Fémi­nisme. Sur le site de la GES. L affaire Quaten­nens

20 décembre 2022

Nous nous sommes exprimé.es dans notre commu­niqué du 25 novembre à propos de faits de violence de la part du député Adrien Quaten­nens contre son ex-épouse Céline. Ces derniers jours, le juge­ment est tombé, 4 mois de prison avec sursis (pas une petite peine) et une prise de posi­tion du groupe des député.es FI suspen­dant l’élu du groupe et une possi­bi­lité de retour après un stage sur les violences sexistes et sexuelles.

Mais le lende­main même, le député prenait la parole pour « donner son point de vue. » A notre sens il eut été préfé­rable qu’A­drien Quaten­nens comme tant d’autres suive un stage avant tant il appa­raît évident qu’il n’a pas compris où était le problème. Voilà ce qu’il aurait pu entendre s’il avait daigné suivre un stage (voire plusieurs) sur les violences sexistes et sexuelles.

Sans doute aurions nous commencé par une mise au point. En effet une des sources d’in­com­pré­hen­sion dans le débat en cours tient nous semble-t-il à la confu­sion entre le champ judi­ciaire et les règles qui s’y appliquent, et le champ poli­tique qui est celui sur lequel nous nous situons. Du côté de la justice s’ap­pliquent norma­le­ment l’éga­lité des droits et notam­ment les droits de la défense, la présomp­tion d’in­no­cence, le refus de la double peine, la grada­tion des sanc­tions. Rappe­lons que la justice est cepen­dant près peu fiable s’agis­sant des violences sexistes et sexuelles dès lors que la grande majo­rité des affaires sont clas­sées sans suite, quand les femmes n’ont pas été décou­ra­gées de porter plainte dès l’étape du commis­sa­riat. Rappe­lons surtout que le terrain sur lequel nous nous plaçons est diffé­rent. Une orga­ni­sa­tion poli­tique ne rend pas la justice, elle n’en a ni les compé­tences ni les moyens. Elle se pose la ques­tion du respect de ses prin­cipes, de la protec­tion des mili­tantes et des femmes victimes de mili­tants. Dans le cas d’es­pèce, seule la première ques­tion se posait, en deux temps :

  • Le poids du patriar­cat est tel qu’il faut en matière de violences sexistes et sexuelles lui oppo­ser un réflexe systé­ma­tique : prendre d’abord en compte la parole des femmes, les croire a priori. Ce qui s’avère contra­dic­toire avec le prin­cipe de la présomp­tion d’in­no­cence. En la matière, les faits recon­nus par Adrien Quaten­nens rele­vaient déjà des violences conju­gales. Le fait que son ex-femme ait déposé deux mains courantes et une plainte consti­tuaient une circons­tance aggra­vante.
  • La justice a rendu sa déci­sion et quali­fié les faits de violences conju­gales. Est-ce qu’un homme condamné à 4 mois de prison avec sursis pour violences conju­gales peut prétendre repré­sen­ter un mouve­ment poli­tique atta­ché aux prin­cipes fémi­nistes ? Non, un délai est indis­pen­sable pour le sanc­tion­ner et acter la prise au sérieux de la gravité de la situa­tion.

Le deuxième élément qui figu­re­rait en intro­duc­tion serait un signal d’alarme, qui signa­le­rait l’écart gran­dis­sant entre d’une part des mili­tantes fémi­nistes et des jeunes mili­tant.es, qui ont inté­gré dans leur réflexion et leur pratique poli­tique la ques­tion de l’op­pres­sion spéci­fique des femmes et d’autre part tout une série de mili­tant.es, de cadres, de repré­sen­tant.es, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, qui ont ajouté la reven­di­ca­tion fémi­niste à leur cata­logue, sans en comprendre les fonde­ments, faute de s’y être suffi­sam­ment inté­ressé.es. L’af­faire Quaten­nens a fait voler en éclats ce qui n’était pour certain.es qu’une vitrine et inter­roge néces­sai­re­ment sur la place accor­dée au fémi­nisme dans nos « forma­tions poli­tiques », au double sens du terme, dans nos orga­ni­sa­tions et dans nos stages de forma­tion. L’im­por­tance de ces derniers et de la prise en charge des violences sexistes et sexuelles relève d’une respon­sa­bi­lité collec­tive notam­ment au sein de la FI, où la ques­tion ne peut être renvoyée à la déci­sion des seul.es député.es.

