Point de vue inter­na­tio­na­liste: Univer­sité d’été des mouve­ments sociaux (ATTAC); un bilan promet­teur

Un succès à médi­ter par Daniel Rallet et Julien Rivoire.

L’uni­ver­sité euro­péenne des mouve­ments sociaux orga­ni­sée par le réseau des Attac d’Eu­rope à Toulouse du 23 au 27 août a été un succès qui dit quelque chose de la situa­tion actuelle. Alors qu’au mois de juin Attac était en plein doute sur l’écho que rencon­tre­rait cette univer­sité euro­péenne, celle-ci a rassem­blé plus de 2 000 personnes, soit davan­tage que la précé­dente réunie à Paris en 2014.
Orga­ni­sée dans le cadre rénové de l’uni­ver­sité Jean-Jaurés, mani­fes­tant une dyna­mique qui a réjoui les parti­ci­pants, elle est le révé­la­teur d’un besoin de réflexions communes sur le cadre euro­péen de nos mobi­li­sa­tions, sur l’état des lieux des mouve­ments sociaux et sur les pers­pec­tives d’ac­tion.
Les salles étaient à chaque fois combles, très atten­tives. L’uni­ver­sité d’été a égale­ment été l’oc­ca­sion de renouer avec les tradi­tions de l’édu­ca­tion popu­laire en propo­sant des forma­tions pratiques, des prépa­ra­tions d’ac­tions de déso­béis­sance civile et autres confé­rences gesti­cu­lées.
Certes, cette univer­sité n’a pas rencon­tré l’écho média­tique de celle orga­ni­sée à Marseille par France Insou­mise, mais celle-ci orga­ni­sée simul­ta­né­ment n’a pas privé d’es­pace celle d’At­tac : du point de vue des cercles mili­tants elle a répondu à la demande de cadres communs pour appré­hen­der la situa­tion liée à la nouvelle séquence poli­tique qui s’est ouverte dans le monde, en Europe et ici-même.
Elle a répondu aussi à l’at­tente de citoyens cher­chant des repères et à tous ceux et toutes celles qui ne se satis­fai­sant pas du repli sur l’ho­ri­zon natio­nal ne renoncent pas à construire des conver­gences en Europe entre les mouve­ments et les mobi­li­sa­tions. En témoignent d’une part le propor­tion élevée de non adhé­rents d’At­tac (55 %), la présence de nombreux jeunes, et d’autre part la venue de mili­tants d’Es­pagne, du Royaume-Uni, d’Al­le­magne, d’Au­triche, de Belgique, d’Ita­lie, et la parti­ci­pa­tion de réseaux euro­péens.
Les sujets en débat
Finance, enjeux migra­toires et écolo­gie, trois ques­tions qui agitent les mouve­ments sociaux euro­péens ces dernières années ont été au cœur des sémi­naires et autres forum. Mais les débats autour de la ques­tion du travail ont égale­ment connu un succès inat­tendu. Ateliers de présen­ta­tion de la campagne Emploi-Climat, à l’ini­tia­tive de la FSU et d’autres compo­santes de la plate forme [1], forum sur l’ave­nir du travail à l’heure d’Uber, de l’au­to­ma­ti­sa­tion et de l’émer­gence de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, les salles étaient combles à chaque fois.
Le Snesup-FSU a égale­ment animé un atelier sur les enjeux de la marchan­di­sa­tion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur en colla­bo­ra­tion avec le collec­tif Acides [2]. Hugo Harari-Kerma­dec, écono­miste et membre du collec­tif a analysé et décons­truit les argu­ments libé­raux présen­tant comme une pana­cée la sélec­tion à l’uni­ver­sité et l’aug­men­ta­tion des frais d’ins­crip­tion. Claire Bornais du Snesup-FSU a insisté sur la situa­tion actuelle, alors que le désin­ves­tis­se­ment progres­sif de l’Etat français au profit de « l’au­to­no­mie » des univer­si­tés laisse de nombreux bache­liers sans affec­ta­tion, donnant au gouver­ne­ment actuel l’oc­ca­sion de remettre au goût du jour le projet de sélec­tion à l’en­trée des univer­si­tés. Le débat a enfin permis d’échan­ger sur les ensei­gne­ments à tirer des résis­tances à la marchan­di­sa­tion de l’en­sei­gne­ment supé­rieur dans de nombreux pays depuis 2010.
