5 décembre 2025

Pascal Maillard. Gaza ou la fin de l’hu­ma­nité

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L’in­nom­mable a lieu sous nos yeux. Des images de camp de concen­tra­tion sortent de Gaza. Les actes les plus horribles sont commis impu­né­ment chaque jour par le gouver­ne­ment et l’ar­mée israé­lienne. Enfer­mer toute une popu­la­tion civile dans un espace limité, la bombar­der en perma­nence de manière aléa­toire pour la terro­ri­ser, la priver du droit à des soins en détrui­sant tous les hôpi­taux, l’af­fa­mer volon­tai­re­ment, la dépla­cer conti­nuel­le­ment pour l’épui­ser, tuer un millier de civils qui viennent cher­cher de la nour­ri­ture sur les lieux de distri­bu­tion mis en place par leurs bour­reaux, assas­si­ner des dizaines de jour­na­listes pour que les massacres se déroulent à huis-clos : tout ceci n’a pas d’équi­valent dans l’his­toire contem­po­raine. La barba­rie d’Is­raël nous fait sortir de la civi­li­sa­tion et de l’hu­ma­nité. Nous ne sommes pas face à une guerre, mais face au massacre et à l’ex­ter­mi­na­tion lente, métho­dique et inten­tion­nelle d’une popu­la­tion civile sans défense.

Nous sommes nombreux à être profon­dé­ment choqués par le fait que le peuple qui commet aujourd’­hui un géno­cide avéré et docu­menté est celui-là même qui en fut, au XXe siècle, la victime. On nous dit aujourd’­hui que ce paral­lé­lisme est inad­mis­sible au prétexte de la respon­sa­bi­lité éthique et mémo­rielle dont toute l’hu­ma­nité est char­gée. On ne conteste pas ce devoir de mémoire qui est aussi un devoir de connais­sance. Mais il est temps de poser avec fermeté que c’est bien parce que le peuple juif a été la victime de l’un des géno­cides les plus effroyables du XXe siècle qu’il porte aujourd’­hui une respon­sa­bi­lité insigne.

Car, en tant que garants de cette mémoire du géno­cide, en tant que témoins de l’in­nom­mable, en tant que victimes, enfants et petits-enfants de victimes, les membres de la commu­nauté juive, quelle que soit leur diver­sité et leur sensi­bi­lité, qu’ils vivent en Israël ou ailleurs dans le monde, ne peuvent pas accep­ter, humai­ne­ment et mora­le­ment, en raison même de l’his­toire et du devoir de mémoire, qu’Is­raël commette en leur nom des actes de barba­rie et des crimes impres­crip­tibles, compa­rables à ceux qui ont été commis par les pires dicta­tures du 20ème siècle. Et ceci, quel que soit le degré de barba­rie des actes commis par le Hamas le 7 octobre 2023. La loi du talion, qui n’a aucune exis­tence dans le droit inter­na­tio­nal, ne saurait être appliquée à la puis­sance 10. Faudra-t-il à Neta­nya­hou et à ses ministres d’ex­trême droite 100 000 pales­ti­niens morts pour que le millier de victimes juives du Hamas soit vengé ? Et surtout, faudra-t-il attendre ces 100 000 morts pour que ce qu’on nomme « la commu­nauté inter­na­tio­nale » daigne bouger le petit doigt ?

Trois faits incon­tes­tables dési­gnent comme complices du géno­cide des pales­ti­nien·nes tous les États qui laissent faire Israël, au premier rang desquels les Etats-Unis, qui disposent des moyens poli­tiques, écono­miques et diplo­ma­tiques pour mettre fin au géno­cide.  Mais aussi l’Eu­rope qui a oublié quelle place elle devrait avoir dans la défense des droits humains et du droit inter­na­tio­nal. La France, qui bégaie quelques pauvres mots de protes­ta­tion, ne fait rien. Et la majo­rité des pays arabes, téta­ni­sés, se taisent, alors que les peuples grondent.

