L’historien Robert Hirsch : « On ne peut pas qualifier la gauche d’antisémite, mais il y a des dérives importantes »
Le Monde 28 juin 2024
« Historien, ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), toujours militant de gauche et animateur du Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Robert Hirsch est l’auteur de La Gauche et les Juifs (Le Bord de l’eau, 2022). Il revient sur l’instrumentalisation de la question de l’antisémitisme par l’extrême droite, concomitante des errements de la gauche. »
« (…) Marine Le Pen « Elle a relativement réussi médiatiquement, en faisant apparaître son parti comme n’étant plus antisémite.
Quant à la question de l’Etat d’Israël, l’extrême droite a toujours été partagée entre pro et anti, Marine Le Pen a plutôt pris le parti des pros en soutenant le gouvernement très droitier de Benyamin Nétanyahou. Cela n’empêche pas la permanence de dérives antisémites extrêmement importantes de la part d’un certain nombre de ses députés et candidats. Par ailleurs, l’argumentation sur les binationaux, même esquissée comme une mesure concernant un petit nombre de personnes, rappelle le pétainisme. Comme dans le régime de Vichy, il y a cette idée que certains ne sont pas tout à fait aussi français que les autres, que des Français n’ont pas les mêmes droits que les autres. Cela peut toucher y compris un certain nombre de juifs qui ont la double nationalité franco-israélienne.
La dédiabolisation du RN est aidée aussi par la propagande gouvernementale sur les « deux extrémismes ». Mettre sur le même plan le Nouveau Front populaire et le RN, cela aboutit d’abord à dédiaboliser l’extrême droite.
A côté de cette instrumentalisation, il y a des erreurs à gauche. On ne peut pas qualifier la gauche d’antisémite ni dire que LFI serait un parti antisémite, car elles n’ont ni un programme ni une histoire antisémite.
En revanche, il y a des dérives importantes : une partie de la gauche a laissé de côté l’antisémitisme alors qu’il remontait, à partir des années 2000. (…) Depuis le 7 octobre [2023, jour des attaques terroristes du Hamas en Israël], Jean-Luc Mélenchon, qui avait déjà tenu des propos inexcusables, (…) a prolongé cette dérive (…) Il y a eu un manque d’empathie chez LFI vis-à-vis des juives et des juifs. (…) Mélenchon a même cru bon de parler d’« antisémitisme résiduel » alors que les actes antisémites ont explosé ces derniers mois. (…)
En parallèle, depuis les années 2000, la communauté juive a été assez marquée par le vote pour Nicolas Sarkozy. Une partie s’oriente désormais vers l’extrême droite, sur fond de droitisation générale. La gauche, structurée contre l’antisémitisme depuis l’affaire Dreyfus, s’est délitée sur cette question dans les années 2000. Le Nouveau Front populaire a commencé à comprendre ces reculs. Dans son programme, il y a une référence très forte à la lutte contre l’antisémitisme qu’il faut saluer. (…)
L’histoire des juifs est structurante dans celle de l’Europe au XXe siècle. La reconstruction, après la seconde guerre mondiale, s’est faite sur le rejet absolu de ce qu’a été la Shoah. Dans l’opinion, il reste l’idée que l’antisémitisme relève d’un mal absolu, qui a conduit à l’horreur. Pendant des années, la mémoire de la Shoah a permis de considérer que tout racisme est une abomination. Il serait temps de s’en souvenir.