Le débat sur les services publics a surpris ses orga­ni­sa­teurs qui ont vu arri­ver 80 personnes dans la petite salle qui était prévue. Par ailleurs il faut signa­ler que le réseau Trans­na­tio­nal Insti­tute a présenté à Toulouse une étude («  »Reclai­ming Public Services ») portant sur 835 expé­riences concrètes de remu­ni­ci­pa­li­sa­tion. dans le monde entier, essen­tiel­le­ment eu Europe. Cette étude montre que le mouve­ment de reso­cia­li­sa­tion des services publics est plus impor­tant que le mouve­ment inverse de priva­ti­sa­tion.
Projets des insti­tu­tion, mouve­ments : un état des lieux
Après la triple crise de 2015–2016 (Grèce, Migrants, Brexit), les projets des « élites euro­péennes » à la veille des élec­tions alle­mandes ont été analy­sés. Ces « élites » sont en proie à une série de contra­dic­tions provoquées par le mécon­ten­te­ment des peuples, par la montée de la xéno­pho­bie, mais aussi par l’émer­gence de forces progres­sistes nouvelles.
L’ana­lyse de la situa­tion des mouve­ments sociaux, de leur rapport au poli­tique, de la diffi­culté à faire émer­ger des conver­gences euro­péennes ont été des moments impor­tants avec la parti­ci­pa­tion de mouve­ments de diffé­rents pays. Il s’agis­sait d’al­ler au-delà des impres­sions super­fi­cielles qui dominent souvent en France et de resi­tuer ces ques­tions dans l’his­toire du mouve­ment alter­mon­dia­liste avec les expé­riences latino-améri­caines et actuel­le­ment aux Etats-Unis. Le rapport à l’Etat des mouve­ments d’éman­ci­pa­tion, la construc­tion de conver­gences entre des mouve­ments frag­men­tés (thèse de l’in­ter­sec­tion­na­lité) avec une place parti­cu­lière pour le mouve­ment fémi­niste : autant de ques­tions d’ave­nir.
Focus sur les « Villes rebelles »
L’exemple des « Villes rebelles » peut servir d’illus­tra­tion à la néces­sité d’étu­dier de façon appro­fon­die les expé­riences en cours dans certains pays. A Toulouse, cette approche a été permise par la présence de mili­tants espa­gnols impliqués dans des plate-formes citoyennes (Barce­lone, Madrid, La Corogne) à partir de la rencontre « Fear­less Cities » (Villes sans peur) qui a eu lieu en juin à Barce­lone.
L’a curio­sité mani­fes­tée par les parti­ci­pants français pour le sujet du muni­ci­pa­lisme a étonné et inté­ressé les inter­ve­nants venus d’Es­pagne. Pour ceux-ci c’était aussi une oppor­tu­nité de confron­ter leur propre expé­rience avec ses limites. Pour les Français c’était l’oc­ca­sion assez rare de consa­crer plusieurs heures à en prendre connais­sance et à en débattre.
Les inter­ro­ga­tions expri­mées à la fin du dernier atelier par de jeunes parti­ci­pants sur la possible construc­tion de plate-formes citoyennes dans certaines villes en France, avec l’ho­ri­zon des élec­tions muni­ci­pales de 2020, confirme l’écho de ce thème et la néces­sité de pour­suivre cette réflexion.
Dans un contexte où les luttes sociales et les tenta­tives poli­tiques au niveau natio­nal n’ont pu fran­chir un pas déci­sif, où la construc­tion de conver­gences euro­péennes s’avère diffi­cile, la dyna­mique du local, carac­té­ri­sée par des mobi­li­sa­tions sociales et l’émer­gence d’al­ter­na­tives, la consti­tu­tion de plate-formes citoyennes parties « à l’as­saut des insti­tu­tions » a mobi­lisé l’at­ten­tion et les éner­gies, notam­ment en Espagne.
