Appel. « Cons­truire un inter­na­tio­na­lisme popu­laire et déco­lo­nial »

Face à la fasci­sa­tion du monde, renfor­cer les soli­da­ri­tés popu­laires Sud-Nord

Face à la fasci­sa­tion du monde, renfor­cer les soli­da­ri­tés popu­laires Sud-Nord

Des respon­sables de diverses orga­ni­sa­tions signent cette tribune pour affir­mer leur volonté de construire un inter­na­tio­na­lisme popu­laire et déco­lo­nial, ancré dans les luttes concrètes des Suds et des diaspo­ras, pour faire face à l’ag­gra­va­tion sans précé­dent des logiques de guerre, de domi­na­tion et d’ex­ploi­ta­tion à l’échelle mondiale.

Nous assis­tons à une aggra­va­tion sans précé­dent des logiques de guerre, de domi­na­tion et d’ex­ploi­ta­tion à l’échelle mondiale.

Les pays du Sahel sont pris dans un étau entre néoco­lo­nia­lisme français, inter­ven­tions armées étran­gères et terro­risme isla­miste. L’ar­mée israé­lienne mène une guerre géno­ci­daire contre le peuple pales­ti­nien à Gaza. L’Ukraine subit, depuis trois ans, l’agres­sion impé­ria­liste de la Russie. Ces violences convergent : elles traduisent le bascu­le­ment des rela­tions inter­na­tio­nales dans une nouvelle phase d’im­pé­ria­lisme brutal, mili­ta­risé et auto­ri­taire, porté par des puis­sances concur­rentes mais complé­men­taires dans leur mépris des peuples.

La montée en puis­sance des lobbies mili­taro-indus­triels accom­pagne l’ex­pan­sion d’une écono­mie de guerre mondia­li­sée, dont la France, deuxième expor­ta­teur d’armes au monde, est un acteur central. En paral­lèle, les États répriment, censurent, crimi­na­lisent.

Une véri­table inter­na­tio­nale réac­tion­naire se met en place : extrême droite, techno-liber­taires, supré­ma­tistes, mascu­li­nistes, alliés autour d’un projet de société fondé sur la peur, la haine et la domi­na­tion. Ces courants se déploient dans les gouver­ne­ments, les médias, les algo­rithmes, impo­sant une vision sécu­ri­taire, isla­mo­phobe, anti-migrants, et tentant d’étouf­fer les soli­da­ri­tés popu­laires.

Reje­ter tous les impé­ria­lismes, d’où qu’ils viennent
Loin de s’op­po­ser, les pôles impé­ria­listes – États-Unis, Russie, Union euro­péenne, Chine – se disputent les hégé­mo­nies régio­nales tout en s’ac­cor­dant sur l’es­sen­tiel : marchan­di­sa­tion du monde, contrôle des ressources, mili­ta­ri­sa­tion des socié­tés, répres­sion des résis­tances. Les premières victimes de la guerre commer­ciale qu’a lancée l’ad­mi­nis­tra­tion Trump seront les peuples du Sud global, dont ceux d’Afrique. Les BRICS, présen­tés comme une alter­na­tive au Nord global, sont plutôt un cartel d’États souvent auto­ri­taires, pour­sui­vant leurs propres logiques d’in­fluence et d’ex­ploi­ta­tion.

Notre inter­na­tio­na­lisme ne choi­sit pas un camp d’État contre un autre. Il se construit avec les peuples en lutte, contre toutes les formes d’im­pé­ria­lisme, de colo­ni­sa­tion et de domi­na­tion.

Soute­nir les luttes popu­laires des Suds contre les ingé­rences et pour l’éman­ci­pa­tion
L’ex­pul­sion progres­sive de l’ar­mée française du Sahel – du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad – marque un tour­nant. Elle résulte de mobi­li­sa­tions popu­laires et de refus collec­tifs de l’in­gé­rence étran­gère, et ne doit en aucune manière être désta­bi­li­sée en sous-main.

Cette dyna­mique reste aussi mena­cée par la conso­li­da­tion de régimes mili­taires auto­ri­taires. L’édi­fi­ca­tion de l’Al­liance des États du Sahel (AES) pour­rait porter une rupture avec la França­frique, à condi­tion qu’elle ne se fasse pas au détri­ment de la souve­rai­neté popu­laire et des liber­tés démo­cra­tiques.

Notre soutien doit aller aux peuples, pas aux pouvoirs
En Algé­rie, les blocages de la mémoire colo­niale ravivent un conten­tieux histo­rique profond. La recon­nais­sance des massacres colo­niaux qui ont été perpé­trés  à Mada­gas­car, au Came­roun, au Niger reste taboue.

