazaouis seraient encou­ra­gés à troquer leur liberté contre de l’élec­tri­cité, leur dignité contre des permis et leur souve­rai­neté contre l’illu­sion de la stabi­lité. L’objec­tif n’est pas seule­ment de répri­mer la résis­tance, mais aussi de faire oublier aux gens pourquoi elle exis­tait au départ.

Le deuxième scéna­rio se dérou­le­rait si le Hamas refu­sait de rendre ses armes après avoir libéré les otages israé­liens. Dans ce cas, Israël main­tien­drait son contrôle sur plus de la moitié de la bande de Gaza et préten­drait que le Hamas viole l’ac­cord afin de justi­fier de nouvelles attaques, des incur­sions ciblées et la destruc­tion conti­nue des infra­struc­tures civiles.

Ces deux scéna­rios, de manière diffé­rente, visent à effa­cer l’ac­tion poli­tique de Gaza : l’un par la paci­fi­ca­tion et l’amné­sie induite, l’autre par l’usure et le siège indé­fini. Au final, aucun des deux ne modi­fie­rait l’archi­tec­ture du contrôle israé­lien qui défi­nit Gaza depuis près de deux décen­nies, où Israël reste libre de cali­brer le niveau de pres­sion — assou­plis­sant le blocus lorsque la pres­sion inter­na­tio­nale s’in­ten­si­fie, le resser­rant à nouveau dès que Gaza ose affir­mer son auto­no­mie.

Et si le projet d’ac­cord dont on dispose ressemble moins à un accord de paix qu’à un plan visant à main­te­nir l’as­ser­vis­se­ment et la frag­men­ta­tion, le plus alar­mant est ce que nous igno­rons encore. Des infor­ma­tions suggèrent l’exis­tence d’an­nexes secrètes à l’ac­cord, et la taille et la compo­si­tion de la force inter­na­tio­nale propo­sée, la durée de son mandat et l’éten­due de la parti­ci­pa­tion améri­caine restent floues.

Ce secret n’est pas fortuit. En gardant secrets tous les détails de l’ac­cord, les négo­cia­teurs privent les Pales­ti­niens de la possi­bi­lité de façon­ner, d’in­fluen­cer ou même de comprendre les condi­tions qui régi­ront leur vie.

La néces­sité de repen­ser la stra­té­gie
Main­te­nant que les contours du cessez-le-feu, aussi flous soient-ils, commencent à se dessi­ner et que la ques­tion de savoir qui gouver­nera Gaza rede­vient d’ac­tua­lité, les Pales­ti­niens doivent prendre leurs respon­sa­bi­li­tés, non pas pour ce qui nous a été fait, mais pour la manière dont nous allons tracer la voie vers la dignité et la souve­rai­neté. La ques­tion la plus urgente est de savoir qui défi­nira l’orien­ta­tion de notre mouve­ment natio­nal.

Pendant des décen­nies, nous avons vécu dans des cadres conçus par d’autres : les accords d’Oslo, le blocus, le cycle sans fin des guerres, des cessez-le-feu et de la recons­truc­tion. Si nous voulons que ce moment ait une signi­fi­ca­tion qui dépasse la simple survie, nous devons commen­cer par une réflexion sur nous-mêmes. Nous ne pouvons pas limi­ter notre indi­gna­tion aux puis­sances étran­gères tout en restant silen­cieux sur nos propres échecs en matière de vision et de leader­ship.

Le point de départ est la légi­ti­mité popu­laire, que ni le Hamas ni l’Au­to­rité pales­ti­nienne ne peuvent reven­diquer sans une réforme signi­fi­ca­tive. Le Hamas dirige Gaza depuis 18 ans : assez pour affir­mer son contrôle absolu, mais pas pour faire avan­cer la cause de la libé­ra­tion. Lorsqu’il a remporté les élec­tions de 2006 avant de prendre le contrôle de la bande de Gaza, il l’a fait en se basant sur l’ar­gu­ment crédible que la diplo­ma­tie avait échoué et que la résis­tance, aussi coûteuse soit-elle, était le seul langage qu’Is­raël compre­nait.

Le mouve­ment a cher­ché à dissua­der Israël par la confron­ta­tion et la rési­lience, convaincu que cette voie l’obli­ge­rait à faire des conces­sions. Mais cette stra­té­gie était vouée à l’échec. Sans diplo­ma­tie paral­lèle ni vision natio­nale unifiée, le mouve­ment n’a pas pu briser le siège israé­lien et n’a fait qu’ag­gra­ver l’iso­le­ment de Gaza. Au fil du temps, la défiance du Hamas est deve­nue statique, inca­pable de rempor­ter la victoire, mais impos­sible à vaincre, et a progres­si­ve­ment éloi­gné le groupe du public qu’il préten­dait défendre.

Pendant près de trois décen­nies, l’Au­to­rité pales­ti­nienne a entre­tenu l’illu­sion d’une auto­no­mie en Cisjor­da­nie, acca­blée par l’ad­mi­nis­tra­tion civile tout en se pliant aux exigences de l’oc­cu­pant en matière de sécu­rité. Elle n’a aucun contrôle sur les fron­tières, les ressources, la mobi­lité, ni même ses propres recettes fiscales, et ne peut proté­ger aucun village contre les colons. Aux yeux du monde, elle reste le « repré­sen­tant légi­time » du peuple pales­ti­nien, mais cette légi­ti­mité est main­te­nue par les mêmes struc­tures inter­na­tio­nales qui soutiennent l’oc­cu­pa­tion.

