5 décembre 2025

Le Monde; 28 juillet. « Il faut appe­ler un géno­cide par son nom »

https://www.lemonde.fr/inter­na­tio­nal/article/2025/07/28/deux-ong-israe­liennes-se-prononcent-sur-l-opera­tion-de-l-armee-a-gaza-il-faut-appe­ler-un-geno­cide-par-son-nom_6624845_3210.html

https://www.lemonde.fr/inter­na­tio­nal/article/2025/07/28/deux-ong-israe­liennes-se-prononcent-sur-l-opera­tion-de-l-armee-a-gaza-il-faut-appe­ler-un-geno­cide-par-son-nom_6624845_3210.html

« Il faut appe­ler un géno­cide par son nom » : deux ONG israé­liennes se prononcent sur l’opé­ra­tion de l’ar­mée à Gaza

B’Tse­lem et Physi­cians for Human Rights sont deux orga­ni­sa­tions phares de la société civile israé­lienne, à la pointe de la défense des droits humains. Elles publient conjoin­te­ment, lundi 28 juillet, deux rapports qui concluent que l’ar­mée pour­suit à Gaza une poli­tique inten­tion­nelle de destruc­tion de la société pales­ti­nienne.

Propos recueillis par  (Jéru­sa­lem, envoyé spécial)

B’Tse­lem et Physi­cians for Human Rights Israel (PHRI, Méde­cins pour les droits humains) sont deux piliers de la société civile israé­lienne, au premier rang de la lutte contre l’oc­cu­pa­tion des terri­toires pales­ti­niens. Fondée en 1989, dans le contexte de la première Inti­fada, B’Tse­lem est la plus pres­ti­gieuse orga­ni­sa­tion de défense des droits humains du pays. Elle a reçu en 2018 le prix des droits de l’homme de la Répu­blique française. Créée en 1988, PHRI est à l’avant-garde de la défense des droits humains dans le domaine de la santé.

Lundi 28 juillet, ces deux ONG ont rendu publics deux rapports consa­crés à la guerre lancée à Gaza en réac­tion à l’at­taque terro­riste du 7-Octobre. L’un et l’autre concluent qu’« Israël mène des actions coor­don­nées pour inten­tion­nel­le­ment détruire la société pales­ti­nienne à Gaza. En d’autres mots, qu’Is­raël commet un géno­cide ». Yuli Novak, direc­trice de B’Tse­lem, et Guy Shalev, son homo­logue pour PHRI, expliquent leur démarche.

Comment êtes-vous parve­nus à la conclu­sion que l’ar­mée israé­lienne commet un géno­cide à Gaza ?

Yuli Novak : Nous avons collecté toutes les infor­ma­tions dispo­nibles sur les actions de l’ar­mée à Gaza. Cela nous a amenés à la conclu­sion qu’Israël mène de façon coor­don­née et inten­tion­nelle une poli­tique desti­née à détruire la société pales­ti­nienne dans la bande de Gaza. Tout ce dont les êtres humains ont besoin pour vivre est ciblé, tout ce sur quoi repose la société, en commençant par les habi­ta­tions, les infra­struc­tures, etc. Un géno­cide, ce n’est pas seule­ment des tueries de masse. Ce qui s’ob­serve à Gaza s’ins­crit dans un proces­sus de destruc­tions, coor­donné et cohé­rent.

Guy Shalev : En exami­nant les actions de l’ar­mée israé­lienne à Gaza, le côté systé­ma­tique de ses attaques contre le secteur de la santé nous a instan­ta­né­ment frap­pés. La liste est verti­gi­neuse. Depuis octobre 2023, 300 employés du secteur de la santé de Gaza ont été tués, plus de 1 500 ont été placés en déten­tion. Les premiers ordres d’éva­cua­tion d’hô­pi­taux surviennent dès le début de la guerre, en octobre 2023. C’est le début d’une longue série de destruc­tions, semaine après semaine, avec des établis­se­ments attaqués, du maté­riel détruit, jusqu’à ce que le système de santé s’ef­fondre.

G. S. : Alors pourquoi dans ce cas détruire tout le système de soins et mettre en danger la vie de la popu­la­tion ? Il y a eu 57 000 morts à Gaza en vingt et un mois, dont 70 % de femmes et d’en­fants. Près de 100 000 personnes ont été bles­sées et près de 5 000 ont été ampu­tées, dont un cinquième sont des enfants. Il y a 25 000 Pales­ti­niens qui attendent déses­pé­ré­ment de sortir de Gaza pour être soignés. Plus de 600 patients sont morts en atten­dant cette évacua­tion. Et n’ou­blions pas la famine, résul­tat du blocus partiel ou total imposé à l’aide huma­ni­taire pendant des mois. Un système qui fonc­tion­nait avec 400 points de distri­bu­tion a été anéanti et remplacé par une cari­ca­ture, la Gaza Huma­ni­ta­rian Foun­da­tion, qui n’a ouvert qu’une poignée de centres, où les gens affa­més se font tirer dessus.

Qu’est-ce qui vous pousse à penser que ces pratiques, si terribles soient-elles, entrent dans la caté­go­rie du géno­cide ?

