Cher camarade,
tu ne fais pas partie des chefs du PS, des apparatchiks, tu as le coeur bien à gauche et tu restes socialiste ce que, je dois te l’avouer, je n’ai jamais vraiment su m’expliquer.
Lundi matin, lendemain de deuxième tour des Régionales, tu es venu me voir directemement, peu avant l’embauche, tout guilleret, pour partager avec moi tes émotions, ta joie : la « gauche » (ce sont tes termes) l’avait emporté haut la main contre la droite et le FN.
En effet, le report de voix à gauche de la gauche a été massif. La liste PS-EELV a gagné largement et dans la Vienne cette liste est passée en pourcentage devant la droite et le FN dans bon nombre de communes où cela n’était pas arrivé depuis belle lurette. Il y avait dans ton sourire une joie de la puissance retrouvée et de la satisfaction de la victoire.
Je n’ai pas répondu à ta joie et ma réponse t’as mis mal à l’aise. En substance je t’ai rappelé ceci : tu oublies de mentionner que si le PS a augmenté, le FN aussi a augmenté en nombre de voix entre les deux tours : à chaque élection, à chaque tour, de plus en plus d’électeurs et d’électrices votent FN. Que le FN n’a jamais eu autant d’élu-es dans les communes et les Régions que maintenant. Et ça, ça ne me terrifie. L’extrême droite, c’est pas la droite en pire. C’est autre chose, c’est un ailleurs dont une population ne revient pas indemne (et a fortiori un syndicaliste, ce que je suis aussi). Certes pour l’instant le FN se fait plutôt discret, light, car il a dans son viseur l’échéance de la Présidentielle de 2017 et ses pleins pouvoirs. Mais le fond discriminatoire et guerrier est bien là, tapi, qui n’attend que son heure, et qui cherchera à imposer un discours de haine et de peurs dans la population.
Et puis je me suis énervé : « promets-moi que le PS va comprendre, qu’il arrêter de nous cracher dessous, nous les gens d’en bas ! Promets-moi qu’ils vont faire une politique de partage des richesses moins inégalitaire ! Jure-moi qu’ils ne vont pas profiter de ce vote dès ce mois-ci pour poursuivre et amplifier la même politique qui désespère la gauche et fourni le terreau de la montée du FN »
J’étais tellement dégoûté que j’ai même oublié de rappeler que la seule opposition au libéralisme régionale du PS, elle sera sur sa droite car il n’y aura aucun-e élu-e de gauche sans guillemet.
Bon. À ce moment-là tu t’es décomposé. Tu savais que je disais vrai, ce qui a douché ton enthousiasme. Cela n’a pas pour autant calmé mes inquiétudes : à quoi sert-il d’avoir raison tout seul ? D’ailleurs, en démocratie, n’est-ce pas déjà avoir tort que d’avoir raison tout seul ?
Bien sûr, très rapidement, à gauche il va falloir réagir, remettre tout à plat, ouvrir en grand le chantier des mots, regrouper, borner le poids des partis, laisser libre court au souffle de la contestation et du projet, rajeunir, féminiser, briser la foire aux égos de 2017 (en proposant un-e candidat-e hors parti ?)
Oui, très rapidement.
Mais chaque chose en son temps. Aujourd’hui j’ai comme qui dirait du mal à avaler.
Pascal Canaud