Le congrès de la CGT, Sophie Binet.

Quelques réflexions d’un mili­tant de la CGT depuis 25 ans…

Sophie Binet a donc été élue secré­taire géné­rale de la CGT. Ni Marie Buis­son ni Céline Verze­letti ne seront les premières femmes à ce poste à la CGT, mais ce sera la repré­sen­tante d’une « troi­sième voie ». Au-delà des ques­tions de fond sur lesquelles nous revien­drons, l’élec­tion d’une femme à la tête de la CGT est une bonne nouvelle pour le syndi­ca­lisme, quelques semaines après la tribune de Murielle Guil­bert (« Je ne veux plus être la seule sur la photo ») : ici

Les médias se sont beau­coup foca­li­sés sur les ques­tions de personnes, lais­sant les ques­tions d’orien­ta­tion de côté : Marie Buis­son (secré­taire géné­rale de la Fédé­ra­tion éduca­tion, recherche, culture), portant une orien­ta­tion écolo­gique, fémi­niste et unitaire et accu­sée d’être réfor­miste ; Céline Verze­letti (co-secré­taire géné­rale de l’Union fédé­rale des syndi­cats de l’État), qui s’était posée en recours entre l’orien­ta­tion portée par Marie Buis­son, et celle portée par Olivier Mateu, le secré­taire géné­ral de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône dont les orien­ta­tions, dites « radi­cales » par les médias, reflètent surtout la conver­gence de posi­tions sectaires, anti-fémi­nistes et anti-écolo­giques. Mais l’in­sis­tance de Céline Verze­letti à cher­cher un accord avec Olivier Mateu a rendu une « troi­sième voie » néces­saire. La commis­sion exécu­tive confé­dé­rale (CEC) et le bureau confé­dé­ral élus montrent cette frac­ture entre deux CGT qui semblent désor­mais être en colo­ca­tion. Notons la présence de Laurent Brun au bureau confé­dé­ral : secré­taire géné­ral de la fédé­ra­tion des chemi­nots et désor­mais admi­nis­tra­teur de la CGT, il aura un rôle central dans la confé­dé­ra­tion. Pour rappel, Laurent Brun s’était exprimé en janvier 2021 dans la Pravda sur les liens entre le PCF et la CGT et notait que « le parti veut se réin­té­grer dans les entre­prises et chez les chemi­nots, les commu­nistes chemi­nots ont recréé un réseau natio­nal il y a un mois et demi ». Un posi­tion­ne­ment qui repose la ques­tion des rapports entre syndi­cats et partis poli­tiques, a fortiori avec la nouvelle fonc­tion qu’oc­cupe désor­mais l’au­teur de ces propos. Notons enfin l’ab­sence d’Oli­vier Mateu, n’ayant pas eu les 50 % de voix néces­saires pour être élu à la CEC, et de Benja­min Amar, proche d’Oli­vier Mateu, exclu de la CEC suite à des accu­sa­tions de violences sexuelles.

Le congrès de la CGT a été très agité, c’est le moins que l’on puisse dire. D’abord parce que les débats poli­tiques ont été impor­tants. Les délé­gué·es, dont c’était le premier congrès pour les trois quarts, ont ainsi rejeté le rapport d’ac­ti­vité de la direc­tion sortante, une première, suite à des débats clivants : ce qui s’est joué à ce moment-là est à la fois un débat sur la conduite du mouve­ment des retraites (entre « radi­ca­lité » et « média­tion ») et une frac­ture sur la démo­cra­tie interne à la CGT. La ques­tion n’est pas neutre : à un moment où la CFDT est la première orga­ni­sa­tion syndi­cale en France, où l’in­ter­syn­di­cale tient depuis plusieurs mois sur une posi­tion claire de retrait de la réforme des retraites, a été mis en avant par une partie du congrès la néces­sité d’une « grève géné­rale » face à une inter­syn­di­cale suppo­sée « molle ». C’est la ques­tion des mobi­li­sa­tions syndi­cales, de la place des mani­fes­ta­tions et des grèves… des débats qui restent en suspens et qui seront liés au bilan que nous pour­rons faire de la lutte actuelle. Cette ques­tion renvoie aussi à l’ap­pré­cia­tion de ce que les sala­rié·es sont en capa­cité de faire dans cette mobi­li­sa­tion et dans la recons­truc­tion du rapport de force… et comment ce type de ques­tion­ne­ments peut être débattu dans le cadre d’un congrès comme celui-ci.