Ces points limi­naires faits, voyons le contenu du stage.

Le privé est poli­tique.

« Ce n’est pas une histoire faite de violences conju­gales. C’est d’abord l’his­toire d’un couple qui ne parvient plus à se comprendre. », avance Adrien Quaten­nens pour se défendre. Dans le stage nous aurions débuté par cela. En quoi ce qui se passe dans la sphère privée est une affaire poli­tique. Eh bien parce que les femmes subissent une double oppres­sion, dont l’op­pres­sion patriar­cale qui s’exerce forte­ment dans le couple. La sphère privée est un des lieux prin­ci­paux de l’op­pres­sion et donc des violences. Ce que nous disons par-là, c’est que l’op­pres­sion est un système complexe, fort présent dans les rela­tions de couple.

La force du fémi­nisme est de sortir du « L’une de l’autre igno­rée » et « de nos sœurs sépa­rées » , comme le dit l’Hymne des femmes. Ce que subit une femme dans le foyer est à la fois tota­le­ment unique mais aussi tota­le­ment iden­tique. Ce qui a permis aux femmes de s’éman­ci­per, c’est de mesu­rer ce qui, dans ce qu’elles vivent se répète et donc est systé­mique. Les disputes et les chagrins d’amour arrivent à tout le monde, cela ne finit pas toujours dans la violence physique. Par contre, lorsque c’est le cas, il est indis­cu­table que dans l’ex­trême majo­rité des cas, ce sont les femmes qui subissent les violences, en parti­cu­lier lorsqu’elles veulent quit­ter leur compa­gnon. Et c’est bien le cas cette fois. Un homme tape une femme. N’en déplaise à beau­coup, c’est un fait simple qui conduit Adrien Quaten­nens à être condamné à 4 mois de prison avec sursis.

Disons que si « ce n’est pas plus », eh bien ce n’est pas moins.

De la même manière, lorsque Jean-Luc Mélen­chon dit « la police tue », il fait le choix de mettre le doigt sur le côté systé­mique du problème. Son expli­ca­tion est limpide. Oui on pour­rait dire que certains poli­ciers tuent, mais quand cela arrive trois fois dans le même mois par trois brigades diffé­rentes, alors cela fait système. C’est cela que font les fémi­nistes aujourd’­hui, elles disent « Un homme a frappé une femme parce qu’il ne compre­nait pas pourquoi elle le quit­tait » et cela arrive très souvent, trop souvent.

A cela s’ajoute, le fait que l’homme en ques­tion est député. Et qu’un député a un devoir d’exem­pla­rité. Non parce que nous deman­dons que les gens soient parfaits mais parce que cet homme doit porter la parole d’hommes mais aussi de femmes. Dans ce sens, il se doit d’être exem­plaire. Et tel n’est pas le cas.

Adrien Quaten­nens se défend en disant qu’il a, à de nombreuses reprises, aidé des femmes victimes : « J’ac­com­pagne depuis des années comme député des femmes victimes et leurs familles. » Alors pourquoi à aucun moment le député ne se remet-il en ques­tion ? Sans doute parce qu’il n’a pas compris le prin­cipe systé­mique de la violence mascu­line. Donc pour lui, ce qui lui arrive est indi­vi­duel et en cela, il remet en ques­tion des années de travail pour expliquer que l’uti­li­sa­tion de la violence mascu­line est un réflexe qui pose un vrai problème.

Parole, silence et lynchage média­tique.

