Une tribune d’un camarade d’Ensemble 86, médecin psychiatre sur la situation et l’avenir.
En 2018 et 2019 les personnels hospitaliers, les urgences et la psychiatrie au premier plan, ainsi que les agents des Ehpad ont dénoncé dans la rue et par mille moyens une situation dramatique pour leurs secteurs d’activités.
L’austérité depuis une trentaine d’années a entraîne une diminution drastique du nombre de lits, des possibilités d’accueil de façon plus générale, du nombre de personnels. Le management entrepreneurial- autoritaire – de la santé , les évaluations bureaucratiques à l’infini furent dénoncées. Les scandales se sont multipliés dans des Ehpad et des services psychiatriques.
Bien sûr nous n’avions pas prévu cette pandémie, même si la possibilité de sa survenue à court terme était connue. Bien sûr la gravité de la contagiosité et de la destructivité de cette pandémie fut sous-estimée et pas seulement par les chefs d’état et maintenant cette pandémie s’est installée et elle percute les services de soins des pays affectés.
Nous n’avions pas prévu cette catastrophe que nous vivons mais nous avions alerté sur une catastrophe déjà amorcée.
En France nous voyons combien la logique de la gestion des matériels médicaux selon la logique des flux tendus a été menée avec une grande sottise, une grande imprévoyance (à la différence de l’Allemagne et de la Corée du sud par exemple). On manque de masques (chirurgicaux et FFP2), de sur-blouses, de tests et réactifs, des médicaments commencent à manquer dans certains secteurs.
Les gouvernements français ont accompagné la délocalisation de ces productions voulues par les capitalistes ; on en vit les conséquences aujourd’hui.
Ce gouvernement montre une impéritie qui apparaît spécifique. Il a menti sur les stocks de masques et sur leur utilité pour chacun.e, il fait des annonces démenties le lendemain, il fait des promesses aux hôpitaux qui n’ont pas de conséquences immédiates. Et nous savons ce que ces incapables prévoient pour la suite puisqu’une note de la Caisse des dépôts et consignations révélée par Mediapart le dit : privatiser toujours plus et en particulier au moyen de la généralisation de partenariats public-privé et de la mise en concurrence. Ils veulent achever de détruire le service public de santé.
Partout le néolibéralisme veut ainsi privatiser la santé alors que la nécessité d’une politique planifiée au service de l’intérêt commun s’affirme comme le minimum exigible.
Face à cette situation des associations et syndicats (CGT, FSU, Solidaires, Confédération paysanne, Attac, Alternatiba, Oxfam, Greenpeace, Amis de la terre, etc.) se mobilisent, forts de leurs expertises militantes. Ainsi, à la suite de la tribune « Plus jamais ça, préparons le jour d’après », une pétition « demande au gouvernement de prendre quatre mesures » :
- l’arrêt immédiat des activités non indispensables
- la réquisition des entreprises nécessaires afin de produire dans l’urgence des masques, respirateurs (…)
- La suspension immédiate du versement par les entreprises de dividendes
- Utiliser les 750 milliards d’euros de la BCE pour financer les besoins sociaux et écologiques des populations.
Ces mesures sont des mesures de rupture, elles s’articulent avec une relocalisation solidaire de l’industrie, un développement des services publics, une fiscalité redistributive.
Les revendications propres à l’urgence sanitaire s’inscrivent aisément dans ce contexte :
- production et diffusion de masques, gants, lunettes, gel hydro-alcoolique, tests, en masse pour les hôpitaux, pour les Ehpads, pour les personnes à risque.
- annulation de la dette des hôpitaux
- plan d’urgence pour la psychiatrie, pour une hospitalité reconstruite, pour une politique de secteur.
- plan d’urgence pour les Ehpad. On peut parler d’une hécatombe comme le dénonce l’intersyndicale de retraités (CGT, FO, CGC, FSU, Solidaires, etc.). Le confinement dans des chambres accélère dramatiquement la perte d’autonomie.
- plan d’urgence pour les enfants. Être cloîtré est particulièrement difficile pour les enfants, pour ceux qui sont reconnus « agités » en premier lieu.
Aujourd’hui les savoir-faire des soignants se déploient dans les services de réanimation et ailleurs, du médecin à l’aide-soignante et au brancardier, en passant par l’infirmière, sans oublier les ASH. Ce qui est prouvé publiquement c’est que le travail d’équipe, solidaire est un des secrets de leur réussite.
Il est manifeste que nous n’avons plus le meilleur service de santé du monde ; il est certain que ce n’est pas faute de savoir-faire professionnels et de dévouement que nous en sommes arrivés là. La misère du système de santé français actuel est due aux mépris des directions pour ces savoir-faire, à leur arrogance impérieuse et stupide. Elle est due à l’absence de vision stratégique des ministères et des capitalistes. Même la recherche fondamentale a été sous financée sur décision des premiers de cordée d’hier.
Ce sont les collectifs soignants des urgences, de la réanimation, ceux des Ehpad et de tous les services hospitaliers qui doivent être mis aux postes de commande de la santé publique. Eux d’abord mais pas eux seulement : les associations de patients, de famille, les associations déjà citées, les syndicats, doivent co-construire le monde la santé de demain en s’investissant dès aujourd’hui. Les partis, mouvements politiques avec leurs élus et avec leurs militants doivent accompagner ce mouvement ( France insoumise, PCF, PG, Ensemble !, NPA, EELV, Générations, etc.)
Plus que jamais nous affirmons que la santé est un bien commun, que ce n’est pas une marchandise. Cette crise sanitaire nous rappelle combien nous appartenons au même monde, à la même humanité ; la solidarité dans chaque société et entre les peuples réapparaît comme une nécessité vitale.
Dans l’immédiat, pour envisager un déconfinement progressif les masques et autres protections doivent être produits et diffusés largement. Cette diffusion est actuellement opaque ; le contrôle des associations, syndicats, partis, de tous les citoyens motivés est nécessaire.
Les essais de traitement se multiplient dans plusieurs pays du monde, plusieurs hypothèses sont testées par des chercheurs et des médecins. Si le nombre de nouveaux cas de personnes mortes du fait de ce virus se stabilise, si des traitements efficaces sont trouvés, alors la suite pourra s’écrire, alors que nous en sommes presque empêchés aujourd’hui.
Alors, à nouveau, certains d’entre nous serons mobiles, pour exprimer autrement notre vœu d’une société solidaire, plus sobre, et ainsi vivable.
Pascal Boissel, le 13–4–2020
Une réflexion sur « Le savoir des équipes de soignants enfin valorisé à nouveau »