La ques­tion de la parti­ci­pa­tion au collec­tif « Plus jamais ça »ii, qui permet enfin un lien entre syndi­ca­lisme de lutte et luttes écolo­giques, a cris­tal­lisé la ques­tion démo­cra­tique : si la sortie de la démarche « Plus jamais ça » n’a pas été tota­le­ment inva­li­dée, elle a été très forte­ment affai­blie par des amen­de­ments récla­mant un débat dans la CGT sur le main­tien dans cette démarche ou pas. Il faut dire, au-delà du fond, que la direc­tion sortante, et plus préci­sé­ment Philippe Marti­nez, a eu une façon assez auto­ri­taire d’im­po­ser l’en­trée de la CGT dans le collec­tif « Plus jamais ça ». L’as­pect démo­cra­tique est très impor­tant mais ne doit pas masquer qu’il y aussi une diver­gence de fond sur les ques­tions écolo­giques : plusieurs inter­ven­tions ont porté le refus d’al­liances avec les mouve­ments écolo­giques, mettant en avant la ques­tion de l’em­ploi. Ainsi, cette phrase dans le docu­ment d’orien­ta­tion adopté est un poten­tiel futur frein : « Les dispo­si­tifs mis en place pour la tran­si­tion écolo­gique ne doivent pas être discri­mi­na­toires pour les travailleurs.euse.s. », le syndi­cat défen­dant l’amen­de­ment préci­sant que la perte d’em­ploi est la prin­ci­pale consé­quence des luttes écolo­giques qui seraient toujours, selon lui « contre l’em­ploi et les travailleurs ». Dans son discours final, Sophie Binet a mis l’ac­cent sur les ques­tions « envi­ron­ne­men­tales », reje­tant cette oppo­si­tion entre emploi et luttes écolo­giques, s’at­ti­rant quelques sifflets.

Concer­nant la ques­tion de la réuni­fi­ca­tion syndi­cale, de nombreux inter­ve­nant·es, et cela se reflète dans le docu­ment d’orien­ta­tion, consi­dèrent que « la CGT se suffit à elle-même », qu’elle seule est capable de conduire les luttes. La « démarche de réuni­fi­ca­tion du syndi­ca­lisme », propo­sée par le docu­ment présenté au congrès, en parti­cu­lier avec la FSU et Soli­daires, a été mise de côté, à tel point que lors de la défense d’un amen­de­ment sur ce point, à la ques­tion « est-ce que la réuni­fi­ca­tion syndi­cale n’est plus à l’ordre du jour pour l’ins­tant ? » la commis­sion à la tribune a répondu par l’af­fir­ma­tive.

Les ques­tions fémi­nistes semblent épar­gnées, d’au­tant que Sophie Binet a toujours été très active sur le sujet, en parti­cu­lier contre les violences sexistes et sexuelles au sein de la CGT. D’ailleurs, lors de son inter­ven­tion finale, elle les a expli­ci­te­ment citées, et de façon offen­sive.

Un certain nombre de chan­tiers sont donc en pause, et pas des moindres, comme l’éco­lo­gie et l’uni­fi­ca­tion syndi­cale. Reste main­te­nant à relan­cer ces chan­tiers. Reste aussi à voir dans quelle mesure la CGT ne sera pas para­ly­sée par cette colo­ca­tion et ces divi­sions profondes. Ces divi­sions sont d’ailleurs à la fois poli­tiques et struc­tu­relles entre fédé­ra­tions et unions dépar­te­men­tales, se reflé­tant dans les votes et mettant à mal l’or­ga­ni­sa­tion même de la CGT.

Et à la fin, qui gagne ? La secré­taire géné­rale élue bien entendu. Mais les courants sectaires, anti-écolo­giques et anti-fémi­nistes ont montré qu’ils étaient très présents, capables d’em­pê­cher l’élec­tion d’une secré­taire géné­rale (Marie Buis­son). Olivier Mateu n’a pas été élu à la CEC mais 36 % des délé­gué.es ont mis son nom sur un bulle­tin de vote, le docu­ment d’orien­ta­tion n’a pas été voté par 28 % des mandats, confir­mant ce même rapport de force interne à la CGT. Ce qu’il faudra obser­ver réel­le­ment, c’est la ligne adop­tée par la CGT dans les prochaines semaines ou prochains mois. Le choix de parti­ci­per avec l’in­ter­syn­di­cale à la rencontre du 5 avril avec la première ministre sur un mot d’ordre clair de retrait de la réforme des retraites est un premier élément encou­ra­geant.

Matthieu Brabant

i Sophie Binet a 41 ans et est Conseillère prin­ci­pale d’édu­ca­tion (CPE) de métier, adhé­rente à la CGT Educ’ac­tion 93 (donc à la FERC-CGT, dont Marie Buis­son est secré­taire géné­rale), et secré­taire géné­rale de l’UGICT-CGT (la struc­ture de la CGT réunis­sant les cadres… les person­nels de l’Edu­ca­tion natio­nale pouvant choi­sir ou pas de se consi­dé­rer comme cadres et donc d’adhé­rer à l’UGICT-CGT). Sophie Binet est égale­ment ancienne membre du bureau confé­dé­ral, période Thierry Le Paon, et ancienne vice-prési­dente de l’UNEF au moment de la lutte contre le Contrat de Première Embauche (CPE) en 2006.

ii https://www.cgt.fr/actua­lites/france/inter­pro­fes­sion­nel/envi­ron­ne­ment/le-collec­tif-plus-jamais-ca-appelle-le

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