Quand la police tue Gavroche dans nos rues

https://blogs.media­part.fr/samy-johsua/blog/130723/laisse-pas-trai­ner-ton-fils

« Laisse pas trai­ner ton fils… »

S’est- t-on demandé que font les jeunes qui ne vivent pas dans les quar­tiers popu­laires ? Figu­rez-vous qu’ils et elles sont dehors ! Et ce para­doxe ne choque personne. Bien au contraire, on explique à quel point les familles des quar­tiers popu­laires sont respon­sables de ce qui se passe. Je publie sur mon blog ce texte de Emma­nuelle Johsua, Profes­seure de Lycée Profes­sion­nel à Marseille.

Que font ces jeunes dehors à une heure pareille ?

Depuis ce funeste mardi où le jeune Nahel est mort tué à bout portant par un poli­cier, un vent de colère a traversé le pays. Le répres­sion sur cette jeunesse est terrible et elle s’ap­puie sur une ques­tion immé­dia­te­ment impo­sée : « Mais que font ces jeunes dehors à des heures pareilles ? ».

La crimi­na­li­sa­tion des familles s’est expri­mée de toute part. Au scan­dale des meurtres poli­ciers, il faut ajou­ter le scan­dale de cette idéo­lo­gie nauséa­bonde qui parle d’une partie des enfants de notre pays comme de nuisibles et des mères de ces enfants comme des respon­sables.

Depuis quelque temps, nous assis­tons à une inver­sion des valeurs. Les défen­seur.es de la planète sont des terro­ristes, les oppo­sant.es à la réforme des retraites des ennemi.es de la Répu­blique et les poli­ciers crimi­nels des héros que l’on soutient par une sanglante cagnotte.

Cepen­dant essayons malgré tout de répondre à la ques­tion, non pas en se deman­dant ce que « ces jeunes font dehors à une heure pareille…. » mais plutôt « Pourquoi les jeunes consi­dé­rés comme « non nuisibles » ont le droit d’être dehors sans que cela ne pose de problème à personne. Parce que poser la ques­tion de ce que font les jeunes, c’est poser la ques­tion prin­ci­pale des inéga­li­tés.

Ainsi que font les jeunes qui ne vivent pas dans les quar­tiers popu­laires ? Regar­dons bien.

Figu­rez-vous qu’ils et elles sont dehors. Ils sont avec vous dans votre petit jardin pavillon­naire, en train de prendre le premier apéro de l’été. Ils sont en train de boire des coups sur les terrasses des cafés pour fêter leur bac. Ils profitent de la piscine de leurs ami.es (ou de la vôtre). On les a envoyé à la campagne chez papy et mamy. Ou encore ils sont en colo­nie de vacances, en campings ou je ne sais où….. Bref ils et elles sont dehors.

Car pour une partie de la jeunesse, la planète est un terrain de jeu.

La jeunesse dans son ensemble va mal. Mais quand la jeunesse des beaux quar­tiers arrête d’al­ler à l’école, elle est malade, on parle de « phobie scolaire ». Quand les enfants des quar­tiers popu­laires arrêtent l’école, on parle de « décro­chage scolaire ». Aux uns les soins médi­caux et la compas­sion, aux autres l’ac­cu­sa­tion des « mamans » et la priva­tion de bourse.

La défi­ni­tion du « dehors » n’est pas la même selon où l’on habite. En tant que profes­seure dans les quar­tiers nord de Marseille, je sais à quel point pour certain.es le « dehors » est dange­reux. Plus d’une ving­taine de morts par balle depuis le début de l’an­née, rend l’ex­té­rieur quelque peu dange­reux, n’est-ce pas ?

Alors qu’une certaine jeunesse se déplace en « sans P », enten­dez « voitures sans permis », d’autres meurent assas­si­nés. Et ce para­doxe ne choque personne. Bien au contraire, on explique à quel point les familles des quar­tiers popu­laires sont respon­sables de ce qui se passe. Pas la misère, pas les inéga­li­tés, pas le fait que les parent.es sont celles et ceux des premières lignes qui travaillent quand vous dormez, mais bien un phéno­mène de « dé-civi­li­sa­tion ». Mot qui n’existe pas et que l’on invente pour faire des victimes des crimi­nels.

C’est telle­ment clas­sique que juste­ment les programmes scolaires regorgent de ces exemples clas­siques. Et, toujours en tant qu’en­sei­gnante, je m’étonne de la diffé­rence entre ce que l’on nous fait ensei­gner et de ce qui se dit au sommet de l’Etat. On aime Gavroche, sa révolte, sa gouaille. On comprend que Javert est le méchant et Jean Valjean le gentil. On présente Rosa PARKS comme un exemple. On aime à montrer les enfants pari­siens de Dois­neau jouant dehors à des jeux fort dange­reux, Antoine Dois­nel faisant les quatre-cent coups, volant jusqu’à l’argent de sa pauvre grand-mère et on est triste pour le petit Gibus perdu dans une guerre fratri­cide de villages et battu par son père …

Mais que font ces jeunes dans un terrain vague ou jouant à la guerre ? Comment dans le pays de Hugo, les Gavroches de notre époque peuvent-ils prendre des mois de prison ferme pour avoir ramassé une cannette, un T-shirt, ou deux rouleaux de pièces de 50 centimes, soit 20 euros ?

Nous sommes peu nombreu-ses aujourd’­hui à penser que nous sommes collec­ti­ve­ment respon­sables de ce qui nous arrive. Nous sommes peu nombreu-ses à nous émou­voir des exécu­tions poli­cières pour des délits mineurs. Nous sommes peu nombreu-ses à penser qu’un enfant qui meurt est un enfant qui meurt. Nous sommes peu nombreu-ses à condam­ner la réforme des lycées profes­sion­nels qui compte renvoyer les enfants au travail pour des salaires de misère.

Lorsque les enfants d’Iran se révoltent, nous pensons que ce pays va mal. Lorsque les enfants de Birma­nie se font exécu­ter par l’ar­mée nous pensons que ce pays va mal. Lorsque les enfants noirs améri­cains se révoltent, nous pensons que la police améri­caine est raciste et crimi­nelle et que ce pays va mal. Pourquoi serait-ce diffé­rent chez nous ?

Sur les quatre dernières années, à trois reprises, la Cane­bière a vu des blin­dés. De qui est-ce la faute ?

Des familles, des mamans isolées, de l’école, des écolo­gistes, de la Ligue des droits de l’Homme, de l’op­po­si­tion de gauche, de la famille d’Adama Traoré ? Allons soyons sérieux ! Il est temps de regar­der les Gavroches, quelque soit leur couleur de peau et leurs origines. Il nous faut condam­ner à nouveau les Javert et redire, comme une mili­tante des quar­tiers popu­laires de Marseille samedi 4 juillet dernier, « Liberté, Egalité, Frater­nité : tout est dit ! ».

E. JOHSUA

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.