Serge D. Media­part docu­mente le « récit d’une faillite des auto­ri­tés »à Sainte Soline.

Cet article décrit l’in­dif­fé­rence crimi­nelle des gendarmes après leur crimi­nelle violence, l’in­com­pé­tence crimi­nelle de la direc­tion du Samu79, le courage de celles et ceux qui ont un sens élémen­taire de l’hon­neur. Il faut exiger plus de détails, plus d’in­for­ma­tions.

Mani­fes­ta­tion ce jeudi à Poitiers comme ailleurs devant la préfec­ture pour celles et ceux qui peuvent être présents.

PB, 30–3–2023

« (…)La famille de Serge D. a été préve­nue que ces quatre mani­fes­tants allaient livrer à Media­part des témoi­gnages diffi­ciles. Elle ne s’y oppose pas. S’il est impor­tant de docu­men­ter la gravité de ses bles­sures, nous avons cepen­dant décidé de ne pas publier certains détails.  

Éloïse, mani­fes­tante et infir­mière diplô­mée venue de Bretagne, aperçoit cet « homme d’une tren­taine d’an­nées à terre, incons­cient » et entend deux medics (secou­riste béné­vole) crier « urgence vitale ». Quand elle s’ap­proche du blessé, elle voit « deux personnes au télé­phone avec le Samu, une jeune femme et un garçon »

Dans son rapport, rendu public mardi 28 mars, la préfète des Deux-Sèvres note un premier appel aux pompiers, passé par une femme, à 13 h 49. Puis un appel au Samu, une minute plus tard : une « ancienne infir­mière » signale ce blessé « incons­cient suite grenade ». Media­part s’est entre­tenu avec cette ancienne infir­mière, Caro. Elle indique avoir appelé le Samu à 13 h 49, alors qu’un medic venait lui-même de raccro­cher avec le 112 (le numéro d’ur­gence euro­péen). 

D’après la préfec­ture, le Samu parvient à géolo­ca­li­ser le numéro de cette requé­rante à 13 h 54. Le Smur de Ruffec, le plus proche du lieu de rassem­ble­ment, « est enclen­ché » à 14 h 01. Leur véhi­cule parcourt rapi­de­ment les 25 km qui les séparent du « point de rassem­ble­ment des victimes (PRV) de Clus­sais-la-Pomme­raie », où il arrive à 14 h 23. De manière inex­pli­cable, le Smur reste à cet endroit jusqu’à 14 h 45, alors que Serge D. ne s’y trouve pas, puis repart jusqu’à l’en­trée de Sainte-Soline avec une escorte de gendar­me­rie. 

Le véhi­cule du Smur progresse ensuite « sans escorte » en direc­tion du blessé car, selon la préfec­ture, « la seule vue des motards de la gendar­me­rie géné­rait un accrois­se­ment de l’hos­ti­lité des mani­fes­tants regrou­pés sur le chemin ». Toujours selon ce rapport, le Smur a dû « s’ar­rê­ter à plusieurs reprises sur son parcours » parce qu’il était solli­cité par des bles­sés moins prio­ri­taires.   

Inter­rogé par Media­part, le Dr Farnam Faran­pour, chef du Samu-Smur de Niort qui se trou­vait au poste de comman­de­ment, confirme ces aléas. Il recon­naît aussi une « perte de temps » entre 13 h 50 et 15 h 15, due à « des infor­ma­tions discor­dantes ». Selon lui, une fois sur zone, le Smur de Ruffec a eu du mal à trou­ver l’en­droit précis où atten­dait Serge. 

Plus d’une heure à attendre l’am­bu­lance

Pendant tout ce temps, sur place, les mani­fes­tants et medics qui entourent le blessé sont livrés à eux-mêmes. Certains, dont Benoît*, équi­pés de boucliers de fortune, de bande­roles renfor­cées et de para­pluies, se posi­tionnent en cercle et tentent de le proté­ger.

En raison des grenades qui conti­nuent à tomber, ils sont contraints de le dépla­cer à deux reprises : une première fois de quelques mètres, puis une deuxième fois pour le rame­ner plus loin vers l’ar­rière, à travers les gaz lacry­mo­gènes, jusqu’au bord d’une petite route. Ils crient aux mani­fes­tants de déga­ger l’ac­cès pour permettre le passage des secours, mais déses­pèrent de voir une ambu­lance arri­ver. 

Tous sont conscients de la gravité de son état, qui semble même se dégra­der, mais ils ne disposent pas du maté­riel de réani­ma­tion néces­saire. Ces inter­ve­nants, restés plus d’une heure au chevet du blessé, semblent trau­ma­ti­sés. « Ce qui m’a choqué c’est l’im­puis­sance des medics qui disaient : “Il va mourir devant nous” », témoigne l’une d’entre eux. Un autre évoque même son senti­ment de « déréa­li­sa­tion ». Une méde­cin urgen­tiste, Agathe, a témoi­gné de ces minutes déci­sives auprès de Repor­terre. Elle aussi tente de convaincre le Samu qu’il faut venir au plus vite, sans succès. 

Caro a assisté à cet appel sur haut-parleur. Lionel Brun-Vali­con, secré­taire géné­ral adjoint de la LDH et à ce titre obser­va­teur dans la mani­fes­ta­tion, égale­ment. Ils ont tous les deux entendu le service d’ur­gence refu­ser de venir. Lionel Brun-Vali­con ajoute s’être adressé à des pompiers, station­nés à proxi­mité, alors qu’il repar­tait quelques minutes plus tard : « On leur a demandé : est-ce que les gendarmes vous empêchent de passer ? Ils nous l’ont confirmé. » 

Cette impos­si­bi­lité d’in­ter­ve­nir paraît d’au­tant moins compré­hen­sible que le rapport du direc­teur géné­ral de la gendar­me­rie natio­nale, publié mardi 28 mars, note un « retour rela­tif au calme » et un « repli de l’ad­ver­saire » à partir de 14 h 20. Les mani­fes­tants inter­ro­gés estiment quant à eux que les affron­te­ments ont cessé dès 14 heures.

