https://www.mediapart.fr/journal/politique/280624/la-bataille-du-nouveau-front-populaire-est-aussi-une-bataille-des-imaginaires?utm_source=global&utm_medium=social&utm_campaign=SharingApp&xtor=CS3–5
(…) Alors que la peur enserre des millions de personnes inquiètes de voir leurs libertés foulées au pied par un pouvoir arbitraire et raciste, la possibilité d’étonner la catastrophe par la victoire d’un projet égalitaire, écologiste, de justice et d’approfondissement démocratique est une aubaine dont il faut se saisir. Rarement le choix aura été aussi limpide que dans cette élection où un duel entre le RN et le NFP se profile dans un grand nombre de circonscriptions.
Les artisans du programme du NFP, conscients de l’adversité des milieux économiques et médiatiques, ont fait en sorte de rendre perceptible cette alternative en déclinant leur programme selon un ordre chronologique sur les cent premiers jours. « Cela rend les choses très réalistes, ça les fait entrer dans l’esprit des gens, ce qui explique sans doute la fébrilité contre le NFP : on parle concrètement d’un premier ministre et d’un gouvernement de gauche, potentiellement sous moins de trois semaines, et de mesures qui seraient alors appliquées dès le lendemain, ça fait un peu vibrer », constate l’essayiste 28 juin. Mediapart. , qui travaillait au programme du Parti de gauche (PG) avant même l’avènement de La France insoumise (LFI).
Mais, au-delà des réponses techniques apportées par la gauche pour faire la preuve de sa capacité de gouverner, c’est tout un imaginaire de joie et de fête autour d’idéaux communs qu’il faut réveiller. Cet imaginaire, à condition d’être massivement répandu, peut contribuer à déjouer l’impression de l’extrême droite d’être déjà du côté des vainqueurs. (…)
(…) Le philosophe Henri Lefebvre décrit la Commune de Paris, en 1871, comme « la métamorphose de la vie [quotidienne] en une fête sans fin, en une joie sans autre limite ni mesure que la fatalité de la mort, elle-même indéfiniment reculée ».
La philosophe Simone Weil a rapporté la « joie pure » des occupations d’usines en 1936 et l’espoir suscité par la victoire électorale du Front populaire, qui a rendu la conquête des congés payés tangible : « Cela, on en parle avec des yeux brillants, c’est une revendication que l’on n’arrachera plus du cœur de la classe ouvrière. »
L’historien et résistant Marc Bloch voyait dans le Front populaire « quelque chose de l’atmosphère du Champ de Mars, au grand soleil du 14 juillet 1790 » – en référence à la Fête de la Fédération –, et attribuait à l’inverse l’« étrange défaite » de 1940 à la perte de contact des élites avec « ces sources profondes » : « Ce n’est pas un hasard si notre régime, censément démocratique, n’a jamais su donner à la nation des fêtes qui fussent véritablement celles de tout le monde. »
L’extrême droite part certes avec une longueur d’avance : « Elle a pris l’avantage sensuel depuis des années : il suffit de voir sur CNews le plaisir de revanche des dirigeants de l’extrême droite médiatique », constate le philosophe Michaël Fœssel. (…)
(…)
« Le vote NFP pourrait devenir, plus qu’un vote d’opposition, un vote d’espoir. Sur l’écologie, il n’y a même pas photo : l’espoir ne peut venir que de là », note Corinne Morel Darleux. « On peut faire tellement plus et tellement mieux que simplement battre l’extrême droite. On peut battre l’extrême droite en votant pour les salaires, pour le climat, pour les droits des femmes, pour la liberté, pour la démocratie », résumait récemment la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
Le député sortant de la Somme, François Ruffin, initiateur du NFP, met un point d’honneur à ce que la gauche suscite l’adhésion par une forme d’allégresse subversive, malgré la gravité du moment – et cette idée se diffuse.
Déambulations festives, « convois de la victoire » dans les « swing circos » et autres ripostes citoyennes spontanées à l’extrême droite, jusque dans ses bastions réputés imprenables (…)
« Ce à quoi aspirent les derniers démocrates, ce sont des expériences communes, des joies communes, et pas seulement des barrages. Les meilleures digues sont celles qu’on constitue avec nos corps et nos affects joyeux, approuve Michaël Fœssel, qui invitait la gauche à redevenir l’étendard d’une sociabilité heureuse dans son livre Quartier rouge : Le plaisir et la gauche (PUF, 2023). Quelle que soit l’issue du vote le 7 juillet, il faudra réinvestir des figures de l’ironie, du rire, de la moquerie, montrer que les joies que l’extrême droite promet sont négatives et que les jours heureux, c’est nous. »
Plusieurs figures du NFP dont Clémentine Autain prennent ce chemin en revendiquant, en cas de victoire, « une nouvelle révolution culturelle qui remplace la triste course à l’accumulation matérielle par une heureuse économie du partage ». Quoi qu’il arrive, la socialisation politique intense que connaissent des dizaines de milliers de personnes à la faveur de cette campagne vitale invite à une part d’optimisme. (…)