Dans les Outre-mer, les mobi­li­sa­tions qui ont lieu en Nouvelle-Calé­do­nie, aux Antilles ou à Mayotte traduisent une même volonté d’éman­ci­pa­tion face au mépris néoco­lo­nial, à la destruc­tion sociale et à la dépos­ses­sion envi­ron­ne­men­tale.

Partout, les peuples exigent justice, recon­nais­sance et auto­dé­ter­mi­na­tion. C’est à ces luttes qu’il faut prêter main-forte.

Cons­truire un inter­na­tio­na­lisme popu­laire et déco­lo­nial
Face à la fasci­sa­tion globale, les réseaux de soli­da­rité sont fragi­li­sés : les Forums sociaux euro­péens ont disparu, les dyna­miques du FSM se sont affai­blies. Pour­tant, des espaces renaissent. En 2024, un collec­tif unitaire contre les ingé­rences françaises en Afrique a vu le jour. Le prochain Forum social mondial à Coto­nou en 2026 pour­rait être une étape vers la recons­truc­tion d’un inter­na­tio­na­lisme d’en bas, ancré dans les luttes concrètes des Suds et des diaspo­ras.

Nos reven­di­ca­tions communes, au service des peuples d’Afrique :

  • Cessa­tion immé­diate de toute coopé­ra­tion mili­taire et des ventes d’armes avec les régimes auto­ri­taires, notam­ment sur le conti­nent afri­cain.
  • Fin des ingé­rences et des desta­bi­li­sa­tions françaises dans les affaires poli­tiques, écono­miques et insti­tu­tion­nelles des pays du Sud global (via la CEDEAO, l’OIF, ou des bases mili­taires).
  • Recon­nais­sance des crimes colo­niaux (Sétif, Guelma, Mada­gas­car, Came­roun, Niger…) comme crimes d’État, avec des répa­ra­tions symbo­liques et maté­rielles. Recon­nais­sance du recours à la torture comme système en appli­ca­tion de la doctrine de la « guerre contre-révo­lu­tion­naire », deve­nue  « l’école française ».
  • Sanc­tions pénales contre les multi­na­tio­nales françaises préda­trices (Bouygues, Bolloré, Total, etc.) respon­sables de corrup­tion, d’ac­ca­pa­re­ment et de destruc­tion écolo­gique.
  • Suppres­sion du franc CFA, en parte­na­riat avec les mouve­ments et insti­tu­tions panafri­ca­nistes progres­sistes.
  • Recon­ver­sion des budgets d’OPEX en inves­tis­se­ments dans une aide au déve­lop­pe­ment soli­daire, trans­pa­rente, négo­ciée avec les peuples concer­nés. Et qui contri­bue à lutter contre la violence des poli­tiques migra­toires.
  • Fin de la poli­tique colo­niale en Outre-mer, et enga­ge­ment clair pour le droit à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion.
  • Respect du droit à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion pour les peuples kanak et sahraoui (réso­lu­tion 1514 – AG de l’ONU du 14.12.1960)
  • Refon­da­tion de la diplo­ma­tie française, pour une poli­tique de paix, de désar­me­ment, de coopé­ra­tion juste entre les peuples. A l’ONU, dans le cadre de l’Union euro­péen­ne…
  • Libé­ra­tion de l’in­for­ma­tion : fin de la censure et des silences complices dans les médias publics sur les luttes anti­co­lo­niales, les mobi­li­sa­tions sociales, les quar­tiers popu­laires.
  • Trans­mis­sion active des mémoires et des exper­tises : ensei­gne­ment de l’his­toire (néo) colo­niale, de l’arabe, des litté­ra­tures afri­caines et diaspo­riques dans le système éduca­tif et à l’Uni­ver­sité.

Ces reven­di­ca­tions ne concernent pas seule­ment des répa­ra­tions atten­dues, mais consti­tuent des jalons d’un hori­zon à recons­truire. Depuis les luttes afri­caines et antillaises, les Outre-mer, les quar­tiers popu­laires, les diaspo­ras, montent des voix qui refusent l’ordre impé­rial et ses recom­po­si­tions auto­ri­taires. C’est avec elles, et non à leur place, que nous voulons bâtir des soli­da­ri­tés actives, démo­cra­tiques, équi­tables. Un autre monde reste à imagi­ner — il a déjà commencé à émer­ger, depuis les marges du monde actuel, les péri­phé­ries de nos socié­tés, les domi­né·es qui relèvent la tête.