Deuxième problème, Adrien Quaten­nens accuse son ex-épouse de l’avoir jeté en pâture en expo­sant sa vie privée. Il y a eu une fuite dans la presse. Céline Quaten­nens aurait-elle dû s’abs­te­nir de dépo­ser une main courante ? A cette ques­tion, il faut répondre par un raison­ne­ment par l’ab­surde. En effet, que devait faire l’ex-épouse du député ? Si l’on suit jusqu’au bout le raison­ne­ment d’Adrien Quaten­nens, elle aurait dû se taire et régler cela dans la sphère privée (on y revient) afin d’évi­ter de le jeter en pâture aux oppo­si­tions. Car il n’y a pas plusieurs possi­bi­li­tés, soit on dit que l’on a reçu un coup, soit on ne le dit pas. Dans le deuxième cas, alors on laisse faire, dans le premier cas, on se défend. Ensuite advienne que pourra.

D’ailleurs pour se défendre, le député, qui se dit victime, a dans la même jour­née, fait un long inter­view dans « La voix du Nord » et un autre sur « BFM ». Il fait donc le choix de ne pas se taire. Si l’on avait suivi le raison­ne­ment par l’ab­surde, Adrien Quaten­nens aurait dû choi­sir le silence. Ne rien dire et attendre que cela passe, puisque comme il le prétend : « Ce n’est pas une histoire faite de violences conju­gales. C’est d’abord l’his­toire d’un couple qui ne parvient plus à se comprendre. ».

Ou alors est-ce qu’il faut consi­dé­rer que le prix poli­tique à payer une fois cette affaire deve­nue publique était trop élevé ? Que cela n’en valait pas la peine ?

Nous ne sommes pas pour jeter qui que ce soit en pâture à des médias et à un monde poli­tique mal inten­tion­nés, mais ce risque suffit-il à impo­ser de se taire ?

Incon­tes­ta­ble­ment, il y a, ici, un désac­cord.

Quand la victime est métho­dique­ment déva­lo­ri­sée

Autre point impor­tant du stage. Un autre réflexe clas­sique s’ajoute au fil de l’in­ter­view : la parole de la victime est déva­lo­ri­sée. Adrien Quaten­nens l’a tant soute­nue, elle si fragile, trau­ma­ti­sée. Son atti­tude est inco­hé­rente, vous voyez bien, elle était aimable à l’hô­pi­tal, après le tribu­nal. Elle est dans la toute-puis­sance. Elle fait preuve de méchan­ceté et de compor­te­ments violents (même si on n’a pas bien compris lesquels). Sa parole est donc disqua­li­fiée. Voilà qui va à l’en­contre de la libé­ra­tion de la parole des femmes en matière de violences, voilà qui au contraire tend à les décou­ra­ger de le faire.

Et voilà qui petit à petit trans­forme le coupable en victime.

Quand le coupable devient victime.

Au regard des deux prises de parole d’Adrien Quaten­nens, il semble­rait que son ex-femme lui faisait une vie horrible. Il dit d’ailleurs : « c’est moi qui aurais dû partir ». Oui, mille fois oui !!!! C’était en effet la bonne solu­tion. Adrien Quaten­nens avait quitté le domi­cile pendant deux mois au moment du confi­ne­ment, on ne sait pour quelles raisons, mais, cette fois, il ne l’a pas fait, il est resté et a envoyé des « SMS amou­reux »… On peut se ques­tion­ner sur ces multiples SMS amou­reux. Rappe­lons que quand quelqu’un ne veut pas boire du thé, on arrête de lui en propo­ser …

Pourquoi cette phrase : « l’en­voi de trop nombreux sms amou­reux suite à une annonce de divorce incom­prise » ? Qu’est ce qui n’est pas compré­hen­sible dans l’en­vie de se sépa­rer ?

Dans le stage qu’A­drien Quaten­nens aurait dû suivre avant ces évène­ments, on lui aurait expliqué que quand une femme demande à se sépa­rer, c’est ainsi … C’est dur, bien sûr, mais si la déci­sion est prise il est malvenu de tenter de l’en empê­cher. Peut-être que c’est injuste et que vous êtes mille fois mieux que la personne qui vous quitte mais c’est ainsi et surtout, on ne lui confisque pas son portable, comme on le fait pour une gamine qui ne sait pas ce qu’elle veut.

Donc, en fait, non, ce n’est pas celui qui frappe qui est victime de violence. On peut le tour­ner dans tous les sens et même si cela convainc nos copains de tablée… Non ce n’est vrai !

