Ukraine: voir, entendre, se souve­nir. Ou pas

L’or­chestre des aveugles, des sourd·es, des amné­siques, des boni­men­teur·euses et des complices joue sa parti­tion

Aveugles et sourd·es…

Peut-être ne savons-nous pas qu’il existe des Ukrai­nien·nes qui luttent contre l’in­va­sion de leur pays et contre les poli­tiques néoli­bé­rales de leur gouver­ne­ment.

Peut-être ne savons-nous pas qu’il existe des orga­ni­sa­tions syndi­cales, étudiantes, fémi­nistes et poli­tiques en Ukraine qui partagent nos combats et nos idées.

Peut-être ne savons-nous pas qu’il existe des forces anti­guerre et progres­sistes et des peuples oppri­més dans la Fédé­ra­tion de Russie.

Peut-être ne savons-nous pas qu’il existe des forces anti­guerre et progres­sistes au Béla­rus.

Peut-être n’avons-nous pas entendu Vladi­mir Poutine parler de la destruc­tion de l’Ukraine et de la non-exis­tence des Ukrai­nien·nes en tant que peuple.

Peut-être n’avons-nous pas saisi que les armées de la Fédé­ra­tion de Russie ont violé les fron­tières d’un pays indé­pen­dant (crime d’agres­sion), bombardé des popu­la­tions civiles (crime de guerre), déporté des adultes et des enfants (crime de guerre), utilisé le viol comme arme de guerre (crime contre l’hu­ma­nité), etc.

Peut-être ne savons-nous pas que si les armées pouti­niennes se retirent sans condi­tions, de toute l’Ukraine, il n’y aura plus de guerre et que la paix rede­vien­dra un hori­zon du possible.

Peut-être ne savons-nous pas que si les Ukrai­nien·nes renoncent à résis­ter, l’Ukraine sera détruite comme peuple et comme nation indé­pen­dante.

Peut-être ne savons-nous pas que si les Ukrai­nien·nes ne sont plus suffi­sam­ment armé·es, l’Ukraine sera détruite comme nation indé­pen­dante.

Peut-être ne savons-nous rien ou si peu de choses.

Mais est-ce une raison de croire les boni­men­teur·euses ?

Amné­siques…

Peut-être avons-nous oublié la distinc­tion entre les guerres légi­times – telles les guerres de libé­ra­tion natio­nale –, et les guerres impé­ria­listes, de conquête ou colo­niales – les guerres d’op­pres­sion.

Peut-être avons-nous oublié qu’il y a une diffé­rence fonda­men­tale entre une dicta­ture fasci­sante et une répu­blique démo­cra­tique, aussi impar­faite soit-elle.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions Tchèques et que nous nous sommes battu·es contre l’an­nexion de notre pays et que certain·es disaient dit non à la guerre et que les armées nazies nous ont enva­hi·es.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions irlan­dais·e et que nous nous sommes battu·es contre l’oc­cu­pa­tion anglaise et que certain·es nous disaient non à la guerre et à la parti­tion de notre pays dure depuis plus d’un siècle.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions résis­tant·es dans l’Eu­rope occu­pée et que certain·es nous ont trai­té·es de terro­ristes et que d’autres nous expliquaient que les deux camps se valaient.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions est-alle­mand·es, polo­nais·es, hongrois·es, tché­co­slo­vaques, afghan·es et que nous nous sommes battu·es contre l’oc­cu­pa­tion et l’in­va­sion sovié­tique et que certain·es nous disaient qu’il fallait défendre la « patrie des travailleurs » contre l’im­pé­ria­lisme.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions amérin­dien·nes, que nous étions herero ou namas, que nous étions armé­nien·nes et que certain·es n’ont rien fait contre les géno­cides ou les ont applau­dis.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions afri­cain·es et que certains n’ont rien fait contre la traite négrière et l’ont même applau­die.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions quelque part dans le monde et que beau­coup n’ont rien fait contre les colo­ni­sa­tions et que beau­coup les ont soute­nues.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions espa­gnol·es, cata­lan·es, basques… et que certains ont refusé de nous livrer des armes pour combattre les armées de Franco.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions algé­rien·nes et que nous nous sommes battu·es pour libé­rer notre pays de la colo­ni­sa­tion française et que certain·es se conten­taient de dire « Non à la guerre » et « Paix en Algé­rie ».

