Depuis ses premiers succès électoraux, Alexis Tsipras a cherché à s’appuyer sur le pouvoir français. Il n’a rien obtenu. Pire, François Hollande et ses ministres ont accompagné les positions de la droite européenne.
La décision d’Alexis Tsipras de soumettre à son peuple la proposition d’accord en forme de diktat de la Troïka a fait tomber les masques. Sans attendre le verdict des urnes, les ministres des finances ont décidé samedi 27 juin, sans le ministre grec, de refuser de prolonger de quelques jours le programme actuellement en place. Dans la foulée, dimanche matin la BCE annonçait interrompre les refinancements d’urgence aux banques grecs. Ce coup de force financier qui revient à suspendre la participation de la Grèce à la zone euro témoigne de l’hostilité viscérale des responsables de l’UE à l’expression de la volonté populaire.
Le gouvernement dirigé par Syriza fait au contraire appel à la démocratie. Depuis janvier, le premier gouvernement élu en Europe sur un mandat d’opposition aux politiques néolibérales a été soumis au supplice de la goutte : la BCE a limité l’accès des banques à son refinancement, les intérêts perçus sur la dette grecque par la BCE et qui devaient être reversés au gouvernement grec ne l’ont pas été, un fond destiné à la capitalisation des banques grecs a lui aussi été séquestré. Ces derniers jours, la pression est encore montée d’un cran. La Banque centrale européenne et la Banque de Grèce se sont mises à spéculer publiquement sur les risques de bank run jusqu’à couper dimanche le robinet des liquidités, un véritable sabotage politique visant à accélérer les retraits du système bancaire grec et provoquer une panique dans la population afin de faire plier Tsipras.
Furie néolibérale
Cette stratégie a échoué. Après des mois de ruse pour retarder l’échéance, le portefeuille vide et sous la menace d’un défaut imminent, Alexis Tsipras avait été contraint à d’énormes concessions : passage progressif de l’âge de la retraite à 67 ans, augmentation de diverses taxes et cotisations, privatisations. Un ajustement supplémentaire de 8 milliards d’euros allait entraîner la poursuite de la dépression économique, une hausse du chômage et de la pauvreté. Mais, bien que le montant du resserrement auquel il avait consenti soit exactement conforme aux exigences de la Troïka, la proposition de Syriza de limiter l’impact sur les plus pauvres a été rejetée la semaine dernière à Bruxelles. En recalant la taxe proposée sur les gros profits et en exigeant davantage de sacrifice sur les retraites la Troïka voulait ajouter l’humiliation à la défaite de Syriza. Cette dernière goutte de furie néolibérale a eu raison de la volonté du gouvernement grec de composer et l’a amené à convoquer un référendum.
A la question « Oui ou non acceptez-vous la proposition d’accord formulée par les institutions ? », les Grecs ont toutes les raisons de voter « Non ». Les mesures exigées ne feraient qu’aggraver la situation en Grèce sans pour autant ni résoudre la question de la dette, ni rapprocher les peuples européens. Au contraire, l’échec certain du programme se traduirait par une litanie d’objectifs manqués et un nouveau cycle de récriminations, nourrissant méthodiquement une Europe de la rancœur. Désormais, la rupture de la Grèce avec le cœur néolibéral de l’Europe est engagée. C’est un immense défi pour ce peuple, mais la seule option dont il dispose pour conserver sa dignité et engager sa reconstruction économique et sociale.
La politique de droite de François Hollande
La responsabilité de François Hollande dans ce retournement est immense. Depuis ses premiers succès électoraux, Alexis Tsipras a cherché à s’appuyer sur un pouvoir français qu’il pensait être de gauche afin de faire pencher la balance en Europe et desserrer l’étau sur la Grèce. Il n’a rien obtenu. Rien. Pas une déclaration de soutien à l’idée de rompre avec l’austérité, pas une attention à la proposition d’organiser une conférence européenne sur la dette. Pire, François Hollande et ses ministres ont accompagné les positions de la droite européenne. Ils ont repris à l’identique l’argument fallacieux sur les prétendues dettes des grecs vis-à-vis des autres contribuables européens, alors que plus de 90% de la dette internationale de la Grèce a servi à renflouer le système financier. Propagandistes zélés du There is no alternative de Margaret Thatcher, les responsables français n’ont cessé d’insister sur la nécessité de respecter des règles budgétaires qui alimentent la récession et de prêcher en faveur de réformes structurelles qui ne font que donner le champ libre au capital aux dépens du commun et des droits sociaux.
François Hollande qui mène une politique économique et sociale de droite dans l’hexagone a été pleinement cohérent avec cette orientation sur la scène européenne. S’il était habité par un sens de la justice sociale et de la solidarité internationale, il aurait dû défendre publiquement d’autres options. Il lui aurait fallu commencer par refuser le Pacte de stabilité qui constitutionalise l’austérité, puis répondre positivement à la proposition grecque d’une conférence continentale sur la dette. Hollande aurait aussi dû s’opposer à ce que la BCE mobilise plusieurs milliers de milliards d’euros en faveur du secteur financier et imposer à la place le financement d’un plan européen d’investissement, de recherche et de création d’emplois pour faire transiter nos sociétés vers la sobriété énergétique. Son mandat aurait du être l’occasion de poser les premières briques d’une protection sociale européenne, de prendre à bras-le-corps les dysfonctionnements de la monnaie unique… les chantiers ne manquent pas. Hélas, le président français n’a même pas perdu. Il n’a mené aucune de ces batailles, accompagnant la sclérose de l’Union Européenne dans un carcan néolibéral qui lui devient consubstantiel.
Amis grecs, la triste réalité est que pour construire l’Europe des solidarités dont nous avons besoin, il ne faut compter ni sur François Hollande, ni sur un Parti socialiste désormais fermement arrimé dans une grande coalition européenne permanente avec la droite. Mais sachez aussi que dans ce moment périlleux, votre courage galvanise des forces sociales et politiques qui, à votre suite, travaillent à construire l’alternative en France et sur le continent.
J’invite toutes les personnes et organisations qui n’ont pas renoncé à construire une autre Europe à exprimer leur colère contre l’attitude de François Hollande, et leur soutien au peuple grec, au cours des manifestations de ces prochains jours. Dès les élections régionales de décembre prochain, une alternative politique doit se cristalliser, en lien avec les mobilisations populaires, qui montrera qu’existe encore en France une gauche œuvrant en faveur du progrès et de la justice sociale.
Clémentine AUTAIN Porte-parole d’Ensemble-Front de Gauche, directrice du journal Regards