1. Le premier fait qui atteste de notre respon­sa­bi­lité et de notre compli­cité, est que la barba­rie a lieu sous nos yeux, à la connais­sance de toutes et tous. Jamais ne s’est produit dans l’his­toire de l’hu­ma­nité un géno­cide « en direct », qui exige­rait par consé­quent de toute conscience humaine et de tout État démo­cra­tique une action immé­diate pour y mettre fin. Jamais ne s’est produit dans l’his­toire de l’hu­ma­nité un géno­cide « en direct » qui se solde par une telle inac­tion poli­tique de la commu­nauté inter­na­tio­nale. Une honte univer­selle.

2. Le second fait est que le géno­cide dure depuis plus de 20 mois. 20 mois de compli­cité avec le pire, 20 mois d’ater­moie­ments et d’in­di­gna­tions, vraies ou feintes. 20 mois de protec­tion d’Is­raël et de consen­te­ment à l’ex­ter­mi­na­tion d’un peuple. Parce qu’il a duré 20 mois et plus, ce géno­cide durera toujours. Le long et terrible géno­cide des pales­ti­nien·nes restera une tache indé­lé­bile dans l’his­toire de la civi­li­sa­tion. Cette histoire de la civi­li­sa­tion est en train de deve­nir une histoire de la barba­rie. Les bour­reaux reste­ront bour­reaux à perpé­tuité, et les victimes seront toujours des victimes. Rien ne pourra effa­cer cela. Et rien ne pourra effa­cer que nous sommes complices de cela.

3. Le troi­sième fait tient à la singu­la­rité irré­duc­tible de la protec­tion du bour­reau qui consiste à assi­mi­ler toute condam­na­tion d’Is­raël à une posture anti­sé­mite. La critique est inter­dite, « forclose » comme diraient les psycha­na­lystes, pour le simple fait que le peuple juif a été victime d’un effroyable géno­cide.  Est apparu, en France tout parti­cu­liè­re­ment, une sorte de néga­tio­nisme du géno­cide. Son arme est deve­nue l’in­cri­mi­na­tion univer­selle d’an­ti­sé­mi­tisme, dont un mouve­ment poli­tique coura­geux a fait les frais. Dénon­cer le géno­cide c’est méca­nique­ment être anti­sé­mite. Dans quelle folie ce néga­tion­nisme et cette inver­sion de toutes les valeurs nous ont-ils fait entrer ?

La lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme passe par la libre critique et la dénon­cia­tion sans conces­sion de la poli­tique d’Is­raël. Forclore cette critique, c’est renfor­cer l’an­ti­sé­mi­tisme, dont l’aug­men­ta­tion ces derniers mois s’ex­plique autant par les abjectes campagnes média­tiques et poli­tiques de déni­gre­ment des soutiens de la Pales­tine que par la poli­tique israé­lienne elle-même.

Cette critique radi­cale est d’au­tant plus néces­saire qu’un pacte se confirme entre le techno-fascisme étasu­nien et le géno­cide des pales­ti­nien·nes mis en œuvre par l’État israé­lien. Il repose sur un objec­tif commun qui consti­tue la face la plus hideuse du capi­ta­lisme de préda­tion : en finir défi­ni­ti­ve­ment avec la ques­tion pales­ti­nienne et raser Gaza pour y construire la Riviera du Moyen-Orient (voir ici et ). Trump et Neta­nya­hou, mais aussi des groupes de pres­sion finan­ciers de pays euro­péens, travaillent à cette solu­tion radi­cale qui sert à la fois le projet de « grand Israël » de Neta­nya­hou et les inté­rêts finan­ciers et immo­bi­liers des Etats-Unis et de plusieurs pays occi­den­taux : exter­mi­ner et dépor­ter massi­ve­ment une popu­la­tion pour alimen­ter un capi­ta­lisme sauvage qui détruit aussi notre planète, c’est-à-dire l’hu­ma­nité.