Signa­taires :
Nils ANDERSSON ancien éditeur, essayiste spécia­liste de géopo­li­tique
Martine BOUDET didac­ti­cienne, membre du Conseil scien­ti­fique d’At­tac France
Pierre BOUTRY anima­teur du site « Alliance des Forces Progres­sistes pour l’Afrique »
Frédé­ric BURNEL mili­tant pour l’éman­ci­pa­tion, syndi­ca­liste ensei­gnant, membre d’Éga­li­tés
Michel CAHEN, histo­rien de la colo­ni­sa­tion, direc­teur de recherche émérite du CNRS à Sciences Po Bordeaux
Anne CAUWEL mili­tante inter­na­tio­na­liste
Patrice COULON, mili­tant non-violent, écolo­giste, alter­mon­dia­liste et des droits humains
Alexis CUKIER philo­sophe, mili­tant syndi­cal, membre d’At­tac et d’Ega­li­tés
Michèle DECASTER secré­taire géné­rale de l’AFASPA (Asso­cia­tion Française d’Ami­tié et de Soli­da­rité avec les Peuples d’Afrique)
Didier EPSZTAJN, anima­teur du blog « Entre les lignes entre les mots »
Sylviane FRANZETTI inspec­trice retrai­tée de la concur­rence, consom­ma­tion, répres­sion des fraudes
Franck GAUDICHAUD, histo­rien, membre de France Amérique Latine
Sylvie LARUE, Cerises la coopé­ra­tive
Frédé­ric LEBARON, socio­logue
‌‌‌‌‌‌P­hi­lippe LE CLERRE co-secré­taire Commis­sion Paix et Désar­me­ment – Les Ecolo­gistes
Olivier LE COUR GRANDMAISON, univer­si­taire
Chris­tian MAHIEUX, syndi­ca­liste Soli­daires, Réseau syndi­cal inter­na­tio­nal de soli­da­rité et de luttes, revue Les utopiques
Fabien MARCOT – Co-secré­taire d’Éga­li­tés
Oumar MARIKO président du Parti SADI en exil, ancien député à l’As­sem­blée Natio­nale, cheva­lier de l’ordre natio­nal du Mali
Paul MARTIAL rédac­teur d’Afriques en Lutte
Gustave MASSIAH, mili­tant alter­mon­dia­liste
Richard NEUVILLE, mili­tant inter­na­tio­na­liste et de l’au­to­ges­tion
Alain REFALO, porte-parole du MAN (Mouve­ment pour une Alter­na­tive Non-violente)
Pierre ROUSSET Europe soli­daire sans fron­tières (ESSF)
Cathe­rine SAMARY écono­miste inter­na­tio­na­liste
Patrick SAURIN syndi­ca­liste Soli­daires
Gérard TAUTIL, auteur et mili­tant auto­no­miste occi­tan (Provence)
Eric TOUSSAINT, porte-parole CADTM inter­na­tio­nal
Patrick VASSALLO, mili­tant de l’éman­ci­pa­tion (Cerises La coopé­ra­tive, insti­tut Pola­nyi, alter­na­tiv’ESS, syndi­ca­liste)
Pedro VIANNA poète, homme de théâtre, ensei­gnant univer­si­taire
Chris­tiane VOLLAIRE philo­sophe (CNAM, Univer­sité Paris-Cité et Insti­tut Conver­gences Migra­tions)
Béatrice WHITAKER  membre d’Ega­li­tés

Annexes :
Martine Boudet (coor­di­na­tion) Résis­tances afri­caines à la domi­na­tion néo-colo­niale (Le Croquant, 2021)
Entre autres auteurs : Saïd Boua­mama, Gus Massiah, Kako Nubukpo, Ndongo Samba Sylla, Aminata Traoré
Collec­tif « Armée française il est large­ment temps de partir » (Tribune à Libé­ra­tion, février 2024)
Lien CADTM
Collec­tif Rejoi­gnons-nous, « En finir avec la França­frique, le mili­ta­risme, l’im­pé­ria­lisme français – Pour une campagne poli­tique perma­nente » (2021)
Site « Afriques en lutte »
Site de l’AFPA (Alliance des Forces Progres­sistes pour l’Afrique)
Site de l’AFASPA (Asso­cia­tion Française d’Ami­tié et de Soli­da­rité avec les Peuples d’Afrique)
ReCom­mons Europe, « L’im­pact sur le Sud des poli­tiques euro­péennes et les alter­na­tives possibles », CADTM  (publié le 14 août 2020)
Guillaume Duval, « Avec la fin de l’Oc­ci­dent, l’ave­nir de l’Eu­rope se joue au Sud »
Le projet de loi de program­ma­tion mili­taire: vers une « écono­mie de guerre  » para­site et dange­reuse »
 (Tribune collé­giale, Les invi­tés de Media­part, le 4 avril 2023)

https://blogs.media­part.fr/les-invites-de-media­part/blog/160625/face-la-fasci­sa­tion-du-monde-renfor­cer-les-soli­da­rites-popu­laires-sud-nord

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