Car c’est un bon cama­rade !

Enfin, ce qui a provoqué la colère des fémi­nistes, c’est évidem­ment le fait en lui-même mais c’est surtout les soutiens (trop nombreux à notre goût) qui ont défendu Adrien Quaten­nens. L’ar­gu­ment (autre chose que l’on apprend dans les stages) est toujours le même. C’est une histoire de couple, c’est un bon gars qui s’est énervé. Or, quand on commence à s’in­té­res­ser aux violences sexistes et sexuelles, on sait qu’elles sont truf­fées de « bon cama­rades », joviaux, sympas et qui font ça par amour et qui se sont un peu trop éner­vés. Sinon, ce ne serait pas si compliqué de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Alors, cette affaire met sur la place publique qu’un « bon gars » peut ne pas l’être et que ceux qui défendent les droits de l’Homme ne sont pas au clair sur les droits de leur femme.

Les divers faits décrits ont été point par point mini­mi­sés par certains. Une gifle, ce n’est rien comparé à des femmes battues tous les jours. Or nous savons que les violences contre les femmes sont un conti­nuum. C’est-à-dire plusieurs actes bout à bout qui font un tout qu’on appelle « violences faites aux femmes ». C’est d’ailleurs ce qu’en a conclu la justice.

Le fait qu’un mouve­ment qui fait du fémi­nisme et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une valeur centrale, soit capable de se doter de repré­sen­tants qui ignorent à ce point les logiques systé­miques de l’iné­ga­lité femmes-hommes doit nous inter­ro­ger. Les mêmes qui ont allè­gre­ment tout mélangé dans la plus grande confu­sion (c’est une histoire d’amour, c’est la vie privée, il n’y a eu qu’une seule gifle, c’est un bon gars, on a besoin de lui car il est brillant, senti­ment de toute puis­sance de la victi­me…) auraient-ils pu faire preuve de la même igno­rance coupable, s’il s’était agi d’un autre domaine poli­tique que celui du fémi­nisme ? Il ne vien­drait par exemple à l’es­prit d’au­cun mili­tant de gauche de parler de « charges patro­nales » pour dési­gner les coti­sa­tions patro­nales, comment se fait-il qu’il s’en trouve encore pour parler de violence privée quand un homme gifle une femme qui veut le quit­ter ? Faire du fémi­nisme une ques­tion poli­tique à part entière reste un enjeu et une prio­rité. La compré­hen­sion de ce qu’est le patriar­cat doit faire partie du kit de base de tout mili­tant et a fortiori de ses repré­sen­tants. Il n’y a pas d’éman­ci­pa­tion possible sans éman­ci­pa­tion des femmes, ce n’est pas qu’un slogan.

« Faute avouée est à moitié pardon­née »

Voire pardon­née tout court pour certains… Là encore, c’est une défense biai­sée. Alors qu’A­drien Quaten­nens nous expliquait que les faits ne le concer­naient que lui et sa femme, voilà que l’on se sert des autres pour réha­bi­li­ter son acte. On nous a invi­tées à « admi­rer le courage et l’hon­nê­teté » de celui qui contrai­re­ment à tant d’autres ne nie pas les faits. Curieux ! En quoi dire « j’ai fait ce dont on m’ac­cuse » atté­nue ce que l’on a fait ? D’au­tant plus que, comme l’ont relevé beau­coup de fémi­nistes, il faut vrai­ment tendre l’oreille pour entendre le commen­ce­ment d’un début de remord. On a expliqué à quel point recon­naître une faute peut reve­nir à la mini­mi­ser si elle n’est pas inter­pré­tée dans le contexte d’une violence systé­mique. Et en l’oc­cur­rence elle revient surtout à tenter de conser­ver la maîtrise du récit de bout en bout.

Que ce récit soit perturbé par les fémi­nistes, les jeunes, que l’af­faire ne passe pas, au sein de la France Insou­mise et plus large­ment, nous semble en fait plutôt posi­tif. C’est le signe d’une remise en cause profonde des règles qui s’im­po­saient taci­te­ment jusqu’a­lors.

Emma­nuelle Johsua, Ingrid Hayes

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