G. S. :(…) Les actions de l’ar­mée à Gaza corres­pondent à la défi­ni­tion de trois des cinq actes, qui, commis dans l’in­ten­tion de détruire tota­le­ment ou partiel­le­ment un groupe natio­nal, ethnique, racial ou reli­gieux, sont consti­tu­tifs, pour chacun d’eux, du crime de géno­cide : meurtres de membres du groupe, atteinte grave à leur inté­grité physique ou mentale, soumis­sion inten­tion­nelle à des condi­tions d’exis­tence menant à la destruc­tion physique.

La ques­tion de l’in­ten­tion est cruciale dans la déter­mi­na­tion d’un géno­cide. Sur quoi vous basez-vous pour l’éta­blir ?

Y. N. : Les décla­ra­tions de respon­sables israé­liens, aussi bien poli­tiques que mili­taires, concer­nant les objec­tifs de l’opé­ra­tion à Gaza vont dans ce sens depuis le début de la guerre. Nous avons des quan­ti­tés énormes de témoi­gnages, de vidéos, depuis les hauts respon­sables jusqu’aux comman­dants de terrain et leurs hommes. Ils disent qu’il n’y a pas d’in­no­cents et ils parlent de façon claire de détruire Gaza.

Certains experts doutent du carac­tère indis­cu­table de cette inten­tion. Que leur répon­dez-vous ?

G. S. : Je pense qu’il y aura de la place, dans le futur, pour débattre de ces ques­tions devant une juri­dic­tion. Il sera possible ce jour-là, j’en suis convaincu, de démon­trer le carac­tère indis­cu­ta­ble­ment géno­ci­daire des déci­sions prises par les respon­sables israé­liens.

(…)

Le but de la guerre consis­tait en premier lieu à détruire le Hamas, qui venait de commettre des actes d’une violence inouïe en Israël. Comment les quali­fiez-vous ?

Y. N. : Je n’ai aucune hési­ta­tion à ce sujet. Le Hamas a commis des actes rele­vant de crimes de guerre innom­brables et de crimes contre l’hu­ma­nité. Ils ont mené des massacres contre des gens qui étaient, dans leur vaste majo­rité, des civils inno­cents. Mais cela ne change rien à la façon dont agit l’ar­mée israé­lienne depuis près de deux ans main­te­nant.

Au sein d’une société israé­lienne toujours sous le choc du 7-Octobre, vos rapports risquent de déclen­cher une tempête, plutôt qu’une discus­sion…

Y. N. : Le 7-Octobre, la société israé­lienne a subi une attaque d’une horreur incom­men­su­rable. Cela a créé un senti­ment de menace exis­ten­tielle pour tous les Israé­liens. Je le ressens moi-même de manière très forte. Mais cela a aussi consti­tué un élément déclen­cheur. Le régime d’oc­cu­pa­tion est intrin­sèque­ment violent, mais il obéis­sait à certaines limites. Le 7-Octobre, ces digues ont lâché. Ce n’est pas, malheu­reu­se­ment, une parti­cu­la­rité.

(…) Cela a engen­dré le senti­ment chez beau­coup d’Is­raé­liens que les Pales­ti­niens, notam­ment ceux de Gaza, sont des enne­mis et n’ont, au fond, pas le droit de vivre là.

G. S. : La société israé­lienne doit avoir la possi­bi­lité de se rendre compte de ce qui est en train d’être fait à Gaza. Des spécia­listes de la ques­tion des géno­cides, notam­ment de la Shoah – Omer Bartov et Amos Gold­berg, par exemple –, sont arri­vés à la même conclu­sion que nous, et ils ont eu le courage de le dire. J’ajou­te­rais que notre propre expé­rience nous oblige à parler ainsi. Tous les jours, nous commu­niquons avec des gens, dont des méde­cins, à Gaza, qui nous décrivent les horreurs autour d’eux, tout ce qui leur manque, les enfants affa­més, les ampu­ta­tions sans anes­thé­sie. Il y a une dimen­sion théo­rique dans notre approche, mais elle est nour­rie de cette fréquen­ta­tion au quoti­dien de l’hor­reur à Gaza.

Avez-vous réussi à convaincre les gens autour de vous de la vali­dité de votre lecture de la situa­tion ?

G. S. : Il est diffi­cile de parler de ce sujet en Israël. Depuis le 7-Octobre, j’ai perdu des amis. Certains ne veulent rien entendre des faits auxquels je suis confronté tous les jours. (…)

Des sondages récents établissent que 70 % à 80 % de la popu­la­tion israé­lienne souhaite que les habi­tants de Gaza soient expul­sés vers d’autres pays. Est-ce que ce point de vue peut l’em­por­ter ?

Y. N. : Je crois qu’un chan­ge­ment a commencé à se produire au sein de la société. C’est assez neuf. Les Israé­liens voient des enfants qui meurent de faim. Cela entraîne une inflexion dans les menta­li­tés. Mais cela n’aura pas, en soi, le pouvoir de stop­per les choses. Voilà où nous en sommes. C’est si triste.

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