Producteurs et parasites. L’imaginaire si désirable du Rassemblement national, Michel Feher, La Découverte, 270 pages, 16 euros.
(…) Reste que traiter le vote RN d’exutoire malencontreux à un sentiment d’abandon revient à faire l’impasse sur son attractivité. Il n’est assurément pas question de nier que l’essor de l’extrême droite est étroitement corrélé aux transformations du travail, à la libre circulation du capital ou à la propagation de discours anxiogènes dans l’espace public.
Une autre lutte des classes
(…)
« Tout autre est l’antagonisme mis en avant par le parti de Marine Le Pen : plutôt qu’aux tensions structurelles entre rémunération du travail et rendement du capital, il renvoie à une opposition de nature entre producteurs et parasites. Les premiers, qui comptent dans leurs rangs des chefs d’entreprise, des indépendants et des salariés, contribuent à la richesse nationale par leurs investissements, leur activité professionnelle et leurs impôts. Les seconds, qui sont tantôt des spéculateurs impliqués dans la circulation du capital, financier ou culturel, et tantôt des « assistés » bénéficiant de la redistribution des revenus et des droits, ne prospèrent qu’en accaparant le produit des efforts d’autrui.
Fondée sur la « valeur travail » – lointain rejeton de la théorie classique qui fait du travail le fondement de la valeur –, la division de la société en contributeurs méritants et en prédateurs oisifs s’accompagne d’un imaginaire où le progrès social prend la forme de l’épuration. Là où l’émancipation selon Karl Marx suppose l’avènement d’une classe dont les intérêts particuliers sont ceux de l’humanité tout entière, la révolution nationale qu’une formation telle que le RN appelle de ses vœux vise au contraire à restaurer une communauté saine et productive grâce à l’expulsion des éléments parasitaires infiltrés en son sein.