Trump et Neta­nyahu sont des préda­teurs. Les liens mani­festes entre le géno­cide et les exac­tions d’un capi­ta­lisme de préda­tion nous indiquent la voie que devraient prendre les mobi­li­sa­tions inter­na­tio­nales pour mettre fin à cette barba­rie : les inté­rêts écono­miques d’Is­raël et toutes les coopé­ra­tions inter­na­tio­nales qui alimentent direc­te­ment ou indi­rec­te­ment son écono­mie de guerre.

Si l’Eu­rope avait appliqué à Israël la moitié des sanc­tions prises contre la Russie, des milliers de vie aurait pu être sauvées à Gaza. Mais il n’est certai­ne­ment pas trop tard. Listons et boycot­tons toutes les entre­prises françaises qui commercent avec Israël (voir ici la campagne BDS), et nous ferons bouger nos gouver­nants, inertes et complices de crimes contre l’hu­ma­nité. Bayrou et Macron, inertes et complices.

Ces derniers devraient médi­ter ces propos des juges du Tribu­nal pénal inter­na­tio­nal pour l’ex-Yougo­sla­vie : les crimes inter­na­tio­naux  « ne sont pas le fait de la propen­sion d’in­di­vi­dus isolés à commettre des actes crimi­nels, mais sont des mani­fes­ta­tions d’un compor­te­ment crimi­nel collec­tif : ils sont souvent exécu­tés par des groupes d’in­di­vi­dus agis­sant de concert aux fins de la réali­sa­tion d’un dessein crimi­nel commun »

Tout État et toute orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale qui dispo­sant de moyens pour mettre fin à un géno­cide, n’en fait aucun usage, peut être complice de crime contre l’hu­ma­nité. Je recom­mande la lecture de ce texte.

Israël nous met ainsi face une terrible situa­tion : l’hu­ma­nité complice d’un crime contre l’hu­ma­nité. Une huma­nité téta­ni­sée, une huma­nité qui renonce à agir, une huma­nité qui ignore la valeur univer­selle de la vie, une huma­nité qui sort de l’hu­ma­nité. Où est donc l’hu­ma­nité qui se bat pour faire respec­ter le droit inter­na­tio­nal? Où est l’hu­ma­nité qui se bat pour l’hu­ma­nité ? Elle est dans les rues et non au sommet des États.

Je termi­ne­rai ce texte par une dernière ques­tion. Arri­vera un jour où un tribu­nal pénal inter­na­tio­nale condam­nera l’État d’Is­raël pour nettoyage ethnique, dépor­ta­tion de popu­la­tions, crimes de guerre et géno­cide. Comment les jeunes géné­ra­tions des diverses commu­nau­tés juives vivront-elles la contra­dic­tion de devoir porter à la fois la mémoire de la Shoah et celle des crimes contre l’hu­ma­nité commis par l’Etat d’Is­raël avec le soutien ou la compli­cité silen­cieuse de la majo­rité de leurs aînés ?

Pascal Maillard

PS : En prolon­ge­ment à ce texte, je me permets de renvoyer à un autre billet de blog qui date de novembre 2023 : « L’Hu­ma­nité, la vie ». Je recom­mande égale­ment de voir le docu­men­taire d’Arte inti­tulé « Israël : les ministres du chaos ». Enfin je tiens pour remarquable la posi­tion expri­mée par le philo­sophe Jacob Rogo­zinski dans Le Monde le 5 février 2025 : « Qui nous pardon­nera si nous ne parve­nons pas à deman­der pardon pour ces crimes à Gaza ? » On peut lire cette tribune ici. Le présent billet n’ignore pas le courage de milliers de juives et de juifs qui, en Israël et à travers le monde, se mobi­lisent contre le géno­cide commis en leur nom par l’État israé­lien. Voir ici, par exemple.

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