Pour­tant, la préfète des Deux-Sèvres, ancienne direc­trice de cabi­net adjointe de Gérald Darma­nin, soutient dans son rapport que Serge D. se trou­vait « en zone d’af­fron­te­ment » et que ce « climat hostile » explique l’im­pos­si­bi­lité de lais­ser passer les secours, faute de pouvoir assu­rer leur sécu­rité. 

À distance aussi, on essaie d’aler­ter les secours. À 14 h 30, selon la préfec­ture, un homme se présen­tant comme un méde­cin relance le Samu au sujet des bles­sés graves, dont Serge. Cet appel semble corres­pondre à l’en­re­gis­tre­ment publié par Media­part le 28 mars. Dans cette conver­sa­tion, le requé­rant indique au Samu que la situa­tion « est calme depuis trente minutes » et qu’il est « possible d’in­ter­ve­nir » pour porter secours au blessé. « Je suis d’ac­cord avec vous, vous n’êtes pas le premier à nous le dire », répond son inter­lo­cu­teur du Samu. « Le problème c’est que c’est à l’ap­pré­cia­tion des forces de l’ordre », ajoute-t-il, avant d’in­diquer que les méde­cins mili­taires présents sur place « sont là pour les forces de l’ordre »

Un méde­cin mili­taire dans le van des medics

Sur place, en déses­poir de cause, Caro rapporte avoir « couru vers les gendarmes qui proté­geaient la bassine, alors que ça s’était calmé depuis une bonne demi-heure », pour leur dire « qu’un jeune homme était en train de mourir à cent mètres d’eux et qu’ils bloquaient l’am­bu­lance ». Lionel Brun-Vali­con, de la LDH, confirme avoir vu cette scène. Caro pour­suit : « Ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas et ont prévenu leur chef. Le chef m’a dit “on va certai­ne­ment provoquer une sortie”. Au même moment, un homme en salo­pette bleue, qui était au télé­phone, a crié vers les gendarmes “c’est bon, on a l’au­to­ri­sa­tion de la préfète”. »

À 14 h 35 selon le rapport de la Direc­tion géné­rale de la gendar­me­rie natio­nale (DGGN), à 14 h 51 selon celui de la préfec­ture – c’est-à-dire, dans cette deuxième hypo­thèse, plus d’une heure après la bles­sure de Serge D. –, la gendar­me­rie décide fina­le­ment d’en­voyer un méde­cin mili­taire à son chevet en atten­dant l’ar­ri­vée des secours. Caro, Lionel Brun-Vali­con et Agathe, l’ur­gen­tiste, ainsi que deux autres mani­fes­tantes jointes par Media­part, ont vu arri­ver deux soignants de la gendar­me­rie. 

À ce stade, Serge D. vient d’être installé par les medics dans un van, utilisé comme ambu­lance de fortune. Faute de mieux, ils s’ap­prêtent à le trans­por­ter eux-mêmes. C’est dans ce véhi­cule que les méde­cins mili­taires lui posent une perfu­sion et lui prodiguent les premiers soins. 

La préfète Emma­nuelle Dubée ajoute qu’a­près avoir aidé Serge, le méde­cin de la gendar­me­rie « déclare avoir été victime de jets de pierres » sur le chemin du retour. De son côté, le direc­teur géné­ral de la gendar­me­rie natio­nale écrit que ce méde­cin « a dû se dépla­cer à pied au sein d’une foule hostile au péril de son inté­grité physique, harcelé par des black blocs alors même qu’il venait de prodi­guer des soins au blessé »

16 h 34 : l’hé­li­co­ptère décolle

Selon la préfec­ture, le véhi­cule du Smur arrive au contact de la victime à 14 h 57 et prend aussi­tôt le relais des gendarmes. Lionel Brun-Vali­con, de la LDH, indique qu’il « ne confirme pas ces horaires », lais­sant entendre que le véhi­cule serait arrivé plus tard, mais ne souhaite pas préci­ser davan­tage. 

En tout état de cause, les urgen­tistes du Smur demandent l’éva­cua­tion de Serge D. vers un service de neuro­chi­rur­gie. Malgré son état instable, ils doivent d’abord le conduire en ambu­lance sur plusieurs kilo­mètres, jusqu’au point de rassem­ble­ment des victimes de Clus­sais-la-Pomme­raie. 

« L’hé­li­co­ptère ne pouvait pas se poser dans une zone d’at­trou­pe­ment », explique le Dr Farnam Faran­pour. « Une zone déli­mi­tée d’at­ter­ris­sage » a donc été créée sur le point de rassem­ble­ment. Il faudra attendre 16 h 34 – selon l’ho­raire indiqué par la préfec­ture – pour que l’hé­li­co­ptère du Smur 86 décolle en direc­tion du CHU de Poitiers. Après avoir patienté au moins une heure et quart aux mains de béné­voles, Serge D. est donc blessé depuis trois heures au moment où il est évacué par héli­co­ptère. Un délai encore inex­pliqué. 

Sarah Brethes, Caro­line Coq-Chodorge, Jade Lind­gaard et Camille Polloni

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