L’objet du sémi­naire était d’étu­dier l’in­té­rêt et les limites de ces expé­riences et de voir si cette dyna­mique du local peut servir d’ap­pui pour construire les mobi­li­sa­tions natio­nales et euro­péennes qui sont néces­saires. En Espagne, les expé­riences muni­ci­pa­listes se font en marchant. En effet le moment entre l’émer­gence poli­tique des plate-formes citoyennes et leur succès élec­to­ral dans de grandes villes en 2015 a été très court.
Ces plate-formes citoyennes issues de puis­sants mouve­ments sociaux (comme les « marées ») sont des construc­tions complexes avec des alliances variables avec des partis poli­tiques, lesquels ont rare­ment le leader­ship. La première leçon que tirent les mouve­ments est que la partie se joue à trois : les mouve­ments, la rue (ou la popu­la­tion, la « société civile »), les insti­tu­tions (la muni­ci­pa­lité par exemple).
Premier problème : de nombreux « cadres » des mouve­ments ont été aspi­rés par les insti­tu­tions à la suite des victoires élec­to­rales. Second problème les insti­tu­tions sont prises dans des contraintes juri­diques (ex règles des marchés publics), écono­miques ou poli­tiques. L’ar­rêt des mobi­li­sa­tions sociales, qui a suivi les élec­tions, est analy­sée comme étant une erreur dans la mesure où il y a néces­sai­re­ment des contra­dic­tions entre la « rue » et les insti­tu­tions.
C’est vrai si on parle des résis­tances, c’est tout aussi perti­nent lorsqu’il s’agit de construire des alter­na­tives. Quelles nouvelles règles de gestion des services publics pour que la popu­la­tion soit asso­ciée à la déci­sion, en sortant de la démarche « parti­ci­pa­tive » qui consiste à procé­der du haut vers le bas ? Un problème complexe : la place des « tech­ni­ciens » (sala­riés des collec­ti­vi­tés) qui se sont révé­lés être une des prin­ci­pales forces de résis­tance au chan­ge­ment, faute d’avoir pu travailler avec eux en amont.
La dyna­mique du local s’ap­puie sur des points forts liés à la repo­li­ti­sa­tion de la société : proxi­mité, besoin de trans­pa­rence (avec rôle impor­tant d’In­ter­net, d’ap­plis sur télé­phone,…) , rôle très impor­tant de l’édu­ca­tion popu­laire, gestion de biens communs, terrain d’in­no­va­tion sociale, débats dans l’es­pace public.
En même temps, l’ac­tion des collec­ti­vi­tés locales est contrainte par la légis­la­tion natio­nale et euro­péenne. Il y a donc néces­sité de construire un rapport de forces. D’autre part, il s’agit de se préve­nir du risque du « loca­lisme » et de la préva­lence d’in­té­rêts locaux sur l’uni­ver­sel
Pour le moment, les « villes rebelles » espa­gnoles s’auto-gèrent sans véri­table coor­di­na­tion. La mise en place d’une coor­di­na­tion appa­raît aujourd’­hui comme une néces­sité. De même au niveau euro­péen : plusieurs réseaux euro­péens théma­tiques ont surgi (villes hors Tafta, villes hospi­ta­lières, réseau euro­péen contre la dette illé­gi­time, ….) et des réseaux plus géné­ra­listes (« Fear­less Cities, Villes en tran­si­tion, ….) se mettent en place [3].
En France, des expé­riences diverses (Saillans, Grenoble,…) attirent l’at­ten­tion. A Lille, les travaux du collec­tif Degey­ter rappellent que le socia­lisme muni­ci­pal est né dans le Nord à la fin du 19e siècle, et avance une thèse : la décen­tra­li­sa­tion aurait para­doxa­le­ment contri­bué à dépo­li­ti­ser la gestion locale. Des réflexions en pers­pec­ti­ves…
[2ACIDES : Approches Critiques et Inter­dis­ci­pli­naires des Dyna­miques de l’En­sei­gne­ment Supé­rieur. https://acides.hypo­theses.org/
[3Pour mieux appré­hen­der le sujet du muni­ci­pa­lisme, consul­ter Commons­po­lis.org

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