Peut-être avons-nous oublié que nous étions viet­na­mien·nes et que nous nous sommes battu·es, d’abord contre l’ar­mée française puis contre celle des États-Unis et que certain·es se conten­taient de dire « Non à la guerre » et « Paix au Viet­nam ».

Peut-être avons-nous oublié que nous étions syrien·nes et que nous battions contre la dicta­ture de Bachar el-Assad, soute­nue par la Fédé­ra­tion de Russie, et que certain·es disaient « Non à la guerre ».

Peut-être avons-nous oublié que des compa­gnons de Karl Marx se sont enga­gés dans l’ar­mée de l’Union pour faire abolir l’es­cla­vage.

Peut-être avons-nous oublié que des anar­chistes espa­gnol·es sont entré·es dans Paris sur les chars améri­cains de la 2DB.

Peut-être avons-nous oublié que nous étions russes, biélo­russes, tchét­chènes, géor­gien·nes, que savons-nous encore, et que nous battons contre la dicta­ture grand-russienne et que certain·es pensent qu’il ne faut pas humi­lier la Russie.

Peut-être avons-nous oublié que l’im­pé­ria­lisme état­su­nien avait fourni des armes aux Chinois·es pour lutter contre le colo­nia­lisme japo­nais.

Peut-être avons-nous oublié que l’im­pé­ria­lisme état­su­nien avait fourni des armes au gouver­ne­ment sovié­tique pour lutter contre les armées nazies.

Nous sommes tchèques, nous sommes irlan­dais·es, nous sommes polo­nais·es, nous sommes hongrois·es, nous sommes viet­na­mien·es, nous sommes algé­rien·nes, nous sommes pales­ti­nien·nes, nous sommes syrien·nes, nous sommes sahraoui·es, nous sommes haïtien·nes, nous sommes birman·es, nous sommes ouighour·es, nous sommes kurdes, nous sommes péru­vien·nes, nous sommes nica­ra­guayen·nes, nous sommes iranien·nes, nous sommes ukrai­nien·nes.

Nos vies et nos liber­tés justi­fiaient et justi­fient que nous résis­tions à l’im­pé­ria­lisme et à la dicta­ture.

Les boni­men­teur·eu­ses…

Nous ne voulons pas être passé·es sous silence et notre sécu­rité ne peut être consi­dé­rée comme quan­tité négli­geable au nom de la paix entre grandes puis­sances, au nom du main­tien de l’ordre mondial.

Celles et ceux qui soutiennent les dicta­tures, celles et ceux qui soutiennent les agres­seurs impé­ria­listes, nous dénient le droit de résis­ter (mili­tai­re­ment ou non) pour défendre nos liber­tés, nos droits natio­naux, nos droits en tant que peuples, nos acquis sociaux.

Celles et ceux qui veulent nous désar­mer au nom de la « paix », choi­sissent la destruc­tion de l’Ukraine et de son peuple.

Hier Cham­ber­lain (et l’im­pé­ria­lisme anglais) et Staline (et sa dicta­ture au nom du sovié­tisme) ont soutenu la paix avec Hitler : résul­tat le déman­tè­le­ment de la Pologne, la multi­pli­ca­tion des camps de concen­tra­tion, l’in­dus­trie étatique de la mort et les camps d’ex­ter­mi­na­tion, une guerre mondiale, des millions de victimes civiles et mili­taires et un géno­cide des popu­la­tions juives et tziga­nes…

Celles et ceux qui soutiennent l’in­va­sion des armées russes en Ukraine, celles et ceux qui ne veulent pas donner aux popu­la­tions ukrai­nien·nes les moyens de résis­ter et de libé­rer leur pays ne sont pas nos ami·es.

Celles et ceux qui parlent de « paix » en ne soute­nant pas le droit légi­time à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion des peuples ukrai­niens et à vivre, celles et ceux qui rompent avec le soutien aux luttes de libé­ra­tion natio­nale se trompent et contri­buent à saper les droits de tous·tes les citoyen·nes, en Ukraine et dans le monde.

Soli­da­rité !Didier Epsz­tajn, Mariana Sanchez, Patrick Silber­stein, membres des brigades édito­riales de soli­da­rité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.