Il est essen­tiel de noter qu’au­cun diri­geant pales­ti­nien, ni du Hamas ni de l’Au­to­rité pales­ti­nienne, n’a parlé au public avec honnê­teté ou clarté de ce qui est négo­cié en notre nom. Ce silence révèle une crise plus profonde – le manque de trans­pa­rence et de respon­sa­bi­lité – qui mine la poli­tique pales­ti­nienne depuis bien plus long­temps que le chapitre actuel.

La société civile, les syndi­cats, les asso­cia­tions profes­sion­nelles, les groupes étudiants et les conseils locaux : voilà les groupes qui devraient consti­tuer la base de notre renou­veau poli­tique. Bien qu’im­par­faits, ils restent les seuls vestiges d’au­to­no­mie qui aient survécu à des décen­nies d’oc­cu­pa­tion et de contrôle par les factions.

La résis­tance doit égale­ment être redé­fi­nie. Lorsque la lutte armée n’ap­porte que la dévas­ta­tion aux personnes qu’elle cherche à défendre, elle finit par servir l’oc­cu­pant plutôt que de le défier.

Bien sûr, aucun peuple ne peut vivre indé­fi­ni­ment sous l’op­pres­sion sans ripos­ter. L’his­toire montre que lorsque Israël augmente la pres­sion sur les Pales­ti­niens, par le siège, la spolia­tion des terres ou la violence pure et simple, cela provoque inévi­ta­ble­ment une réac­tion. Mais si le droit de résis­ter à l’oc­cu­pa­tion est inalié­nable, sa forme doit évoluer avec la réalité.

Une résis­tance effi­cace doit être multi­di­men­sion­nelle : poli­tique, écono­mique, juri­dique et cultu­relle. Elle doit éroder l’oc­cu­pa­tion non seule­ment par la confron­ta­tion armée, mais aussi par la pres­sion et la délé­gi­ti­ma­tion. Après tout, Israël est une exten­sion de la puis­sance occi­den­tale et sa survie dépend du patro­nage occi­den­tal, c’est pourquoi les menaces d’embargo sur les armes, de boycott cultu­rel et de sanc­tions sont si effi­caces.

Il ne s’agit pas ici d’ap­pe­ler à aban­don­ner la lutte armée, mais de lui donner un sens. La résis­tance doit servir une vision poli­tique, et non persis­ter comme un réflexe. La violence sans stra­té­gie renforce la préten­tion de l’oc­cu­pant à la « légi­time défense » et sape la nôtre ; son pouvoir perdure en trans­for­mant sa « sécu­rité » en notre soumis­sion. Cette illu­sion ne se brise que lorsque les actions pales­ti­niennes, armées ou non, sont unies par un objec­tif poli­tique unique, respon­sable devant le peuple qui subit de plein fouet la violence géno­ci­daire d’Is­raël.

Ce qui est néces­saire aujourd’­hui
En tant que Gazaouis, nous avons payé un prix inima­gi­na­ble­ment lourd pour les attaques du 7 octobre, et nous conti­nue­rons à le faire dans un avenir prévi­sible. Si le Hamas ne peut être déchargé de sa respon­sa­bi­lité dans notre situa­tion diffi­cile, ce qui est arrivé à Gaza n’est pas la consé­quence des actions d’un seul groupe, mais l’abou­tis­se­ment de décen­nies de siège, d’oc­cu­pa­tion et d’échec poli­tique plus géné­ral.

Même avant le 7 octobre, la vie normale à Gaza était une illu­sion repo­sant sur des auto­ri­sa­tions. Israël déci­dait de ce qui pouvait entrer et sortir : carbu­rant, médi­ca­ments, béton, voire livres. Le siège était autant psycho­lo­gique que physique : un moyen de réduire ce que les gens pouvaient envi­sa­ger. Si nous avons appris à vivre dans cette pénu­rie, à profi­ter de chaque accal­mie dans les bombar­de­ments pour recons­truire, je refuse de trans­mettre ce cycle de trau­ma­tismes à la géné­ra­tion suivante.

Lorsque j’écris à ma famille et à mes amis qui sont toujours à Gaza, il s’écoule souvent plusieurs jours de silence avant que je reçoive un court message : « Nous avons encore démé­nagé » ou « Il n’y a plus d’en­droit où loger ». Rien de plus. Ces frag­ments sont la réalité qui se cache derrière chaque décla­ra­tion poli­tique actuel­le­ment débat­tue. Ils me rappellent que l’in­ca­pa­cité de nos diri­geants à s’adap­ter et à s’unir n’est pas abstraite : elle déter­mine qui mange, qui a un toit et qui survit.

Si deux années de géno­cide nous ont appris quelque chose, c’est que le mouve­ment natio­nal pales­ti­nien ne peut plus se permettre d’agir à coups de slogans ou en s’ac­cro­chant à des visions poli­tiques dépas­sées. Si nous voulons vrai­ment la libé­ra­tion, nous ne pouvons pas répé­ter la lente agonie d’Oslo ou rempla­cer le Hamas par une autre faction décon­nec­tée du peuple.

Ce qu’il faut main­te­nant, c’est repen­ser les fonde­ments mêmes de notre culture poli­tique et construire de nouvelles formes d’or­ga­ni­sa­tion poli­tique capables de survivre au déses­poir. Israël n’a pas réussi à effa­cer le peuple pales­ti­nien, mais en détrui­sant Gaza, il a mis en évidence la faillite de tous les systèmes qui préten­daient nous gouver­ner.

Mahmoud Mustaha
Source : +972 Maga­zine
Traduc­tion : JB pour l’Agence Média Pales­tine
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